Magazine Info Locale

Télérama : La révolution est en marche

Publié le 11 juin 2014 par Pminguet

Je suis très fier de toute l’équipe du FabLab Net-IKi…. et un grand merci à Wéronika.

Covoiturage, logiciels libres, séjours chez l’habitant : le partage s’impose dans toutes les sphères.
Et serait même une sérieuse alternative au néolibéralisme.
Exemple à Biarne, dans le Jura.

Dossier réalisé par Weronika Zarachowicz
Photos Julien Mignot pour Télérama 11 juin 2014

Télérama : La révolution est en marche

Télérama 11 juin 2014

L’essayiste américain Jeremy Rifkin l’annonce dans son dernier livre paru aux Etats-Unis, The Zero Marginal Cost Society : l’économie du partage, ou économie collaborative, est une « révolution », capable de balayer deux siècles de capitalisme.
Dans cette économie, tout se partage – la musique, la voiture, les appartements… –, et de nouvelles
pratiques collaboratives – troc, achats groupés, nouveaux modes d’organisation du travail, agriculture paysanne et circuits de proximité… –se multiplient pour le « bien commun », c’est-à-dire
l’intérêt de tous. Sommes-nous face à une mythologie bobo et médiatique ou plutôt à une révolution
profonde de nos modes de vie ? Faut-il y voir de simples logiques de consommation anticrise ou
bien une vraie remise en question de notre rapport aux objets et à la propriété ? Plutôt que de tenter de résumer ce vaste champ d’expérimentations, où se côtoient aussi bien des petits acteurs locaux comme les Amap (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) que des géants comme Airbnb – ce site de location d’appartements chez l’habitant, valorisé à plus de 10 milliards de dollars… –, nous avons choisi de nous focaliser sur son potentiel créatif. Dans un petit village du Jura, par exemple, où s’échafaude et s’invente le premier « fab lab » (de l’anglais fabrication laboratory) rural de l’Hexagone. Nous poursuivons la visite en compagnie du philosophe Pierre Dardot et du sociologue Christian Laval, auteurs du formidable Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle. Pour eux, ce « commun » est la grande idée politique du XXIe siècle, une très sérieuse alternative au néolibéralisme.

A première vue, rien ne détonne à Biarne. Une église, une mairie ouverte deux fois deux heures, une jolie chapelle classée monument historique et, ce jeudi après-midi, quelques poids lourds qui déchirent le silence. Dans cette bourgade nichée dans la verdure vallonnée du Jura, à quelques kilomètres de Dole et de sa gare TGV, tout a fermé, café, commerces. Il faut pousser jusqu’à la blanche mairie pour découvrir une autre histoire que celle du village-dortoir de trois cent soixante habitants, victime de l’exode rural et du vieillissement de sa population. Là, au premier étage, s’épanouit le premier fab lab rural de France, Net-Iki (« ici » en franc-comtois).

Télérama 11 6 2014

Depuis trois ans, Biarne est devenu l’un des foyers français d’un mouvement que Chris Anderson, ancien rédacteur en chef du magazine Wired, la bible techno américaine, qualifie de « prochaine révolution industrielle » : des « ateliers communautaires de l’ère numérique » qui permettent à M. et Mme Tout-le-monde de fabriquer toutes sortes d’objets comme dans une mini-usine, en partageant des connaissances, des procédés et des plans en accès libre sur le Net. Le principe de ces laboratoires de fabrication a germé loin du Jura, dans la tête de Neil Gershenfeld, professeur au Massachusetts Institute of Technology de Boston et initiateur d’un cours sur les prototypes, « Comment fabriquer presque n’importe quoi ». Mais à Biarne, dans les deux anciennes salles de classe de l’école, fraîchement repeintes, souffle bien l’esprit du « do it yourself, do it with others » (« faites-le vous-même, faites-le avec les autres »).

La panoplie d’outils conforme à la charte des fab labs définie par Gershenfeld s’offre au visiteur, éparpillée sur des tables : la découpeuse à fil chaud, le scanner, des ordinateurs et la fameuse imprimante 3D qui permet de recréer le bouton cassé de son four à partir de quelques grammes de plastique. Commandée par un ordinateur, l’imprimante dépose de la matière, couche par couche,
jusqu’à créer l’objet souhaité, dessiné grâce à un logiciel ou scanné en 3D… 1 A Biarne, la philosophie fab lab s’affiche d’entrée : « Un fab lab, c’est une communauté, un partage de valeurs de bienveillance, de connaissances, dit Jean-Baptiste Fontaine, 29 ans, un des cofondateurs. Un lieu
pour casser les barrières transgénérationnelles, transdisciplinaires et cultiver l’intelligence collective.»
Tout a commencé dans une de ces réunions au format peu académique — un BarCamp —, une «non-conférence » dont le principe est « pas de spectateurs, tous participants ». Jean-Baptiste, fils d’agriculteur, fan du philosophe Bernard Stiegler et bien décidé à « changer le monde », rencontre
Pascal Minguet, expert en communication revenu au pays après quelques années parisiennes et initiateur d’une association qui réclame le haut débit dans les villages et « aide les ruraux à ne plus subir l’informatique ».
« On s’est d’abord mis à faire des achats groupés, à échanger des infos sur une page Facebook commune et, quand on s’est lancé dans ce fab lab rural, en 2011 avec JB, tout le monde était prêt », dit Pascal, 55 ans, pull mandarine et le rire qui rythme ses phrases.
Trois ans plus tard, Net-Iki agit comme un aimant. Deux jours par semaine, aux horaires d’ouverture de la mairie, s’y croisent plus de quatre-vingts adhérents de tous horizons, retraités ou geeks, garagistes ou architectes, qui font de ce fab lab le plus ouvert de l’Hexagone. On vient fabriquer un jeton de Caddie, un support d’antenne satellite, un modèle réduit de clocher comtois ou encore un prototype de mâchoire-mannequin développé par un étudiant en chirurgie dentaire de Besançon pour s’entraîner… « On travaille aussi avec des PME, des groupes de recherche et développement du coin, qui ont besoin d’imprimer en 3D », ajoute Pascal Minguet. Démarrée avec une subvention du conseil
général, Net-Iki est aujourd’hui autonome financièrement — « une preuve de plus qu’il faut faire confiance aux gens ! Le conseil général a largement rentabilisé ses 5 000 euros, quand on sait que le moindre rond-point coûte entre 1 et 1,5 million d’euros… » Ce jeudi, ils sont une petite dizaine, comme Adrien, ex-étudiant en agriculture devenu programmeur, Arnaud, jeune cantonnier passionné de numérique (il a formé Hubert Reeves à l’imprimante 3D au festival Atmosphères de Courbevoie !), ou encore Noëlle, rousse retraitée qui nous a covoiturés depuis Dole. Jean-Baptiste imprime une ministatue de la liberté — échevelée —, puis propose une partie de jeu de société collaboratif — «un défi, il en existe si peu dans notre culture compétitive ! »

« Ici, on refait ce qu’on ferait au café », dit Pascal. Ou naguère à la forge. « Hier, l’outil était sous nos yeux, chez le maréchal-ferrant, qui pouvait fabriquer les choses et nous l’expliquer, poursuit Jean-Baptiste. Aujourd’hui, l’usine est à l’autre bout du monde, fermée, opaque. On n’a aucune conscience des outils qui permettent de comprendre comment fonctionnent nos objets, comment les réparer et se les réapproprier. Le fab lab permet de lutter concrètement contre la première des dépossessions : celle des savoirs et des savoirfaire.» L’air de rien, les compagnons de Net-Iki touchent aux « absurdités du système actuel », dit Reynald Blondeau, son énergique président. « Je suis un enfant de la société de consommation, mais cette logique — acheter, jeter et remplacer
— commence à me gonfler ! Avec le fab lab, on est en plein dans la lutte contre l’obsolescence programmée. »
On pense soudain à cette phrase du philosophe André Gorz, « c’est le capitalisme lui-même qui, sans le vouloir, travaille à sa propre extinction en développant les outils d’une sorte d’artisanat high-tech ». Alain Verber, retraité du coin, vient justement de réparer un broyeur à papier et un cuitvapeur — « impossible de trouver les pièces détachées ! C’est quand même magique, et puis ça nous redonne une vraie autonomie.»
A Biarne comme à Boston ou Amsterdam, on apprend à faire soi-même et ensemble, « et on rend le monde un peu plus judicieux », dit Adrien de sa voix douce. Un idéal de société « collaborative », limite subversif, un grain de sable positif « pour ne pas rayer la ruralité de la carte », insiste Pascal
Minguet. « On voulait prouver que c’était possible chez nous » : grâce à Net-Iki, un village franc-comtois a retrouvé sa place sur la carte de France •
1 L’« -*encre » utilisée est souvent du plastique, mais aussi du métal, du béton, voire du sable, comme dans le projet du suédois Magnus Larsson, qui veut transformer des dunes en villes, en plein Sahara…

Télérama : La révolution est en marche

Telerama 11 6 2014

Et faites un tour sur le site Télérama.fr


Retour à La Une de Logo Paperblog