Dans son roman, "Ezra enigma", Jean-Pierre Keller réhabilite Ezra Pound, un énorme poète, auteur d'une œuvre maîtresse, les Cantos. Celle-ci est réputée difficile. Elle devrait n'avoir cependant aucune peine à installer son auteur dans le panthéon des grands auteurs, s'il n'y avait pas un problème. Un problème politique.
Ezra Pound s'est placé dans le mauvais camp pendant la guerre. Intéressé par l'économie, cherchant une voie entre le libéralisme et le collectivisme, il a soutenu le fascisme italien. Installé en Italie dès 1924, il louait Mussolini, écrivait des articles dans La British Union of Fascists qui célébraient le dictateur italien. En 1939, revenu en Amérique, il a tenté de convaincre le Sénat de soutenir la politique mussolinienne.
Puis, de retour en Italie, il a commis l'irréparable en animant des émissions sur la radio officielle. « Il y défendait le fascisme, accusait la finance internationale et les Anglo-Américains d'être la cause de la guerre et faisait de la propagande antisémite. Ces allocutions lui vaudront de devenir le 26 juillet 1943 l'une des huit personnes de nationalité américaine et résidentes en Europe inculpées pour trahison. » (Wikipédia)
Du coup, les vainqueurs l'ont arrêté en 45, et mis dans un asile de fous pendant 13 ans, avant qu'il ne soit renvoyé à Venise.
Tout le roman de Keller, qui se lit comme un polar, tourne autour de cette figure. Il invente un étudiant attardé et falot qui subit une déconvenue dans ses études en citant un livre de Pound. Ce jeune homme va plus tard découvrir petit à petit l'homme, visiter les lieux où le poète a résidé, retrouver ses descendants, lire ses œuvres.
Servi par la chance ou le scénario rythmé de Jean-Pierre Keller, il fait la rencontre d'une prof d'uni américaine, une bombe blonde, sensuelle, libre, s'éprend d'une jeune fille, noue des relations amoureuses avec ces deux femmes fascinées par Pound. Un trio qui fait écho à celui du poète avec sa femme et sa maîtresse, ou à celui de la prof d'uni elle-même avec son mari et l'étudiant.L'ambition de Jean-Pierre Keller est évidemment didactique. Dans le cadre qu'il fixe, dirigeant ses personnages dans un but que ces automates un peu typés ignorent, mais que l'auteur s'est fixé à l'avance, il cherche à imposer la figure de Pound, à comprendre sa trajectoire, à expliquer l'ostracisme que le grand poète subit encore, et à nous intéresser à son œuvre.
Ezra enigma, Jean-Pierre Keller, L'Age d'Homme