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Théâtre et politique à Athènes. Spectateurs de paroles et auditeurs d'actions

Par Fmariet
Théâtre et politique à Athènes. Spectateurs de paroles et auditeurs d'actions
Nicole Villacèque, Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l'époque classique, Presses Universitaires de Rennes, 2014, Index 432 p., Bibliographie, Plans et illustrations (dont clichés de l'auteur)
Le titre de l'ouvrage évoque une phrase de Thucydide citant Cléon, homme politique athénien. Celui-ci dénonce ses concitoyens : "spectateurs de paroles et auditeurs d'actions, qui voyez les faits à venir d'après les beaux parleurs qui les donnent pour possibles et les actions déjà passées d'après les critiques brillamment formulées, attachant ainsi plus de crédit au récit qu'à l'événement vu de vos propres yeux" (II, XXXVIII, 4)". Promesses irréalistes, discours loin des faits, mensonges : politique politicienne.
Nicole Villacèque a consacré sa thèse à la mise en scène théâtrale du débat démocratique ; elle s'interroge sur la réalité de ce "topos" alors que la démocratie athénienne est une démocratie directe qui se donne à voir comme au théâtre.
Politique et spectacle, mise en scène du politique : cette proximité des genres ayant pris avec la télévision des proportions formidables, cet ouvrage peut être lu en contrepoint de la "société du spectacle" de Guy Debord qui disait : "On sait que cette société signe une sorte de paix avec ses ennemis les plus déclarés, quand elle leur fait une place dans son spectacle" (cf. "Guy Debord rattrapé par la société du spectacle").
L'ouvrage est propice à une lecture savante d'helléniste ou, curieuse, de science politique, d'histoire de la communication. La rélexion de l'auteur emprunte à l'ethnologie. Son travail repose sur un corpus de textes grecs : Aristophane, Lysias, Thucydide, Hypéride, Platon, Xénophon, Aristote, etc. Recourant à tous les moyens à sa disposition, analysant la langue politique, l'histoire, elle examine aussi la topographie des lieux où se réunissent les assemblées démocratiques : le théâtre de Dionysos Eleuthéreus, les tribunaux et la colline de la Pnyx (3 000 à 10 000 places) où se réunissait l'Ekklésia, l'assemblée des citoyens.
La deuxième partie est consacrée l'étude, documents à l'appui, de la topographie et de l'aménagement des espaces judiciaires.
Pourquoi Cléon compare-t-il l'assemblée politique, démocratique avec le théâtre, demande Nicole Villacèque ? Peut-être parce qu'au théâtre le public participe vivement, que le peuple y est agité, plein de cris, de bruit, de tapage (θόρυβος: quel est le "degré d'historicité de l'analogie", interroge-t-elle ?
La troisième partie est consacrée à l'analyse des critiques de la démocratie et examine "le théâtre de la démocratie". Dans le débat politique, les ennemis de la démocratie - et les philosophes - préfèrent au chahut des délibérations plus feutrées, mieux maitrisables : domestication de l'opposition par les rituels, par les règles du jeu politique, de la représentativité (cf. Jean-Jacques Rousseau), politique trop polie pour être honnête. S'accorder sur l'expression du désaccord, c'est renoncer à l'essentiel du désaccord ("élections, piège à cons", disait Jean-Paul Sartre en janvier 1973).
"Méthodologie des écarts" (pour reprendre une expression de Florence Dupont) : pour qui étudie les médias et la communication politique, un tel travail, précis, méticuleux, invite à considérer avec une approche comparatistes la question de la politique spectacle (ne parle-t-on pas parfois de "cirque" ?). Pour l'emporter, l'homme ou la femme politiques doivent-ils se faire acteurs, comme déjà le signalait Ciceron ? La peoplisation est-elle une extension obligée de cette théâtralisation ?
Lecture féconde que cet ouvrage pour qui travaille sur les relations entre politique et médias audio-visuels (vidéo) mais aussi sur le spectacle vivant tel que le capture la vidéo (campagne électorale, débat organisé et réglé minutieuement par la télévision, mise en scène calculée à la seconde près). Dans le spectacle politique moderne, tout est fait pour éloigner le peuple dont on craint, aujourd'hui encore, le tapage, le chahut et les cris, tellement vulgaires voire dangereux. Les médias contribuent-ils à la police de l'expression politique démocratique ? Que change la généralisation de la vidéo au débat politique (YouTube, etc.) ?


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