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Rencontre avec Mattie Do, cinéaste laotienne

Publié le 13 juin 2014 par Desfilmsetdesmots @DfilmsetDmots

Dearest-sister_real-MattieDoDans le cadre de la Fabrique des Cinémas du monde (programme dont je vous parlais ici), les rencontres autour des jeunes cinéastes venus présenter leur projet se multiplient. Mattie Do, réalisatrice laotienne, est l’un des dix talents dont le projet a été retenu pour participer au programme. Touche-à-tout passionnée à l’enthousiasme communicatif, la jeune femme nous a parlé de son prochain film – qu’elle espère pouvoir mener à bien grâce aux futurs co-producteurs -, de son parcours atypique, mais aussi de son pays. Coup de projecteur sur une cinéaste pétillante aux vies multiples.

Des Films et des Mots : Vous êtes venue présenter votre nouveau projet, Ma chère soeur. De quoi parle votre prochain film?
Mattie Do :
C’est l’histoire de deux femmes issues de la même famille mais aux conditions de vie radicalement différentes. La première est une jeune paysanne pauvre du Sud du Laos. La seconde habite en ville et vie aisément grâce à son mari. Mais celle-ci perd peu à peu la vue et a besoin d’une aide au quotidien. Sa cousine, pour qui elle n’a que peu d’égard, vient pourtant la soigner. A mesure que la cécité la gagne, la jeune femme commence à avoir des apparitions, à prédire l’avenir. La paysanne, qui s’habitue très vite à son nouvel environnement, fastueux et confortable, comprend qu’elle peut gagner au loto grâce aux informations que sa cousine reçoit. Mais une opération chirurgicale pourrait changer la donne, favorablement pour l’une, beaucoup moins pour l’autre…
Au-delà des différences sociales, ce film parle surtout des difficultés relationnelles, tant entre les deux cousines qu’au sein du couple, dont le mari, un occidental, ne comprend pas les coutumes et les croyances de son épouse. Le dialogue est impossible car l’un et l’autre restent enfermés dans leur culture sans faire l’effort de s’ouvrir à l’autre. Ce film témoigne de la difficulté des mariages mixtes, l’une des réalités du Laos.

DFDM : Il semble régner cette même atmosphère fantastique que dans votre premier film, Chanthaly, sorti l’an dernier.
M.D : Au Laos, le rapport aux esprits est très fort. Chanthaly est une jeune fille à la santé fragile, cloitrée par son père, hantée par des souvenirs qui lui échappent. Elle tente de libérer l’esprit qu’elle pense appartenir à sa mère retrouvée pendue quinze ans plus tôt, mais son père s’oppose à ce cérémonial, de la même manière qu’il semble lui refuser les réponses à ses questions. Cette ambiance inquiétante où se manifestent des phénomènes irraisonnés me plaît beaucoup. J’aime distiller du mystère, ménager un certain suspens et refléter l’inquiétude des personnages par des événements extérieurs. Cela permet aussi de laisser certaines interrogations en suspend, à la libre interprétation du spectateur.

DFDM : Chanthaly est le premier film laotien réalisé par une femme. Comment a-t-il été reçu?
M.D : Le Laos a encore beaucoup de chemin à faire pour développer son industrie cinématographique. Depuis que le cinéma existe, seuls neuf films ont été réalisés! Nous n’avons pas d’école de cinéma et les films se font avec des budgets très serrés. Le fait d’être la première femme cinéaste dans mon pays me rend très fière. Mon premier film fait la part belle aux rôles féminins – ce qui est également le cas dans Ma chère soeur -, des personnages déterminés, forts et courageux, qui contrebalancent la tendance à cantonner les actrices dans des seconds rôles de faire-valoir passifs et futiles. Chanthaly a eu un petit impact auprès des femmes, leur permettant de découvrir que l’on pouvait tourner des films dans leur pays et qu’il est possible de gagner sa vie en travaillant. Elles sont encore nombreuses à être femmes au foyer et ne pas avoir de revenus. J’espère que mon deuxième film les aidera à prendre conscience qu’une autre voie est possible.

DFDM : Comment êtes-vous venue à la réalisation?
M.D : Je suis réalisatrice par accident! Je suis partie il y a plusieurs années à Rome pour intégrer une école de danse classique. Finalement, j’ai bifurqué vers le métier de maquilleuse qui m’a permis très vite de travailler sur des films en Europe et aux Etats-Unis. De retour au Laos, je suis devenue consultante pour Lao Art Media, la plus ancienne société de production du pays. J’y ai rencontré Douangmany Soliphanh, mon producteur depuis lors, qui avait un projet en cours et recherchait un réalisateur. Mon mari, qui est scénariste, m’a poussée à relever le défi, alors que je n’avais jamais touché à une caméra! En quatre mois d’apprentissage intensif, je me suis formée au métier (l’expérience des tournages passés m’a été d’une grande utilité). Quand j’y pense, la spontanéité joue souvent en ma faveur… Quand j’ai été contactée pour candidater au programme de La Fabrique des cinémas du Monde, je n’ai eu que quelques semaines pour formuler mon projet, rédiger une ébauche de scénario et présenter ma candidature. Et me voici à Cannes…  Il faut croire que c’est un bon présage!


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