Il est un rendez-vous cinéphile parisien que je ne manque
sous aucun prétexte chaque année, c’est celui de la reprise des films de la
Quinzaine des Réalisateurs, d’Un Certain Regard et de la Semaine de la
critique, quelques jours après leur découverte au Festival de Cannes. C’est
dans ce cadre-là que j’avais vu « The Host » de Bong Joon-ho au
printemps 2006, et d’année en année, je viens y chercher les nouvelles pépites
de Cannes.
Voilà, nous sommes en plein dedans, alors qu’au Reflet
Médicis, la reprise d’Un Certain Regard vient de s’achever, celle de la
Quinzaine au Forum des Images bat son plein tandis que celle de la Semaine de
la Critique démarre à la Cinémathèque Française. Au Reflet, je me suis faufilé
devant « Jauja », le film argentin de Lisandro Alonso qui plonge
Viggo Mortensen dans la Patagonie du 19ème siècle à la recherche de
sa fille échappée. Un film lancinant et hypnotique qui tend vers le
fantastique, quelque chose de Bergmanien au pays du maté.
Je me suis invité devant deux films coréens également, la
chronique provinciale « A Girl at my door » (Doheeya) issue d’Un
Certain Regard et le thriller « A Hard Day » issu de la Quinzaine des
Réalisateurs, mais non, je n’en dirai rien, ma fonction au sein du Festival du
Film Coréen à Paris (qui au passage se tiendra du 28 octobre au 4 novembre
cette année) me bâillonnant sur le sujet.
Et puis il y a eu « Whiplash ». Salle 300 du
Forum des Images, un samedi soir à 20h, après avoir couru depuis le Reflet
Médicis pour ne pas en rater le début. Whiplash qui n’a pas fait trop de bruit
dans la presse française pendant le festival, mais qui ne manquera pas de faire
parler de lui cet hiver quand il sortira en salles, j’en suis sûr. Whiplash, un
film qui porte si bien son titre (« coup de fouet ») tant on en sort
revigoré, excité, heureux. La simplicité comme mot d’ordre, mais pas une
simplicité péjorative. Une clarté si vous préférez, avec assez peu de
personnages, peu d’intrigues parallèles, tout est concentré sur Andrew, 19 ans,
étudiant en première année dans une prestigieuse école de musique, qui rêve
d’être un des plus grands batteurs que le jazz ait connu. C’est pour cela qu’il
s’est inscrit dans cette école, et c’est pour cela qu’il veut se faire
remarquer par Fletcher, le professeur star de l’école, qui dirige un groupe de
jazz que tous les élèves de l’école rêvent d’intégrer.
Le rêve est grand, et la marche à franchir pour
l’atteindre est immense, tant Fletcher est aux étudiants ce qu’un
sergent-instructeur est aux Marines américains. Ce qui apporte une gouaille
jouissive au personnage du professeur, campé à la perfection par J.K. Simmons.
L’homme est à la fois irritant et hilarant, et c’est lui qui donne le tempo que
doit apporter en face Miles Teller, décidément un jeune acteur prometteur après
sa belle interprétation dans « The Spectacular Now » en début
d’année.
Tout est affaire de tempo, et d’énergie.
« Whiplash », c’est tout l’art cinématographique du climax mis en
application. C’est une tension qui va crescendo, une montée en puissance
discrète mais indéniable. Et quand on croit que c’est terminé, c’est là que tout
à coup la jubilation explose, les sens sont mis à contribution, et le film nous
place dans un moment d’euphorie cinématographique incroyable, dix minutes pendant
lesquelles le réalisateur nous agrippe avant de nous abandonner d’un claquement
de doigt en pleine extase. La sensation est rare, et la ressentir ainsi devant
un « petit » film, ressentir cette joie, cette intensité, alors le
petit film gagne en grandeur. Non, ce n’est vraiment plus un petit film.
Sundance, qui lui a décerné ses prix, a eu raison. La Quinzaine des
Réalisateurs, qui l’a invité, a eu raison. Nous avons eu raison, les
spectateurs de la salle 300 du Forum des Images, ce samedi soir, d’être allé
jeter un œil à ce drôle de petit film où un étudiant joue à la batterie
jusqu’au sang devant un prof qui lui hurle dessus. Et ce climax explosif, je
connais des films Hollywoodiens qui auraient aimé en fournir ne serait-ce que
15%, d’une intensité pareille, dans leurs derniers actes.
Alors Hollywood, prends-en de la graine. Retenons le nom
du réalisateur Damien Chazelle. Et moi, je vais peut-être me mettre à la
batterie.