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Entretien avec Oiseaux-Tempête

Publié le 10 juin 2014 par Vargasama
Dans le paysage musical actuel, rares sont les groupes qui laissent une grande place à l’improvisation, aux émotions et aux sensations. Des groupes qui conceptualisent, taillent leurs compositions, leurs disques afin de créer une musique qui nous parle sans qu’aucun mot ne soit prononcé. De l’obscurité qui nous entoure, Oiseaux-Tempête arrive à nous montrer une lumière qui subsiste, un profond espoir. Rencontre au téléphone avec Frédéric D. Oberland, guitariste de Oiseaux-Tempête et partie indissociable de cette entité quadricéphale qui ne demande qu’une chose, vivre et partager…
On peut dire que le groupe est assez jeune car créé en 2012. Comment vous êtes vous rencontrés ?

Au début, il n’y avait pas l’idée de fonder un nouveau groupe. Le point de départ c’est un désir commun avec Stéphane C. qui est photographe et vidéaste (ces photos illustrent l’album). Il aimait notre travail à Stéphane Pigneul et moi. Nous avons eu l’idée de partir en Grèce et de travailler sur un élément non-identifié qui pourrait être à la fois un film, une installation, un album, des photos. Stéphane C. y est parti 6 mois, je l’ai rejoint à trois reprises. J’avais l’idée de faire la bande son du film, j’avais même commencé à enregistrer quelques idées à la maison. Puis entre deux voyages, j’en ai parlé à Stéphane Pigneul avec qui je jouais déjà dans Le Réveil Des Tropiques et FareWell Poetry. Je lui ai naturellement proposé de rejoindre l’aventure, de composer ensemble, sous forme de jams. Nous avions envie d’un batteur. Quasi au même moment, j’ai rencontré Ben McConnell à un concert de Marissa Nadler. Il s’est installé vivre à Paris et nous nous sommes revus, avons fait une première repet’ à trois et le résultat était super ! Nous partions en impro totale, tout en ayant en toile de fond cette possible B.O. Après cette repet’ nous nous sommes retrouvés à faire un concert de façon tout à fait informelle, nous n’avions même pas encore de nom et suite à ça, nous nous sommes dit qu’il fallait qu’on aille en studio. Que c’était important de capter cette énergie-là dans l’urgence et de la relier aux voyages qu’on avait entrepris Stéphane C et moi. Direction Lyon, dans le studio tenu par notre pote Benoît Bel, Mikrokosm. Et c’est là que Oiseaux-Tempête est né.

Vous êtes tous les trois engagés dans de nombreux projets, comment trouvez vous le temps de composer ? Est-ce un travail que vous réalisez ensemble ou chacun de votre côté ?

A la base, notre musique au sein de Oiseaux-Tempête est vraiment improvisée. Quand nous sommes arrivés en studio pour faire ce premier album, nous avions quelque petites idées de thèmes, mais rien de vraiment précis, le champs était complètement libre. Nous nous sommes donc laissés aller naturellement. Stephane C. nous a rejoint en studio et nous projetait parfois des rushes video hi8 et des photos qu’il avait capté en Grèce. Nous avons donc pu nous connecter à son travail. C’était très inspirant. Nous avons joué pendant trois jours et enregistré environ 17h de musique. Une fois rentrés à la maison, Stéphane Pigneul et moi avons tout dérushé. Et inclus certains « fields recordings » et interviews que Stéphane.C et moi avions prises en Grèce, dans une perspective narrative, en essayant de rester fidèle au geste initial. Certains des titres n’ont quasiment pas été coupés, alors que d’autres jams de 17 minutes se sont rétrécis à 4 ou 5 minutes. Il n’y a pas eu vraiment de règles. Nous sommes partis sur une base d’improvisation qui ensuite nous à permis d’écrire, de composer, de structurer.

« J’ai l’impression que ce que l’on défini en tant que post-rock est quelque chose de relativement codifié et je n’ai pas du tout l’impression que nous allons dans cette direction là. »

Oiseaux-Tempête semble être bien plus qu’un simple groupe de musique, à la fois militant et possédant une identité visuelle bien définie. Peux-tu nous en dire plus sur le message que veut transmettre le groupe ?

Je pense que l’on va lancer un parti politique (rires). Plus sérieusement, nous ne sommes pas des activistes, nous sommes tous les trois des musiciens, Stéphane.C est vidéaste et photographe. Nous sommes des artistes qui nous exprimons avec nos moyens d’actions en essayant de transmettre des choses. Nous partageons évidemment ensemble une certaine vision du monde actuel et et de ce qui s’y passe, pas simplement en Grèce, mais dans notre société occidentale en général. C’est cette nécessité-là qui nous a encouragé à entamer ces voyages avec Stéphane C., puis à tenter de le retransmettre dans ce disque avec son et photographies. Il y a une crise économique, sociale, mais c’est aussi une crise de la pensée. Nous ne sommes sans doute pas condamnés à ce non-choix entre une sorte de monde complètement déréglé économiquement où le pouvoir est aux mains de quelques individus non élus, séparant les gens dans la pauvreté ou la société de consommation, et des dictatures toutes fascisantes, qu’elles soient nationalistes, populistes ou religieuses. Cette question là se pose en Grèce de manière évidente, mais elle se pose aussi dans toutes les démocraties. Encore une fois, c’est avant tout un disque de musique, illustrés par des photos. Mais derrière tout ça, il y a une foi dans l’humain. Ce n’est pas un constat désenchanté, nous avons essayé d’en extirper de la lumière.

La musique de Oiseaux-Tempête semble puiser ses inspirations dans des groupes comme Godspeed You Black Emperor !, Thee Silver Mount Zion et toute cette branche du post-rock qui prend plus de plaisir à créer des ambiances intenses plutôt que tout miser sur une débauche de puissance. Sens-tu une affiliation particulière à ces groupes là ?

C’est compliqué, le terme même de post-rock, n’est pas un terme que j’affectionne particulièrement. Peut être parce que chez nous, il a une connotation plus négative que dans d’autres pays. Mais même au delà de ça, je ne sais pas si nous pouvons être considérés comme un groupe de post-rock. Nous sommes avant tout un groupe de rock, improvisé, c’est notre mode de fonctionnement. Nous n’aimons pas les étiquettes et nous ne nous sommes jamais posé la question du « genre » de ce que nous allions faire ou de ce que nous faisons. C’est toujours dur de parler en terme d’affiliation car les groupes que tu as cité sont des groupes que, je pense, nous avons tous les trois écouté, mais ce sont loin d’être à tous nos groupes de références. Stéphane Pigneul te dirai plutôt Slint, Labradford, Pan American qui sont pour lui des groupes super importants. Pour ma part, par exemple j’adore Dirty Three, Low, Einsturzende Neubauten ou Ornette Coleman. Et on écoute toujours plein de trucs tout le temps, on se passe des albums, nos playlists changent. Le fait de fonctionner en improvisation permet de faire abstraction de certains codes. J’ai l’impression que ce que l’on défini en tant que post-rock est quelque chose de relativement codifié aujourd’hui et je n’ai pas du tout l’impression que nous allons dans cette direction là.Oiseaux-Tempête-recording-photo-Stéphane-C-02

Crédit Photo : Stéphane C.

Votre album « Re-Works » vient de sortir. Il est peu courant de voir un groupe comme Oiseaux-Tempête proposer un disque de « remixs », comment vous est venue cette idée ?

Assez rapidement, en fait. Nous avions proposé les pistes aux remixeurs avant même la sortie de l’album original. C’est une idée qui nous trottait dans le tête depuis assez longtemps. Nous sommes un peu des enfants des années 90, période durant laquelle sortait un grand nombre de disques de remixes. Secrètement, nous avions donc envie de nous y coller aussi, et ça nous a paru intéressant de le faire avec ce premier disque de Oiseaux-Tempête. Nous n’avions pas envie de remixes au sens classique du terme, où l’on va chercher la version un peu dansante ou techno d’un titre. Nous avons laissé une liberté totale aux remixeurs, la possibilité de choisir les morceaux, d’en utiliser le tout ou des parties, de s’en inspirer pour créer de nouveaux titres en quelque sorte. Ca a rendu d’emblée la chose super excitante, car nous ne savions pas ce que le résultat allait donner. Et on a été heureusement surpris ! Nous sommes heureux et fiers que tous ces musiciens de talent à qui nous avons demandé de travailler sur une relecture de notre premier disque aient pris du temps pour le faire si bien. Et ça avait donc du sens de le sortir comme un album à proprement parler, qui éclaire autrement le disque originel, avec l’aide de Sub Rosa et des copains de Balades Sonores.

Comment avez-vous choisi les participants ?

Nous avons assez vite envoyé les pistes à des potes comme David de Witxes, David de Leopard of Honour, Colin Johnco, Greg et Romain de Saåad par exemple, mais aussi à des musiciens que nous avons rencontrés sur la route comme May Roosevelt ou Dag Rosenqvist. Mais aussi à d’autres artistes que nous ne connaissions pas du tout mais dont on aimait bien le boulot. Des bouteilles à la mer. Certains n’ont pas répondu, d’autres n’avaient pas le temps, alors que certains comme Robin Rimbaud Aka Scanner ou Justin (Do Make Say Think) ont répondu très rapidement. Nous avons donc eu de super surprises !

Faire « remixer » un de ses titres par Justin Small doit être quelque chose d’assez excitant non ? Surtout quand, comme tu l’as dit tu ne savais même pas s’il allait répondre à votre mail ?

Nous sommes vraiment contents de tous les remixs que nous avons reçu. Celui de Justin comme les autres. Ce qui était surtout important pour nous était que les personnes qui accepteraient de le faire, le fassent avec cœur. Qu’ils le fassent dans l’optique de faire un chouette morceau, qu’ils se l’accaparent en quelque sorte. Et finalement, c’est le point commun de tous ces remixes.

Question piège : quel est ton titre préféré de « Re-Works » ?

C’est très compliqué ! Pour ma part, je les aime tous et ce, pour des raisons très différentes. Le pari était d’essayer de construire quelques chose de cohérent, que ce soit sur la version vinyle comme sur la version numérique (avec 2 titre en plus), qu’il y ait comme un narration du début à la fin du disque.

C’est vrai qu’en écoutant « Re-Works », on sent une vraie cohérence dans les titres, rendant le disque très homogène. A l’image de l’album original.

Cool, merci ! Nous en sommes très fiers et quelque part nous sommes contents d’arriver à nous retrouver dedans.

Difficile de parler de Oiseaux-Tempête sans parler de Farewell Poetry, avez-vous des projets à venir ?

Nous sommes entrain de préparer un nouvel album qui devrait être prêt d’ici 2015 je pense. Nous travaillons sur une nouvelle formule avec de nouveaux arrivants, comme Ben, batteur de Oiseaux Tempête et Agathe Max, une incroyable violoniste électrique. Nous avions envie de trouver de nouvelles manières de composer ensemble. Il y aura de nouveaux films de Jayne Amara Ross, évidemment. Et on revient tout bientôt sur scène à Paris, un concert un peu spécial avec des invités, le 27 juin à l’Auditorium St-Germain.

« J’ai à la fois une envie de vivre intensément mais aussi une envie de partager un maximum de choses. »

Oiseaux-Tempête, Farewell Poetry, Le Réveil des Tropiques, etc. Tu travailles sur un grand nombre de projets ! Être constamment dans une phase créatrice, est il un besoin ?

Ouais ! (rires) C’est un besoin , c’est sûr. J’aime bien vivre les choses comme ça car je déteste m’ennuyer, ça me fait déprimer… J’ai quatre groupes dont Rustle Of The Stars avec Richard Knox et les trois autres avec Stéphane Pigneul. C’est une question d’organisation en fait. Ca fait partie de notre « travail » d’arriver à trouver comment bien agir dans chaque projet, comme gérer notre énergie au quotidien. Ca peut paraître hyperactif, mais dans les années 70 ou 80, certains artistes sortaient 4 albums par an. Après, faire partie de différents projets, ça permet aussi d’être au service de différentes choses, de gérer son égo différemment. C’est très enrichissant ! J’ai à la fois une envie de vivre intensément mais aussi une envie de partager un maximum de choses.

Y’a t’il des projets ou des envies que tu n’as pas encore eu le temps de réaliser et auxquels tu penses déjà ?

Plein ! Mais en ce moment, je suis vraiment concentré sur Oiseaux-Tempête (on vient d’enregistrer le nouvel album en formule trio, featuring Garteh Davis à la clarinette basse) et Farewell Poetry. On parle d’un nouvel album du Réveil des Tropiques aussi. J’aimerai également faire des disques seul au clavier ou au piano et je travaille parfois sur des B.O de films. Beaucoup de choses, quoi…

Dernière question : pourquoi Oiseaux-Tempête ?

(rires) C’est un nom indien, un nom totem, comme Oiseaux-Tonnerre. L’oiseau-tempête est un palmipède de haute-mer qui annonce la tempête. Et ça nous ait tombé dessus assez rapidement, comme le reste…

Crédit Photo Couverture : Michael Ackerman

interview oiseaux-tempete post-rock rock

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