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Black Coal, de Diao Yinan

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4/5 

Qui aurait cru que le plus bel hommage aux grands genres du cinéma américain, que sont le film noir et le western, vienne cette année de Chine ? Jusqu’à A Touch of Sin de Jia Zhang-ke, probablement personne. Et pourtant c’est de ces genres que Diao Yinan tire son inspiration et ses références constantes qui parcourent sans cesse le film. 

© Droits réservés

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En 1999, éparpillés aux quatre coins de la Mandchourie, sont découverts les morceaux d’un corps dans le charbon distribué. Zhang, un policier, mène l’enquête qui le dirige vers une femme, puis vers deux voyous avec lesquels éclatera une fusillade. Cinq ans plus tard, un meurtre similaire est commis : même modus operandi, même femme, Wu Zhizhen, reliée à celui-ci. Zhang Zili, le policier, va se rapprocher d’elle pour aider la police, dont il ne fait plus partie, à résoudre l’enquête.

Un flic solitaire menant une enquête, aux prises avec une femme mystérieuse qui ne cessera de l’obséder : tels sont les deux personnages du film qui ne sont pas sans rappeler le film noir des années 40. D’autant plus que le récit déployé est celui d’une enquête, difficile, au long cours, dans laquelle chacun des personnages laissera des plumes et n’en ressortira que profondément affecté. Mais le film est d’autant plus intéressant que, tout comme A Touch of Sin, le récit tire aussi vers le western. Ainsi lorsqu’une fusillade éclate dans un salon de coiffure, violente et frontale, il est impossible de ne pas penser à ces surgissements de violence dont les films sur la conquête de l’ouest sont coutumiers. Il en est de même lorsqu’il est question de se faire justice soi-même, question que soulevait aussi Jia Zhang-ke dans son dernier film.

Si il est important de rapprocher l’œuvre de Diao Yinan à celle de son illustre confrère, c’est aussi car il y a, derrière le traitement du genre (polar, noir, western…), la volonté de traiter d’une société chinoise en mutation, dans laquelle le groupe s’efface au profit de l’individu, dans laquelle le peuple s’efface au profit de l’individualité. Il est très intéressant de constater que le récit de Black Coal, comme l’indique son titre anglais (« Black Coal » veut dire « charbon noir »), prend place dans une de ces immenses régions minières qui intéressent tant les cinéastes chinois de la dernière génération. Ainsi le premier récit de A Touch of Sin prend place dans un village minier du Shanxi, ainsi l’immense documentaire de Wang Bing, À l’Ouest des rails, traite de l’effondrement de la classe ouvrière de Shenyang (ville située elle aussi en Mandchourie) qui était, avant la libéralisation économique de la Chine, promise à un avenir radieux par la révolution chinoise.

Il est intéressant de constater que dans la forme, Black Coal se tourne aussi vers un autre cinéaste chinois majeur de ces vingt dernières années : Wong Kar-Wai. Si ce dernier est un cinéaste de Hong-Kong, il a toujours eu à cœur de traiter des changements profonds qu’a subit l’enclave, entre protectorat britannique et récession à la République Populaire de Chine. 

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De si nombreuses références auraient pu faire tort à l’œuvre de Diao Yinan, mais cela était sans compter sur son extraordinaire sens de la mise en scène qui lui permet, sans cesse, de trouver un langage cinématographique propre puissant et impressionnant de maîtrise. Sur tous ces points formels, le film est magnifique. Le passage de l’été caniculaire 1999 au rude hiver 2004 en est un exemple probant. Blessé dans la fusillade du salon de coiffure dans laquelle il croit avoir tué l’assassin, Zhang emprunte un tunnel en voiture, au bout duquel la caméra se retrouvera en plein hiver, sous la neige. Le plan est magnifique, déroutant, avec l’amplitude nécessaire pour donner ses nouveaux repères à un spectateur jusqu’alors dans les filets du rythme de la première partie.

Car il est aussi question de rythme dans la mise en scène de Black Coal. En étirant sans cesse les plans dans la durée, le réalisateur exprime avec force l’enfermement des personnages, mais aussi la tension constante qui règne entre eux au travers d’un traitement du son extrêmement précis. Au-delà du son, c’est la structure même du récit qui crée cette tension palpable permanente. Car si l’histoire paraît simple, son développement lui ne l’est pas et c’est un vrai polar opaque et inquiétant, poisseux et parfois même glaçant que signe Diao Yinan. Le danger demeure complètement inconnu tout comme la nature du tueur : celui-ci paraît pouvoir surgir de n’importe où, n’importe quand. D’autant plus qu’en hiver, la ville de Harbin où se situe le récit est plongée dans l’obscurité, dans l’ombre. La neige recouvre le bruit des pas mais révèle les traces éphémères de la présence inaudible de ces derniers.

Si le film est inquiétant c’est qu’il est aussi un vrai film puzzle dans lequel les pièces manquantes risquent toujours de resurgir. Il en va de même pour Zhang, le héros du film (superbement interprété par Fan Liao qui mérite amplement son ours d’argent au dernier festival du film de Berlin), qui semble sans cesse à la limite de sombrer dans ses penchants violents et alcooliques au détriment de l’enquête qu’il mène. Véritable puzzle humain, on connaît d’ailleurs peu ses intentions quant à l’enquête qu’il mène. Le fait-il pour conquérir la belle femme fatale ? Ou alors enquête-t-il pour la protéger ? Où encore le fait-il par amitié envers son ami flic toujours dans les forces policières depuis 1999 ? On ne le sait pas. Et c’est peut-être aussi là que réside la légère faiblesse du film, et paradoxalement la force de celui-ci. Quand l’opacité provoque souvent ce sentiment d’inquiétude, de tension, il arrive que celle-ci le soit parfois un peu trop, provoquant par là-même une légère incompréhension du spectateur. 

© Weltkino Filmverleih

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Mais ce n’est pas cette très légère ombre au tableau qui plombe le film et il est indéniable que Diao Yinan mérite sa place dans le cercle de la nouvelle génération de cinéastes chinois menée par Jia Zhang-Ke et Wang Bing, tout autant que son ours d’or du festival de Berlin, qui vient couronner une œuvre noire, ample, labyrinthique et puissante.

Simon Bracquemart

Film en salles depuis le 11 juin 2014


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