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Trois contes de Tomi Ungerer

Par Nicolas S.
Vous connaissez sans doute Tomi UNGERER, une des grandes plumes de la littérature de jeunesse : ce dessinateur et conteur hors pair est l'auteur de très nombreux albums aussi variés que colorés, aussi légers que sérieux. Je veux vous en présenter trois : Emile, Le Géant de Zéralda et Otto.
Le Emile du strasbourgeois Tomi Ungerer n'a rien à voir avec celui du genevois Jean-Jacques Rousseau, notez-le bien ; car Emile est un poulpe. Chez Ungerer, je veux dire, pas chez l'autre. Remarquez, chez l'autre c'est un enfant fictionnel sur lequel Rousseau expérimente ses théories sur l'éducation, alors est-on si loin, finalement ?
Hum, je reprends : Emile est un poulpe qui sauve la vie d'un homme, devient une célébrité comme maître baigneur, vient en aide à la police des douanes avant de se décider à retourner vivre dans les profondeurs. Le dessin est tout à fait dans un style Sempé, et les couleurs vert caca et orange rouillée s'appliquent très joliment en aquarelle. Mais alors quel ennui ces histoires de police et de mitraillettes...
Le Géant de Zéralda est autrement mieux écrit. Tomi Ungerer s'y amuse à détourner les codes du traditionnel conte d'ogres en ménageant une chute heureuse et très inattendue. Le dessin est élaboré, Ungerer y déploie entre autres choses son talent pour peindre en quelques traits des silhouettes éternelles (la tablée d'ogres est une double page d'anthologie). C'est un livre plein d'appétit pour le dessin lui-même. C'est un livre un peu trop coloré, moins radical que Emile sur le plan visuel. Plus consensuel, malgré cette étrange couverture sombre.
Mais c'est avec Otto que le talent de Tomi Ungerer touche véritablement au génie. Sous-titrée Autobiographie d'un ours en peluche, cette histoire permet à l'auteur de faire le point sur la Deuxième Guerre mondiale, en se servant sinon de souvenirs personnels ou familiaux, comme l'avait fait Art Spiegelman dans Maus, tout au moins de choses ressenties, enfouies puis transformées dans la fiction. Otto est cet ours en peluche qui occupe toute la couverture, nous regarde de son air triste, le cœur mal recousu. Il a une tache d'encre violette sur la tête qui ne s'en va pas, souvenir des jeux de deux gamins ; l'un était juif et l'autre pas. David, à qui Otto est offert dans la fin des années 30, est déporté avec ses parents en camp de concentration. Otto, en véritable pantin transbahuté par les événements, passe de mains en mains, jusqu'à arriver dans la vitrine d'un antiquaire, d'où il vous lance ce regard.
Otto est un héros picaresque, en somme : valant moins que rien à titre individuel, il est quand même né entre les mains d'une fée. Ayant perdu le bonheur originel auprès de David, il est confronté à des événements qui le dépassent complètement mais sa présence au beau milieu du carnage est capitale pour nous, car ce sont ses yeux qui voient... idem dans l'épisode de la « boucherie héroïque » du Candide de Voltaire... A la fin, Otto retrouve un certain calme et se met derrière une machine à écrire pour nous raconter son drôle de périple... ce temps arrêté depuis lequel un personnage éponyme nous raconte la suite des événements apparemment sans logique cohérente qui l'ont trimballé à droite puis à gauche, c'est le même topos que dans La Vie de Guzman d'Alfarache de Mateo Aleman, un des premiers romans picaresques espagnols, le même que dans Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski, Qui sait ? de Maupassant, Molloy de Samuel Beckett ou Invisible man de Ralph Ellison. C'est un temps inquiet et incertain d'où l'on raconte son histoire sans chercher à faire preuve de sagesse, sans donner la leçon ni se réincarner en exemple vivant.
Le temps d'où Otto nous raconte sa vie et ses heurts, c'est celui de l'éternel présent. Otto a tout vu mais reste ignorant des yeux et du cœur. Blessé et portant des cicatrices, il ne sait pas que l'homme est mauvais.
3 volumes réédités aux éd. L'école des loisirs - 5,50 € chaque
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tomi_Ungerer

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