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« LE CARNAVAL N’EST PAS MORT ! IL DORT ! »…Nature et origine de la tradition carnavalesque(2)

Publié le 09 juin 2014 par Regardeloigne

Le titre est un dicton populaire.

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« Il est une fête qui, d'après le philosophe Jean-Jacques Wunenburger, illustre « au mieux le statut de fête, modèle réduit sécularisé, primitivement célébration cosmogonique, puis réajusté à l'intérieur d'un cycle chrétien, avant de devenir jeux alimentés par la nostalgie de dépense et de communion collective» et qui donne souvent lieu à des débordements, trouble l'ordre public, favorise le défoulement, la turbulence, la subversion, la moquerie et la parodie, et offre un espace où l'absence de règle aboutit à des manifestations, en apparence, irraisonnées et excessives : c'est le carnaval..

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Le carnaval cristallise effectivement cette « période où l'ordre social et les hiérarchies sont symboliquement modifiés ou renversés, et qui est l'occasion de fêtes, de spectacles où s'actualisent les oppositions (dans quelques cultures que ce soit)».

Dans un temps et un espace donnés, il offre en effet une image inversée et esthétique de la société dans laquelle cette image se déploie et grâce à laquelle la hiérarchie sociale est renversée. Il est, en d'autres termes, la fête qui consacre la folie.

Socialement, il célèbre la marge, ce que précisément la rationalité du quotidien rejette comme source de désordre.

Le roi carnaval, roi bouffon, hautement profane, incarne de manière figurée et sous forme d'effigie, la période festive mais parodie la solennité et la sacralité quotidienne. Il personnifie en cela la remise en cause périodique de l'ordre établi et ôte temporellement le pouvoir à ceux qui le détiennent.

Le carnaval est un monde à l'envers et un univers de fous.

Les rites carnavalesques s'affranchissent donc de la logique quotidienne pour devenir ludiques et le déguisement, la parure, le tégument ou encore le masque participent de manière essentielle à la fête.

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Néanmoins, s'il fallait résumer son essence en guise d'introduction, retenons que le carnaval est un savant et complexe mélange de droit à la fête, d'éléments rituels et esthétiques ou d'actes cérémoniels multiséculaires mais aussi et surtout, une licence des mœurs, une fête que le peuple se donne à lui-même un fois par an, dans un désordre institutionnalisé, limité et réglé, une suspension temporaire des règles de la vie sociale quotidienne.

À sa genèse, le carnaval est un hymne dionysiaque au printemps et au renouveau qui s'est glissé dans le calendrier chrétien et qui s'est développé comme un système alternatif ayant survécu au combat entre le christianisme et le paganisme. » Nicolas Jérôme . Université Lumière - Lyon 2 - 2006

 

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L'article précédent indiquait que le carnaval a donné lieu à toute une recherche historique pour en retrouver les racines et en dégager la signification. Un véritable combat d'éruditions mais qui comporte aussi des accents idéologiques divise les auteurs sur les origines. Un combat qui mobilise histoire, folklore, étymologie, croyances populaires ou celle des élites cléricales, et même l'art à travers la peinture (Bruegel, Bosch) .

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Deux traits principaux et paradoxaux caractérisent en effet la fête dans sa jeunesse : c'est d'abord en apparence un moment de désordre où règnent le grotesque et la démesure. «  Ces manifestations grotesques, démesurées et surréalistes font aussi ressurgir les héros locaux, les démons et les divinités, tant symboliques que figurés, de la mémoire culturelle et sociale à travers des rites singuliers et spécifiques à chaque localité. Elles renversent également les hiérarchies sociales, se posent en intermédiaire entre ordre et désordre, entre contrainte et révolte, et nous l'avons exposé plus précisément dans l'historiographie, opposent le rire à la servitude ». ( » Nicolas Jérôme ).Pourtant, cette satire est toujours organisée et ritualisée.
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Elle intervient dans un cycle périodique et est fixée dans le calendrier chrétien comme si ce désordre dionysiaque autorise « 
cycliquement non seulement de noyer la peur et les angoisses du peuple dans l'ivresse, le rire et la moquerie mais permet aussi régulièrement aux autorités politiques en place de renforcer leur légitimité en anéantissant, de manière spectaculaire, la figure du désordre social et, in fine de poser l'idée que de l'ordre est essentielle à la société. »N.J. OP CITE

Le Carnaval n'est en effet qu'une expression récente, liée au moins en partie au christianisme, de pratiques qui pourraient être beaucoup plus anciennes. Les archéologues ont ainsi retrouvé des masques datant du paléolithique (- 15 000 / - 10 000 av. J.C.). On sait par contre (voir article précédent ) que toutes les civilisations antiques avaient des fêtes orgiaques ritualisant le rythme des saisons et renversant les hiérarchies sociales. Les masques y étaient présents. Ainsi dans la Grèce antique, Les « Dionysies », célébrées en décembre et en mars, glorifiaient le dieu Dionysos, protecteur de la terre et de l'agriculture, par une procession dans laquelle une statue représentant le dieu olympien était tirée par un boeuf, sur un char.

On a déjà surtout signalé le rapprochement du carnaval avec la fête romaines des Saturnales

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« La fête des saturnales s'expose ainsi proche, non dans la structure, mais dans l'intention, des carnavals modernes où les hiérarchies sociales et les conventions morales sont bouleversées : les maîtres se mettaient au service de leurs esclaves, et on donnait libre cours à la licence la plus débridée.

Dans un total renversement des valeurs quotidiennes, un roi des Saturnales était élu, choisi parmi les condamnés à mort, auquel était conféré la liberté de commandement et de paroles. Il donnait libre cours à ses passions pendant toute la durée des festivités. Le souverain fictif était décapité au dernier jour, achevant ainsi son règne provisoire. Sans doute un sacrifice humain en l'honneur de Saturne.

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Ici, le parallèle avec l'existence, le rôle et la fin du roi éphémère carnavalesque se montre confirmé.

Michel Feuillet y voit également un « prototype antique du carnaval actuel » : « Le port du masque, les jeux d'inversions sexuelles et sociales, la transgression provisoire de la norme, le royaume fou d'un monarque éphémère, la recherche nostalgique d'un âge d'or, les excès de toutes sortes proposent un riche tableau qui fait des Saturnales un modèle proche, un prototype antique du carnaval ». Claude Gaignebet et Olivier Ricoux représentent quant à eux, les Saturnales comme les « origines directes des traditions de fin et de début d'année du calendrier devenu chrétien».. Université Lumière - Lyon 2 - 2006

 

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L'Église si elle a voulu changer ces fêtes rituelles pour leur donner des significations chrétiennes n'a jamais réussi pleinement à empêcher les débordements et les blasphèmes. La Renaissance, et la société moderne (ainsi le carnaval sera interdit pendant la révolution et Napoléon III ne tolérait que le cortège des bouchers et quelques chars)) liées à la civilisation des mœurs, tenteront aussi d'interdire et d'encadrer des pratiques carnavalesques comme les personnes masquées. Mais derrière les grandes parades publicitaires subventionnées, il reste partout dans le monde (surtout aux Antilles et en Amérique du Sud) une réalité sociale et populaire d'un Carnaval contestataire toujours combattu et toujours renaissant.

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Au Moyen Age, le carnaval est d'abord rural : Les nuits de pleine lune des bandes de jeunes célibataires rôdent, s'approchent des maisons pour faire tout un charivari , on crie ,on bat du tambour on dérobe coq et cochon pour les consommer dans un partage rituel..la société médiévale étant à forte domination masculine, celle-ci s'inverse et parfois c'est l'autorité féminie qui prévaut dans la fête.Les femmes s'habillent en hommes, attaquent ceux-ci, font des farandoles obscènes etc

 

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Il n'y a pas d'abord de travestissements proprement dit(mais les vêtements sont portés à l'envers) , le visage est noirci à la suie .les masques qui seraient liés à la sorcellerie ,au culte des morts et aux croyances dans les revenants apparaissent vers le VIIème siècle(tête de porc, ours) symboles du retour de la lune et du printemps. Ils règnent au mardi gras, jour de beuveries, de banquets et de cavalcades. Mais le déguisement permettait aussi les bandes de voleurs.

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« Jean-Thierry Maertens distingue deux types de carnavals, le rural et l'urbain.

Les premiers « dont les traces persistent en Europe centrale, précise-t-il, sont davantage en continuité avec les mascarades sauvages : il s'agit encore de puiser dans la « nature » la revitalisation du système, des lois de parentés et d'alliance, des règles de fécondité et de culture. De ce point de vue, le masque carnavalesque rural est institutionnel, tourné qu'il est vers la survie des structures . »

A l'inverse, le carnaval urbain – davantage contestataire puisqu'il est « né au moment de la fondation des principales cités médiévales et de la prise de pouvoir de la classe bourgeoise et le clergé comme une manifestation de l'opposition des masses à l'égard de cette domination et une expression des cultures populaires face à la religion savante régulatrice de ces cités  » – a été interdit dès le début du XIVe siècle, alors que celui rural n'a été frappé d'interdiction que sommairement.

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Les déguisements et les masques des carnavals urbains ont tendance à évoquer la déconstruction de l'ordre ainsi que la bienséance civile.

Ils aiment à caricaturer autant la ruralité que les moeurs de la société, les personnages politiques et les irrégularités sociales.

Ils sont en somme de véritables peintures civiques qui servent à la déconstruction politique et anticléricale de la société hiérarchique. Mais le simple fait – finalement carnavalesque – de se défaire du déguisement ou de retirer le masque à la fin des festivités carnavalesques permet de rentrer aussitôt dans l'ordre de la réalité quotidienne.

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La Renaissance a achevé de vider les masques de leur substance signifiante afin que, s'ils figurent dans des cortèges profanes, ils soient sans danger potentiel pour les autorités cléricales, ou par leur absence de contenu, transforment ces cortèges en simple manifestation folklorique. » » Nicolas Jérôme.OP.Cité

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Le carnaval proprement dit donne lieu aussi à tout un jeu théâtral auquel participe la collectivité. En des drames rudimentaires s'affrontent les symboles de l'hiver et du printemps, ceux du dévoiement et de l'ascèse salvatrice qui résument la logique de l'année liturgique et du mystère chrétien les Passions). Peu à peu, le théatre comique tel que nous le connaissons va se développer en lien avec le carnaval .Au Moyen Age les sotties jouées par le peuple « sot, » sous la houlette d'un roi des fous, ainsi que des « diableries » donnent naissance à un théâtre professionnel joué par des compagnies stables ou itinérantes. Au milieu de la foule en liesse se produisent les saltimbanques. Comme le rappelle leur nom d'origine italienne ( sahimbanchi —) ces amuseurs dressent des banchi, des estrades .. Le clergé, qui voit dans le théâtre une école de tous les vices, ne le tolère que pendant les jours gras, et refuse le plus souvent un statut civil aux comédiens. Mais cet enfermement du théâtre dans la folie carnavalesque permet à l'art du spectacle populaire de s'épanouir et de s'enrichir.

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« C'est ainsi qu'est née en Italie, au xvr siècle, la fameuse commedia dell'arte qui a donné au carnaval ses personnages caractéristiques. Aujourd'hui on ne peut imaginer mardi gras sans sa famille haute en couleur, dont les membres s'appellent Arlequin, Colombine, Pantalon, Polichinelle et Pierrot.

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La commedia dell'arte, mobile comme les troupes qui lui donnent vie, très vite essaime dans l'Europe entière. Elle s'appelle alors comédie italienne dans les pays où elle est accueillie avec enthousiasme. La commedia dell'arte, dans le déroulement des spectacles qu'elle offre, à travers ses personnages si typés, est exactement à l'image du carnaval qui a présidé à sa naissance.

Les singularités fondamentales de la commedia dell'arte sont d'une part l'improvisation verbale et gestuelle et d'autre part la présence de masques. A partir d'un scénario, d'un sog-getto, d'un canevas succinct qui se limite à indiquer la trame de l'intrigue, les différentes scènes restent à faire. L'autre grande caractéristique de cette commedia buffonesca est donc la distribution des principaux rôles entre des masques, personnages dont les noms se maintiennent invariablement de pièce en pièce ; le public les identifie dès leur entrée en scène : leur déguisement est reconnaissable et leurs traits de caractère attendus ».Michel Feuillet Le Carnaval. Cerf

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Dès la période de la Renaissance époque du développement économique et démographique des villes, les fêtes se transforment (importance des foires) et deviennent des activités institutionnelles et réglées.(les parlements répriment les débordements dès les débuts du XVème et Le Concile de Nantes en 1431 proscrit la fête des Fous).

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En Europe, on assiste à une coupure de plus en plus franche entre le carnaval et ses racines populaires. Les bals organisés et masqués, les carnavals de cour par exemple, témoignent d'une rupture avec le cérémonial populaire du carnaval médiéval en matérialisant l'enfermement mondain et aristocratique du carnaval urbain, débuté plus tôt en Italie par le carnaval vénitien. On serait donc dans les prémices du carnaval spectacle et organisé que l'on connaît par exemple dans nos villes (mais pas partout, comme le montre celui de Dunkerque ou des fêtes catalanes) avec des défilés majestueux de char .L'exemple le plus probant est le carnaval de Venise qui, au XVe siècle, organisait d'abord des fêtes et des spectacles costumés privés. Dans ces fêtes se fait sentir désormais le poids des nobles puis des notables qui les patronnent économiquement. Deviennent essentiels alors la musique, les chants et la beauté des costumes. D'autant plus qu'après l'interdiction en 1790 et en particulier celle des travestissement ,la moralité du XIXème multipliera les ordonnances de police, pour bannir déguisements de nature à troubler l'ordre public ou à blesser la décence et les moeurs, dont les costumes ecclésiastique ou religieux, d'apostropher qui que ce soit par des invectives, des mots grossiers ou provocations injurieuses.
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A partir de cette époque l'organisation des spectacles carnavalesques va s'amplifier jusqu'à ce que se distinguent les premiers « carnavaliers » professionnels de Nice, en 1873. L'organisation moderne du carnaval nécessite aujourd'hui l'emploi à plein temps de personnes hautement qualifiées. Un tout autre carnaval est alors réinventé.

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En France, la plupart des carnavals sont aujourd'hui des spectacles pleinement structurés que des professionnels proposent au public. Les fêtes carnavalesques perdent leur part d'insouciance et leur nature momentanément subversive pour faire place à des évènements médiatisées et touristiques Mais des carnavals, comme celui de Bahia ou de Cayenne, ou même le carnaval allemand de Cologne restent proche de la fête d'origine par certains aspects qui mériteront d'être étudiés.

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Comme dit, un débat va partager historiens et folkloristes, sur l'origine de la tradition carnavalesque, à partir de la constatation indéniable de la concordance des calendriers chrétiens et païens--ainsi la Nativité, l'Epiphanie ou la Chandeleur, comme l'entrée en Carême correspondraient aux Saturnales, aux Calendes de janvier et aux Lupercales 

Le carnaval serait-il alors une survivance du paganisme qui se serait perpétuée malgré le christianisme, une fête populaire profondément libertaire, une parenthèse dyonisiaque comme un « retour du refoulé » ou bien l'unification chrétienne a-t-elle triomphé et le carnaval devenu totalement chrétien ?

La thèse chrétienne s'appuie sur l'étymologie la plus répandue : celle du latin « carne », la viande ou la chair et de «  levare », enlever. Serait donc prégnant le Carême catholique, époque du jeune (où les bouchers fermaient pendant 40 jours). Le carnaval préparerait ainsi et paradoxalement à renoncer à la viande, pendant le carême .Michel Feuillet pour qui le « carnaval est chrétien » à l'origine, propose une étymologie différente mais qui revient au même quant à la signification profonde de la fête. Il cite le « vale » « porte toi bien ! » qui terminait les lettres des romains, dans le sens « d'au revoir » ; carne-vale serait donc, mot à mot «  au revoir à la viande ».Le carnaval se placerait juste avant le premier jour de carême, le Mercredi Des Cendres où seul le poisson était permis, période de pénitence d'abstinence et d''ascese. Il serait ainsi l'opposé dialectique du carême, dans une dialectique qui soulignerait négativement l'importance de ce dernier.

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L'auteur signale d'ailleurs une autre étymologie possible mais qui consacrerait toujours le sens chrétien, l'expression latine « Carnis levanem » signifiant « le soulagement de la chair ». Carnis ne serait plus la viande que l'on consomme les jours gras, mais la chair de l'homme qui, à l'occasion du carnaval, a besoin d'être soulagée. « … soulagée des oppressions subies, des frustrations d'origine morale ou physique ». Michel Feuillet admet donc l'idée de défoulement collectif mais comme une pause nécessaire et reconnue par rapport aux contraintes trop dures de la morale chrétienne.on est toujours dans la même logique : c'est le carême qui explique et donne sens au carnaval .Le mot levanem sous-entend alors « une dialectique de la libération qui suppose en dehors de la fête la domination de la chair par l'esprit en chacun des individus, et une mise au pas du corps social par une morale contraignante».

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« Le carnaval est chrétien.

Malgré le caractère paradoxal de l'affirmation, le carnaval serait bien né avec la mise en place d'une société totalement modelée par le christianisme, et particulièrement avec l'établissement d'un cycle liturgique rythmant la vie individuelle et collective — cycle où le carême et Pâques occupent une place primordiale. Christianiser ainsi la naissance du carnaval reste surprenant dans la mesure où l'Eglise non seulement n'a jamais instauré une telle festivité dans son calendrier — le carnaval n'apparaît évidemment pas dans le temporal officiel —, mais elle n'a cessé de la condamner comme une manifestation païenne, comme une œuvre de Satan. Et pourtant le calendrier chrétien, se développant en un retour périodique de moments de plus grande exigence morale et de piété plus intense, laisse s'intercaler entre ces temps forts, préludes aux grandes solennités, des dépressions où la tension est moindre de la part de l'autorité ecclésiale, et où naturellement un flux contraire est venu remplir le vide ménagé par le rythme festif. Le carnaval est le produit du carême, même s'il fut considéré comme l'ennemi du carême. Les jours gras, dont le mardi est à la fois le terme et le point culminant, fonctionnent comme la figure — négativement opposé-e — du carême qui commence par le mercredi des Cendres.

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Le carnaval chrétien serait apparu au début du deuxième millénaire. En 1091 le concile de Bénévent fixe le début du carême au mercredi des Cendres, et dès lors le carnaval commence à se développer comme une explosion de joie et de licence, logique antithèse préalable des contraintes qui vont s'imposer jusqu'à Pâques. Le carnaval est une ultime débauche paganisante avant l'ascèse quadragésimale, et en cela c'est un anticarême ; mais c'est aussi un précarême s'intégrant officieusement dans ce que le calendrier liturgique a de plus canonique. Le couple antinomique carnaval-carême, figuré par des pantins ou des personnages travestis égayant les festivités carnavalesques, fait son apparition au xnr siècle pour connaître ensuite une grande fortune et définir ainsi de façon éclatante le caractère inséparable du carnaval et du carême, l'un semblant justifier et conforter l'autre tout en le combattant.

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Souligner le caractère chrétien du carnaval est essentiel pour sa compréhension. Cette affirmation est un préalable qui doit être cependant prolongé par la recherche d'antécédents préchrétiens. En effet, le carnaval, produit négatif du carême, n'est pas apparu d'une manière spontanée, issu du néant ; il a été le prolongement et le réceptacle de traditions antérieures.

Le carnaval, fête non canonique dans le calendrier chrétien, est le prolongement de pratiques antérieures au christianisme, et en même temps a été conforté et défini involontairement par l'Eglise. Réceptacle de pratiques ancestrales, le carnaval s'est épanoui, célébré clandestinement ou largement toléré à l'intérieur de la logique chrétienne, entrant même comme un préalable dans le cheminement rédempteur et purificateur vers le mystère pascal » .Michel Feuillet.Le Carnaval.Cerf

 

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C'est bien le sens d'une œuvre picturale célèbre .En 1559, Pieter Brueghel L'ancien, peint le Combat De Carnaval Et De Carême : deux chars carnavalesques s'y affrontent symboliquement sur une place de marché, le Mardi Gras et le Mercredi Des Cendres. A la vie de plaisir matérialisée par une auberge, s'oppose l'observance religieuse stricte marquée par une église à l'architecture soignée. Pour l'auteur, ce symbolisme signifie que les festivités carnavalesques doivent faire place l'entrée en carême.

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Le Concile de Nicée, en 325, codifie le calendrier liturgique chrétien : Pâques est au centre du dispositif religieux et fixe les autres dates C'est au IVe siècle, que l'Église chrétienne fixe aussi le début de son calendrier liturgique à Noël, à la naissance de Jésus-Christ, qu'on place le 25 décembre au cœur des « Douze jours ». Une période de douze jours, entre Noël et l'Épiphanie, assure en effet la jonction entre l'ancienne et la nouvelle année civile chrétienne.

Le « carnaval chrétien » apparaît ainsi officiellement au début du second millénaire : le début du Carême est fixé, en 1091, au Mercredi des Cendres. On établit donc à cette époque une période de recueillement et de privation(ou non seulement on interdit l'alimentation carnée mais aussi les fêtes et les cérémonies) située au début de la nouvelle saison, au printemps.

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Le carême de 40 jours (quadragesina) précède donc la Résurrection du Christ et le renouveau du printemps : moment liturgique préparatoire et intermédiaire qui se place entre le nouveau et l'ancien, la mort et la vie. Le mannequin brulé de Carnaval annoncerait le Mercredi Des Cendres, l'entrée en Carême. L'un et l'autre Seraient donc inséparables dans le calendrier. Il resterait ainsi une ultime « débauche » avant l'ascèse, un acte de transition avant un nouveau cycle religieux et saisonnier. Van Gennep, lui-même a toujours refusé de voir dans le carnaval autre chose qu'un ensemble de rites de passage ,de « cérémonies de terminaison dramatisées. « Carnaval est mort » signifie qu'on ne doit plus manger de viande ; alors par endroits, on aurait eu l'idée de fabriquer un personnage appelé Carnaval ou Mardi gras, et de le faire mourir.

On a pu s'étonner pourtant que malgré les incantations et les condamnations des Pères de l'Eglise, l'assimilation du paganisme au démoniaque ou les dénonciations des masques,les mascarades n'aient pas alors disparu, bien au contraire. Il faut comprendre que si l'on remarque une certaine continuité de l'antiquité païenne jusqu'au moyen âge, c'est en fonction d'une politique de l'Eglise soucieuse en fait de surtout intégrer le férial antique, de le remodeler, de le fixer dans le calendrier chrétien en lui donnantr un autre sens.

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Le calendrier est l'œuvre des clercs qui au fil des ans se sont ainsi efforcés d'assimiler (conserver en occultant) des éléments des cultes païens ainsi que leurs fêtes.

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Toutes les fêtes païennes furent ainsi remplacées par des fêtes chrétiennes. La Chandeleur, par exemple, située sur le calendrier le 2 février, jour de la purification de la Vierge Marie, remplace la Lupercale, fête populaire romaine(voir article précédent). Les saints chrétiens emplissent le calendrier et supplantent les divinités populaires devenues des démons. Les douze jours où on a placé la Nativité correspondant au solstice d'hiver et aux calendes romaines de janvier où des mascarades animalières, des festins et des cadeaux marquaient l'année nouvelle(janvier reste la trace du dieu Janus).Les débordements masqués antérieurs subsisteront mais seront désormais bien balisés et arrimés dans le calendrier chrétiens. S'établit donc un ordre chrétien festif, facteur d'ordre et de cohésion où le carnaval prend sa place parmi des dates joyeuses comme la Saint-Jean ou la fête des morts placée en automne etc. Le Dionysiaque serait ainsi à la fois autorisé mais contrôlé.

 

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