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Céline « Lettres à la NRF » : Roupilleurs de salon réveillez-vous !

Par Alyette15 @Alyette1
1ère de couverture

1ère de couverture "Lettres à la NRF" Céline Editions poche Folio pour Gallimard


Découvrir les « Lettres à la NRF » de Louis Ferdinand Céline c’est s’immerger dans l’obsession aussi pathologique que salutaire d’un romancier.

Si le cercle d’amis de Louis Ferdinand Céline fut à une époque sombre réduit à peau de chagrin, en 2014 pas une semaine sans que son nom ne soit cité dans la presse. Une reconnaissance médiatique qui aurait surement beaucoup amusé ce Don Quichotte sans concession de la littérature française pour lequel l’écriture fut une guerre intime autant qu’un boulet de Shrapnel lancé à la face du monde.

Tout commence sur un voyage littéraire au bout de la nuit qu’il faudrait être sourd, aveugle et muet pour ignorer tant son influence demeure inégalée. « Une sorte de roman » dont l’intrigue est à la fois « complexe et simplette » « une grande fresque du populisme lyrique » « du communisme avec une âme », que le Docteur Louis Destouches présenta en 1931 aux Editions de la NRF. L’amorce d’une correspondance fleuve qui dura jusqu’en 1961 entre le Roi Lire et le Prince aux pieds nus des mots.

Avec la plume qu’on lui connait, cette verve vacharde et ironique où s’invite une poésie qui serre les tripes, le Docteur Destouches soignera à coups de formules assassines le ventre proéminent et omniscient d’une trop grasse maison d’édition qu’il admire autant qu’il condamne à mort.

Car c’est bien cela Louis Ferdinand Céline une contradiction permanente, le cynisme ombrageux d’un médecin qui sait ce qui se niche au cœur du cœur de l’homme, un zouave illuminé pris de crises de colère et de paranoïa flamboyantes, un solitaire anti-existentialiste reclus dans un Meudon aux relents de Province, un évadé de la prose qui fit de l’insoumission sa seule signature.

Parmi ses correspondants à la NRF des noms illustres et contestés comme Drieu La Rochelle, Jean Paulhan, Roger Nimier, Marcel Arland, la primeur revenant toutefois à Gaston Gallimard dont le stoïcisme élégant face au pic à glace Destouches fascine et amuse. En effet, au fil de la lecture, c’est une sorte de partie d’échecs sans mat qui se livre entre les deux hommes dont les mondes ne peuvent s’unir véritablement en dépit d’une admiration réciproque et d’un certain rapprochement idéologique. Alors que Céline voudrait être le seul, l’ultime romancier au talent largement sous-estimé par l’édition française, Gaston Gallimard jamais ne s’offusque gardant sans sourciller cette suave et sibylline maîtrise de l’expression, tandis que vitupère contre « l’épicier », « le coffre-fort » un écrivain qui ne lâcha jamais son os de virulence pour revendiquer son gagne-pain. Comme un ouvrier va à l’usine extraire l’or noir qui fera la fortune d’une capitaine d’entreprise, Céline part en croisade contre un sérail de salon dans lequel il ne fut jamais inclus. Tant mieux.

Captivante, picaresque, mordante, grand-guignolesque cette correspondance entre la NRF  et Céline – préfacée par un Philippe Sollers complètement addict – est un pur moment de jubilation et c’est avec une certaine nostalgie que l’on referme ce cahier de lettres en se faisant la réflexion suivante : lira-t-on un jour les missives échangées entre Michel Houellebecq et la direction générale de Flammarion ?

Rien de moins sûr. Le monde change.

« Mon cher éditeur et ami.
Je crois qu’il va être temps de nous lier par un autre contrat, pour mon prochain roman « RIGODON » … dans le termes du précédent sauf la somme – 1500 NF au lieu de 1000 – sinon, je loue, moi aussi, un tracteur et vais défoncer la NRF, et pars saboter tous les bachots !

Qu’on se le dise !
Bien amicalement votre
Destouches »

Astrid Manfredi, le 24/05/2014

Informations pratiques :
Titre : Lettres à la NRF choix 1931-1961
Auteur : Céline
Editeur : Gallimard / Edition poche Folio
Nombre de pages : 217

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