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Entendre des voix

Par Carmenrob

Cet été, Félix Leclerc aurait eu 100 ans. L’été prochain, papa aurait eu 100 ans à son tour. Ils étaient de la même cuvée. J’ai été élevée au son de leur voix. Papa, autour de la table, Félix, au salon, sur le tourne-disque. Parfois papa au salon, lui aussi. Debout à côté du piano qu’animait maman. C’était quand il y avait de la visite, des soirées de chant et de musique. Qui nous enchantaient. La soirée finie, le quotidien reprenait ses droits. Et on écoutait encore Félix. Mais pas juste Félix. Tex Lecor aussi. Et Colette Boky et ses grands airs d’opéra. Et Mathé Altéry et ses vieilles chansons françaises. Mes sœurs aînées avaient des piles de 45 tours : Elvis, Pat Boone, Perry Como, Nat King Kole… Ça ne m’intéressait pas. Je ne comprenais pas les paroles. Peu après, les Beatles soulevaient les adolescentes du monde entier. Ça ne m’intéressait toujours pas. C’était toujours Félix. Et Gilles Vigneault et tous les autres qui, sur quelques accords de guitare, quelques coups d’archet, quelques arpèges, nous faisaient découvrir la parole, notre parole, nous révélant à nous-mêmes. Un propos que je pigeais à peine. J’étais tout juste adolescente! Mais ces chansons me bouleversaient et me bouleversent encore.

Alors, hier soir, au Palais Montcalm, quand j’ai entendu ces voix… 500 voix! Des enfants, des adultes, des solistes, des chefs de chœur. La chaude élocution de l’animateur Winston MacQuade, les accents de petite fille de Nathalie Leclerc. Mais surtout la voix inoubliable et terriblement émouvante de Félix. En fait, je n’ai entendu que lui, que sa voix à lui, son écho répercuté par toutes ces bouches, tous ses cœurs. Sa voix qui lisait Pieds nus dans l’aube, qui disait l’enfance, le bonheur, la musique, la nature, le refus de vieillir.

« Nous sommes tous nés, frères et sœurs, dans une longue maison de bois à trois étages, une maison bossue et cuite comme un pain de ménage, chaude en dedans et propre comme de la mie.

Coiffée de bardeaux, offrant asile aux grives sous ses pignons, elle ressemblait elle-même à un vieux nid juché dans le silence. De biais avec les vents du nord, admirablement composée avec la nature, on pouvait la prendre aussi, vue du chemin, pour un immense caillou de grève.

C’était en vérité une têtue, buveuse de tempêtes et de crépuscules, décidée à mourir de vieillesse comme les deux ormes, ses voisins. »

Sa voix qui chantait l’amour, la mort.

« C´est beau l´amour/tu l´as écrit sur moi

C´est bon l´amour/quand tes mains le déploient

C´est lourd l´amour/accroché à nos reins

C’est court l’amour/et ça ne comprend rien. »

Et l’humour aussi, toujours un peu caustique. Comme lorsque, le sourire en coin, il amène la veuve à conclure que nos chagrins ne font mal qu’à nous, aux autres ils font du bien. Et v’lan dans l’hypocrisie de l’establishment!

Hier, je me sentais comme lorsqu’on entend soudainement un vieil enregistrement de son père en allé : à la fois heureuse et triste, comblée et nostalgique. Car c’est bien des retrouvailles avec le père que je vivais. Un de ceux (ils sont rares) qui nous ont appris à parler, qui nous ont tenus par la main pour nous faire découvrir la beauté, comme l’évoquait Nathalie en relatant une anecdote de son enfance.

On a beau se dire que Félix survit dans son œuvre, son absence nous laisse tous orphelins.

C´est grand la mort, chantait-il, c´est plein de vie dedans. Ouais…

Aujourd’hui, je suis sortie marcher, mes écouteurs scotchés aux oreilles. Et c’était plein de vie dedans. :-)

Le Grand Chœur Félix-Leclerc, au Palais Montcalm, le 9 septembre 2014

P.S. Pour qui serait désolé d’avoir raté cet événement, il est bon de savoir qu’il y aura une autre représentation à l’église de la Nativité de Beauport, le 13 septembre 2014, avant qu’une partie de la chorale parte en tournée en Europe.


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