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La guerre au cinéma

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Centenaire de la Première Guerre mondiale, soixante-dixième anniversaire du débarquement allié… 2014 est décidément propice à la célébration des grandes guerres qui ont fait le XX° siècle. Mais le XX° siècle, c’est aussi le siècle qui a vu se développer et mûrir le cinéma, dont on dit souvent que le code s’est stabilisé, justement, dans les années 1910-1920.

Un siècle de guerres et de cinéma : voilà peut-être ce qu’il convient de souligner en cette année 2014. C’est l’occasion d’interroger les rapports qu’entretient le septième art avec les formes de la guerre, vieux sujet d’art s’il en est, qui a trouvé dans le cinéma un nouveau moyen d’expression. Que ce soit à des fins d’information, de propagande ou de dénonciation, le tournage d’images de guerre a très tôt constitué une part importante du cinéma, entre conflit documenté et fiction guerrière.

Pour constituer ce Sujet du mois, nous nous sommes attachés à varier les films pour donner à voir plusieurs conflits, de la Première Guerre mondiale (La grande Illusion, Les Sentiers de la Gloire) jusqu’au Vietnam (Apocalypse Now, La Déchirure) en passant par la Seconde Guerre mondiale, en Europe (Inglourious Basterds) et dans le Pacifique (La Ligne rouge).

Documentaire, journalisme, fiction

L’arrivée de l’image en mouvement a permis d’amener la guerre sur les écrans : opérateurs envoyés sur les lieux des conflits, images d’actualité diffusées dans les cinémas… Le rôle joué par ces  images documentaires rappelle l’importance du rapport ambivalent du XX° siècle à l’image, conçue comme preuve mais toujours mise en doute. L’image des conflits devient ainsi un instrument de mémoire et de témoignage : les Américains dépêcheront leurs opérateurs en Europe pour filmer l’ouverture des camps, les procès de Nuremberg seront filmés et diffusés, et il est désormais acquis qu’un conflit nécessite l’envoi de journalistes et surtout le retour d’images. Au-delà du documentaire seul, cette pratique de "l’image de terrain" a influencé la forme du film de guerre, même fictionnel : on ne compte plus les plans filmés en caméra embarquée (Il faut sauver le soldat Ryan par exemple).

Notre vision de la guerre a ainsi été modifiée par le rôle grandissant et varié qu’a joué le cinéma dans sa représentation. Il suffit pour cela de revoir Images du monde et inscription de la guerre, où Harun Farocki souligne adroitement comment les conflits hantent désormais notre mémoire, et les images.

Évolutions et diversité des représentations

Depuis 1895 et son invention, la façon par laquelle le cinéma a représenté la guerre a bien entendu évolué. C’est une évolution qui tient autant à ses propres moyens d’expression – l’évolution des techniques permettant désormais aux cinéastes de sortir des coulisses de la guerre pour en montrer le terrain – qu’à la particularité de plus en plus marquée de chaque conflit : le champ de bataille ouvert d’une guerre napoléonienne n’a rien à voir, tactiquement, historiquement mais aussi, par voie de conséquence, esthétiquement, avec la traque d’un terroriste au début du XXI° siècle.

Remarquons en outre une évolution des personnages guerriers : si bon nombre de ces combattants sont filmés dans leur activité "professionnelle" (sur le champ de bataille, à l’entraînement, en prison…), il est de plus en plus courant d’accroître leur part d’intimité : du Jour le plus long au Soldat Ryan, de Paris brûle-t-il ? à Diplomatie (bien que ce dernier ne soit pas à proprement parler un film de guerre), on passe d’une représentation du collectif à la focalisation sur quelques individus. Ce besoin de "l’histoire vraie" et intime – qui explique aussi la mode du biopic – est révélateur de la nécessité d’un rapprochement sensible du public avec des conflits qui lui sont désormais historiquement lointains.

Enfin, signalons que bon nombre des films de guerre sont américains. Au-delà d’une explication économique – les productions américaines bénéficiant bien souvent d’apports financiers plus importants que le reste des productions mondiales – cette prédominance historique des États-Unis sur le genre s’explique par le rapport qu’ils entretiennent avec des conflits qui se sont généralement déroulés (et se déroulent encore) en-dehors du territoire américain : cet éloignement géographique (et, par conséquent, culturel) justifie la création d’images pour documenter le conflit mais aussi incorporer au film une dose d"’exotisme" jamais négligeable.

Des rapports privilégiés

L’intérêt du cinéma pour la guerre est donc évident et ancien. Le cinéma hérite de plus de 2000 ans de multiples lectures du sujet. Épopées, tapisseries, tableaux : la guerre est un sujet classique en histoire de l’art, un sujet qui occupe l’homme et son histoire et dont il faut par conséquent témoigner. Mais le cinéma s’est progressivement imposé dans la représentation guerrière. En tant qu’enregistrement du réel, la technique cinématographique est ainsi devenue un nouvel outil de communication, faisant le lien entre le terrain du conflit et l’arrière des civils.

Mais au-delà de cette prédisposition technique, la représentation de la guerre par le cinéma est aussi restée de l’ordre de l’exploration esthétique. Le rapport privilégié du cinéma à la représentation de la guerre tiendrait ainsi à la fois à des raisons techniques (captation du mouvement, mémoire sur la pellicule des hommes tombés au combat) et aussi et surtout à des raisons éthiques. La question à se poser est donc : que peut le cinéma face à la guerre ? En la remettant en jeu (littéralement : le film rejoue la guerre), le cinéma peut la ré-interroger, en donner à voir les coulisses.

C’est bien entre visibilité (la part officielle, rendue visible, du conflit) et invisibilité (ses aspects méconnus ou dissimulés) que dialoguent l’image de cinéma et la guerre : face aux combats sans images, le cinéma peut imposer et créer ses propres images, jusqu’à déranger ; certains films choisiront de tourner leur regard ailleurs que vers le champ de bataille pour donner à voir l’arrière-boutique de la guerre.

En somme, face à la césure anthropologique de la guerre, la démarche éthique du cinéma – rendre au visible l’invisible – reposera bien sur ces deux modalités : créer les images manquantes  ou donner à voir l’envers du décor, contre les images officielles, avec la condamnation que cela suppose. Le cinéma construit donc, avec la guerre, un véritable rapport esth-éthique.

Alice Letoulat


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