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Gérard Fromanger : « La société du spectral »

Publié le 25 mai 2014 par Pantalaskas @chapeau_noir

C'est au philosophe Serge Margel que j'emprunte cette expression de  "La société du spectral" pour évoquer une série du peintre Gérard Fromanger la "Série noire" peinte en 2002

"Série noire"

Gérard Fromanger : « La société du spectral »

"Méfiez vous fillette!" 2002 Gérard Fromanger

Le critique Olivier Zahm écrivait: "Gérard Fromanger pense et peint. On pourrait dire qu'il fait les deux ensemble, mais non : il travaille à la conjonction peinture et pensée".
C'est à l'occasion d'un catalogue sur la "Série noire" de Fromanger en 2003 que ces lignes ont été écrites. Elles offrent l'occasion de nous interroger sur la lecture d'un tableau (ou ici d'une série de tableaux), sur ce que devient, une fois accaparé par d'autres, le travail d'un peintre.
Olivier Zahm expliquait, à propos de cette "Série noire" : Quand en 1971, Fromanger peint le "Boulevard des Italiens", les silhouettes des passants sont rouges. Dans "Série Noire", en 2002, les parisiens sont désormais absorbés par le jaune de la transparence- le jaune couleur commerciale, couleur duplice, couleur, violente, aiguë jusqu'à la stridence, ample et aveuglante, expansive et inconfortable, la plus difficile pour la rétine".(...) A la fois transparence spectaculaire et jaunisse d'un monde malade de sa luminosité transparutionnelle, vouant toute sa vie à l'abstraction marchande (l'activité sociale effective) et le monde définitivement irradié."
On mesure ici combien, une fois qu'un spectateur s'est approprié l’œuvre d'un peintre, la lecture qui en est faite échappe à son créateur. Gérard Fromanger était parti d'une information de presse de l'époque selon laquelle un pourcentage très significatif de l'économie mondiale était entre les mains des maffias de tous ordres. Il se dit alors que, chez lui, dans son quartier de la Bastille à Paris, ce même pourcentage maffieux pouvait peut-être exister :  tels personnages dans la rue, dans un café, chez un commerçant appartiendraient-ils à cette maffia ? D"où cette "Série noire" empruntant  le jaune et le noir à la collection "Série noire" de romans policiers.

Gérard Fromanger : « La société du spectral »

"A quatre pattes le cul-de-jatte" 2002 Gérard Fromanger

Or, ayant appris, par le peintre lui-même, la genèse de cette série, j' y ai fait, pour ma part, une lecture analysant, dans l'itinéraire plus général de Gérard Fromanger, cette décomposition (volontaire ou non) de la couleur, parcourant ainsi le chemin inverse de ceux qui avaient contribué à son invention technique. Dans la « Série Noire »  quelque chose s’est passé : le jaune du tableau forme un  filtre réducteur sur la totalité du plan à la manière de la synthèse soustractive de la pellicule photographique ou cinématographique. Gérard Fromanger a cassé l’équilibre chromatique pour ne garder que cette couche soustractive. On ne peut pas ne pas évoquer la même tentative monochrome d’une séquence de «Pierrot le fou » de Jean-Luc Godard où le cinéaste décrit une société dans laquelle le personnage principal  apparaît totalement en retrait.
Dans le même temps, l’intervention chromatique du peintre n’est plus que résiduelle ; le peintre semble s’être retiré de la scène,  la palette chromatique soigneusement repliée en bon ordre sur le côté droit de la toile ( « A quatre pattes le cul-de-jatte » ), sur le côté gauche («  Un linceul n’a pas de poche »), en-dessous (« La peur au ventre »), au-dessus («  Méfiez-vous fillettes »). Il ne reste plus sur la toile que quelques touches , comme si le peintre laissait encore sur son chemin des petits cailloux pour peut-être retrouver , un jour, son chemin.
Avec la démarche originelle du peintre et les lectures posées par d'autres, apparaissent les enjeux de cette "Société du spectral" proposée par le philosophe Serge Margel :
"La société du spectral serait cette société où les corps sont contrôlés par des spectres, c’est-à-dire par tous les dispositifs techno-culturels produits par cette même société, et qui influencent, manipulent ou transforment nos affects, nos désirs, nos attentions les plus imperceptibles."

"Série noire" Gérard Fromanger

Actuellement visible dans l'exposition

"Annoncez la couleur"
Du 4 avril au 29 juin 2014
A cent mètres du centre du monde
66000 Perpignan


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