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MOUNT EERIE – Eleven Old Songs (2005)

Publié le 19 mai 2008 par Oagd
Jour 52, Guillaume : MOUNT EERIE – Eleven Old Songs (2005) Eleven old songs of Mount Eerie vu par Thibault Balahy À l'automne 2002, le temps est sûrement venu pour Phil Elverum, alors connu pour son projet The Microphones, de se recentrer. De regarder en arrière, analyser son parcours, faire le point, afin d'aller de l'avant à nouveau. Il est désormais seul, et pour de bon. Cela a ses avantages dans un sens, être seul : plus libre de ses choix, plus mobile, une seule clé en poche, celle d'un vieux break par exemple, et la possibilité de faire tenir sa vie dans ce grand coffre, de tailler la route à tout moment. Phil Elverum a bien potassé, il a lu et relu les œuvres de l'essayiste du siècle XIX, Henry David Thoreau, tel Walden et ses nombreuses réflexions sur le bénéfice d'une vie simple, à l'écart de la civilisation, dans les bois. À l'approche de l'hiver de la même année, Phil Elverum décide de s'exiler en Norvège pour y passer quelques longs mois sur la presqu'île de Kjerringøy, isolé dans l'une des cabines désertées d'une zone balnéaire maculée de blanc, sans eau courante ni électricité, où la nuit le dispute à de très courtes journées. C'est là-bas qu'il écrira ce qui deviendra trois ans plus tard ces Eleven Old Songs, immortalisées sous la nouvelle identité Mount Eerie, du nom de la montagne qui dominait son enfance et les forêts qui recouvrent l'île de Fidalgo, tout au Nord de la Côte Ouest, entre Seattle et Vancouver. Tout commence toujours par une rupture, on le sait. Phil Elverum rompt délibérément des liens, se détache enfin d'une relation amoureuse devenue complexe. Ces cinq années qu'il aura vécu à Olympia, à fréquenter les studios Dub Narcotic, à participer aux sessions d'enregistrement de nombreux autres artistes du label K Records (Mirah, Little Wings, Beat Happening...) et à occuper la batterie au sein du groupe Old Time Relijun, ne lui auront pas ôté de l'esprit la possibilité de continuer un temps seul. Depuis longtemps déjà, quand il enregistrait ses premières chansons dans l'arrière-boutique du disquaire de sa ville natale, Anacortes, Phil Elverum pensait solo. La différence est de taille, entre penser groupe et penser solo, la philosophie est toute autre. Les autres membres n'ont d'ailleurs pas compris au début quand il a annoncé son départ me confiait, il y a peu, Aaron Hartman, le contrebassiste : « Quoi ? Un projet solo ? mais t'es pas bien, qu'est-ce qui te prend ? ». Bien qu'il ait été un temps disquaire donc, Phil Elverum n'a pourtant rien du héros de Nick Hornby. Il ne réduit pas sa vie à un sempiternel top five, non, il préfère même lui donner des allures lo-fi. Lo-fi comme basse fidélité. Non pas que le garçon ne soit pas fiable, mais plutôt parce qu'il a souvent choisi d'enregistrer ses disques de manière autonome. Pour la petite histoire, le terme lo-fi, d'abord consacré dans le rock pour qualifier la piètre qualité sonore d'un enregistrement (effectué sur un quatre-pistes et dans une salle de bains ou un garage par exemple), a ensuite désigné dans les années 90 un sous-genre indépendant, mélodique mais volontiers amateur et dissonant. Sensibles à l'essence crasseuse du concept, certains groupes de la deuxième vague de Black Metal scandinave se sont eux aussi revendiqué du lo-fi. Ne vous étonnez pas donc si, en soirée, un type à la voix gutturale habillé dans un style néo-médiéval se dit à la fois épris de satanisme et de lo-fi. Bien que catégorisées lo-fi par les journalistes, les productions de Phil Elverum ont pourtant, paradoxalement, toujours été l'objet d'une fascination. Ce n'est pas pour rien que son précédent projet s'appelait The Microphones ; omnidirectionnels et cardioïdes, ses enregistrements finalement très travaillés, spacieux, ornementés (son album de 2001, The Glow Pt. 2, en est l'aboutissement), se révèlent capables de restituer dans un même moment l'éloigné, la rivière que l'on devine, la corne de brume qui souffle au loin, et le très rapproché, les infimes variations de la voix, le froissement d'un vêtement, le grincement d'un tabouret. Aussi nettement : le chaos électrique, le bruit saturé, les percussions massives, l'acoustique, le nylon pincé. En somme, une version lo-fi savamment orchestrée.                   Autoportrait de Phil Elverum sur fond vert   Rétrospectivement, cet album définit le passage à une vie nouvelle. Il aura fallu laisser s'écouler trois ans, clore la parenthèse The Microphones avec l'album justement nommé Mount Eerie, et puis jouer cent, deux cent, trois cent fois ses chansons en public avant de les coucher sur disque. Eleven Old Songs : simplement onze vieilles chansons. Comme on marquerait « ustensiles de cuisine » ou « photos de famille » sur un carton de déménagement. Cette dénomination sommaire, matérielle presque, sans rêverie, sans avenir, semble circonscrire un temps et un lieu révolus. On pourrait dire : ces onze vieilles chansons ne sont plus vraiment moi, mais elles en étaient chargées autrefois. Je les ai réunies là, rangées sur ce disque, non pas un disque à fond blanc, pour reprendre la distinction de Sylvain- et cela aurait très bien pu pourtant, si je les avais enregistrées depuis ma cabine entourée de fjords cet hiver-là - mais un album à fond de couleur, un album à fond vert précisément. Cette fois-ci, j'ai procédé par trucage, comme on fait parfois en vidéo. J'ai rejoué la scène. J'ai abandonné cette guitare, cette batterie, ces effets et j'ai préféré opter pour l'instrument-roi en matière de trucage, a priori conçu pour imiter tous les autres instruments, mais aussi maladroitement qu'un type sans talent qui s'hasarderait à imiter d'autres accents que le sien.   Le synthétiseur Casiotone devient le compagnon idéal des divagations en solitaire (un artiste en a même fait le nom de son projet, Casiotone for the Painfully Alone), devance ici la voix, laisse défiler sa bande synthétique, quasi-plastique, ses beats préprogrammés et ses harmonies de pacotille, tandis que Phil Elverum chante par-dessus, sa voix résonnant comme par incrustation. Le Casiotone enlève du drame, car il ne contient pas l'homme et sa détresse, ne pénètre pas sa voix. Sa voix et lui ne peuvent agoniser ensemble. Lorsqu'il stoppe net ses petites nappes parfois à la lisière du guilleret pour imiter un orgue qui souffre un peu, l'instrument ou l'animal c'est au choix, ou laisser place à des field recordings de roulis de bateaux ou de troupeaux dans la nuit, c'est au choix, la voix de l'homme ne cherche pas à s'imposer, elle se retire. Et lorsqu'elle chante, c'est pour ainsi dire a cappella, pour elle-même, sur un fond interchangeable, sur fond vert. Ce fond au final ne compte pas, il efface juste le poids des ans et, plastiquement périssable, met ces textes hors temps. Cela aurait très bien pu être du clavecin derrière l'homme, il y a très longtemps, cela pourra très bien être un instrument à eau dans cinquante ans.   Ces chansons resteront longtemps, un petit culte s'érige patiemment autour de Mount Eerie. Phil prévoit de publier en novembre prochain un livre qui s'intitulera Dawn, et qui contiendra ces onze chansons, assorties de huit autres, ainsi que son journal personnel de l'époque et ses photographies. D'après les conseils de Phil, ses chansons se prêtent à l'écoute au casque, couché, le corps en X, les paumes des mains ouvertes, open-handed comme il le chante en ouverture du premier titre, broken-hearted, oui, le cœur brisé est certainement un plus, et non pas wide-eyed comme il le formule quelques titres plus loin mais les yeux aux trois-quarts fermés et la bouche entrouverte, tout comme les fenêtres, qui battent un peu, toutes lumières éteintes. Une chanson condense l'histoire, elle s'appelle Great Ghosts et dit à peu près ça :   J'avais mes espoirs quant à ce que je deviendrais Après l'exil Après que tous les yeux se sont refermés sur moi   J'ai même romancé des scènes dans lesquelles Je refaisais surface courageusement, Barbu, en vie, avec des yeux d'eskimo Et un nouveau bébé sur le dos   Mais c'était sans compter les fantômes Qui occupent mon esprit Passagers clandestins Les merveilleux fantômes de ma vie Les merveilleux fantômes de mes anciennes femmes Et leur hurlement     Sur son site personnel, Phil Elverum propose en téléchargement gratuit l'album "ELV00negative2- Seven New Songs of Mt. Eerie", qui contient des versions acoustiques de deux de ces chansons anciennes.   Mount Eerie sera en concert le lundi 09 juin à Mains d'œuvres (Saint-Ouen), accompagné de l'artiste québécoise Geneviève Castrée qui présentera son projet Ô Paon.

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