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Affaire BNP Paribas : dis quelque chose de gauche !

Publié le 07 juin 2014 par Blanchemanche
Par Bernard Marx
Les sanctions américaines contre le champion bancaire français ont des conséquences potentielles très lourdes. Elles révèlent l’opacité du système bancaire et l’urgence de le réformer… mais aussi l’embarras de la gauche de gauche devant cette affaire pourtant extrêmement significative.Dans son film Aprile, Nanni Moretti, regarde un débat télévisé qui oppose Massimo d’Alema et Silvio Berlusconi. Devant son poste, il finit par supplier le leader des Democratici di Sinistra (ex-PCI)« Dis quelque chose de gauche ! », puis « Dis quelque chose ! »C’est un peu ce que l’on ressent face à l’absence de réaction de la gauche radicale dans l’affaire BNP Paribas.L’affaire des poursuites judiciaires des États-Unis contre BNP Paribas est devenue en quelques jours une affaire politique majeure. Mais le silence règne du côté de la gauche radicale comme de celui des verts. Serait-ce la difficulté à avoir à trancher entre deux ennemis : la finance – que le gouvernement américain semble, à la différence du nôtre, vouloir davantage mettre au pas à coup de sanctions et d’amendes records –, et l’impérialisme américain qui semble utiliser l’arme judiciaire de façon exorbitante pour affaiblir le système bancaire européen en commençant par la première banque française (il est aussi question qu’après BNP Paribas viennent le tour de la Société Générale et du Crédit Agricole) ? Il paraîtrait pourtant possible et utile de poser dans cette affaire quelques exigences fortes.

Conséquences très lourdes

D’après ce qu’en dit la presse, BNP Paribas est poursuivi par la justice américaine pour violation, entre 2002 et 2009, d’embargo à l’égard de l’Iran, de Cuba et du Soudan décrété par les États-Unis. Elle aurait effectué des transactions de négoce de matières premières, et notamment de pétrole, pour des clients de ces pays. Les opérations auraient été menées en dehors des USA, en particulier par une filiale suisse de la banque, BNP Paribas Suisse. Mais la justice américaine revendique le droit de poursuivre car ces opérations ont été effectuées en dollars qui, à un moment ou à un autre, passent par les États-Unis.Les négociations en cours portent sur les conditions que BNP Paribas devrait satisfaire pour obtenir en contrepartie l’abandon des poursuites. La presse parle d’une amende record de 10 milliards de dollars, plus l’obligation de devoir plaider coupable, plus l’interdiction temporaire d’exercer sur le territoire américain ou de celle de régler des transactions en dollars, plus des sanctions (licenciements, confiscation de bonus...) qui pourraient concerner y compris des dirigeants de la banque.Les conséquences de telles condamnations seraient très lourdes. 10 milliards de dollars (7,7 milliards d’euros, cela fait en quelque sorte 1,5 Kerviel (selon l’évaluation donnée par la Société générale), 1,2 Dexia (selon l’évaluation par la Cour des comptes, du coût actuel pour les finances publiques françaises), 10 Executive life ou encore un Crédit lyonnais (selon l’estimation généralement donnée du coût final du sauvetage de cette banque). Cela représente un an de bénéfice net du groupe bancaire. L’obligation de plaider coupable qui provoquerait un effet négatif sur la réputation de la banque et une suspension temporaire de son autorisation de transférer des fonds à destination ou en provenance des États-Unis, aurait également de très lourdes conséquences. Et évidemment des sanctions prises à l’égard de dirigeants du groupe constitueraient aussi une première retentissante pour un groupe bancaire français. Au total, BNP Paribas pourrait être, sinon déséquilibrée, du moins très affaiblie, avec le risque que cela pénalise la partie banque de détail et de crédit de ce champion français de la banque universelle.

Exigence d’information

Le gouverneur de la banque de France, Christian Noyer, est venu au secours en affirmant que la Banque de France avait vérifié que« toutes les transactions étaient conformes aux règles, lois, réglementations, règlements européens et français », et même à celles des Nations unies. Il a également affirmé que l’approche des États-Unis en la matière avait évolué et il a, en conséquence, appelé toutes les banques européennes à être "vigilantes", ajoutant qu’il ne souhaitait pas en dire plus. De la même façon, lors de l’assemblée générale des actionnaires, le Directeur général du groupe BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé a refusé de s’expliquer : « Je suis très confiant dans la capacité de la banque à gérer cette situation mais pour des raisons juridiques je ne peux pas vous apporter davantage de détails ».Mais c’est justement là où le bât blesse. La plus grande opacité règne. Si bien qu’il est bien difficile de savoir si les exigences de la justice des États-Unis sont simplement une manifestation de plus de l’impérialisme du dollar ou si les faits reprochés ne sont pas une manifestation de plus des prises de risques inconsidérés liés à un sentiment d’impunité de la part de banquiers appâtés par des rémunérations juteuses sur des opérations dont ils savaient pertinemment qu’elles pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires aux Etats Unis.Le député UMP Pierre Lellouche, le FN ou le journal Les Échosdéfendent la banque et crient à l’agression. Encore faudrait-il se poser la question de qui a fait exactement quoi dans cette affaire, et que les dirigeants de cette banque expliquent ce qui s’est véritablement passé. Comme le souligne Paul Jorion« Les milieux financiers n’ont, à ma connaissance, pas encore apporté la preuve qu’ils méritent ce blanc-seing que le Front national leur accorde sans se poser de questions, ni leur poser à eux de questions dont les réponses pourraient éventuellement être embarrassantes ». Comme on ne peut prendre pour argent comptant les déclarations de Christian Noyer qui a pris l’habitude de défendre les intérêts financiers français plutôt que l’intérêt général, une commission d’enquête parlementaire serait la bienvenue.

Réforme bancaire

Mais ce que l’on sait de l’affaire suffit néanmoins à conforter d’autres exigences.Il faut en finir avec les banques trop grosses pour faire faillite et obtenir une véritable séparation bancaire en Europe. L’affaire BNP Paribas démontre, une fois de plus, le problème posé par les banques trop grosses pour faire faillite et par les banques universelles qui mélangent en leur sein activités de banques de dépôt et de crédit et activités de banque d’investissements : quoi qu’elles fassent, elles sont inattaquables au nom des effets pour les millions de déposants et pour l’économie toute entière.La directrice du FMI, Christine Lagarde elle-même, admettait la semaine dernière dans un discours à Londres que c’est un problème qui reste entier : « L’une des principales lacunes est l’absence de solution au problème des banques trop grosses pour faire faillite. Une étude récente des services du FMI montre que ces établissements demeurent une source majeure de risque systémique. Leur subventionnement implicite est toujours substantiel, puisqu’il avoisine 70 milliards de dollars aux États-Unis et jusqu’à 300 milliards dans la zone euro. Il est donc clair que cette question doit être traitée en priorité, ce qui passe, entre autres, par une réglementation et une surveillance plus strictes ».Il faut arrêter la négociation de libre-échange transatlantique. On ne peut négocier dans un cadre aussi déséquilibré et sans réciprocité.Il faut mettre en cause le rôle du dollar comme monnaie mondiale « Le statut du dollar comme seule monnaie de réserve internationale est contesté, explique Martine Orange sur le site Médiapart. Déjà plusieurs pays pétroliers parlent de libeller leurs échanges en euros. L’Iran a déjà commencé à le faire. La Chine et la Russie ont signé un accord, il y a quinze jours, pour négocier leurs échanges dans leur monnaie, en se passant de la monnaie américaine. Elles appellent tous les pays émergents – Brésil, Afrique du Sud, Asie – à venir les rejoindre, afin d’échapper à la tyrannie du dollar et de protéger leur économie des mouvements excessifs des capitaux ».L’affaire BNP Paribas, qui montre que l’utilisation du dollar peut ouvrir la porte à des poursuites judiciaire en dehors du droit international, devrait conforter les inquiétudes vis-à-vis du dollar entre 2002 et 2009 entre 2002 et 2009 et les tentatives de créations nouvelles. Ce ne sont pas seulement les pays émergents, mais aussi l’Europe, qui devraient mettre le pied dans la porte.

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