Samedi passé, soleil, ciel bleu, direction Bâle avec une amie pour s’enfermer et aller visiter Art Basel, grande messe de l’art contemporain sur ce continent. Une première pour moi (la honte ? oh ben non, c’est comme ça) mais une expérience qui fut intéressante.
Laura Lima, Man=flesh/Woman=flesh – FLAT, 1997. Presented at 14 Rooms in Basel by Fondation Beyeler, Art Basel, Theater Basel in 2014. MCH Messe Schweiz (Basel) AG
Art Basel est une foire d’art contemporain qui a deux autres déclinaisons, l’une à Hong Kong, l’autre à Miami. Réputée, elle permet à de nombreux professionnels de l’art de se rencontrer, échanger, se montrer peut-être aussi.
Il y a l’aspect foire tout d’abord : des galeristes y présentent les artistes qu’ils représentent, on y croise des galeries du monde entier, des artistes qu’on voit rarement tellement leur côte est élevée, le tout dans un labyrinthe dans lequel il est compliqué de ne pas se perdre. En fait, je crois que ce n’est pas mon « truc », tout simplement, il y a du monde, les itinéraires sont alambiqués et il y a au fond trop peu de recul pour voir des œuvres qui mériteraient une mise en valeur autre.
Allora & Calzadilla, Revolving Door, 2011. Presented at 14 Rooms in Basel by Fondation Beyeler, Art Basel, Theater Basel in 2014. MCH Messe Schweiz (Basel) AG
Mais ce n’est pas de cela dont je voulais vous parler ce jour mais de 14 Rooms, exposition de performances coordonnée par la Fondation Beyeler, Art Basel et Theater Basel dans une architecture designée par le duo d’architectes Herzog & de Meuron. Le parallélépipède qu’ils ont conçu se pénètre d’un côté, aux deux extrémités, les parois sont recouvertes de miroir. Entre, un long couloir, de part et d’autres 14 portes, chacune signifiée par un miroir : il faut se voir avant d’entrer dans l’espace où se déroule la performance. Les commissaires de cette exposition, Klaus Biesenbach et Hans Ulrich Obrist ont invité 14 artistes internationaux à activer certaines de leurs performances dans ces chambres. Ainsi, on a pu y voir des performances Marina Abramović, Allora and Calzadilla, Ed Atkins, Dominique Gonzalez-Foerster, Damien Hirst, Joan Jonas, Laura Lima, Bruce Nauman, Otobong Nkanga, Roman Ondák, Yoko Ono, Tino Sehgal, Santiago Sierra, Xu Zhen, Jordan Wolfson et John Baldessari. J’en connaissais certains, j’en ai découvert d’autres, j’ai fait toutes ces chambres, j’y suis restée plus ou moins longtemps et c’est ça qui est important, ce facteur temps. En effet, entrer et sortir est un acte essentiel dans une performance : qu’est-ce qu’on n’a pas vu qui s’est passé avant, qu’est-ce qu’on ne verra pas, qu’est-ce qu’on ratera une fois qu’on sera sortis ? La performance n’est pas que pour l’auteur, l’artiste ou pour l’acteur, elle est aussi pour le public qui, parfois, est mis à contribution, qui, en étant témoin participe à la performance et la fait exister.
Bruce Nauman, Re-enactments of Bruce Nauman's 1968 video Wall Floor Positions. Presented at 14 Rooms in Basel by Fondation Beyeler, Art Basel, Theater Basel in 2014. MCH Messe Schweiz (Basel) AG
Joie de retrouver Tino Sehgal dont je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises. Dans l’une des premières chambres était réactivée une œuvre initialement présentée en 2004 : This is Competition. Il s'y tenait deux femmes, chacune disant un mot en un jeu de ping-pong qui constituait une phrase, un discours se renouvelant et évoluant au gré des mots choisis, des idées développées. J’y ai retrouvé le personnage d’Ann Lee et là aussi elles nous ont demandé si nous préférions avoir une vie occupée ou non occupée. Une dame y a répondu, elle a opté pour l’occupation et a joué avec elles en ne répondant qu’un mot puis un autre et en leur relançant la balle de ce jeu de mots qui peut tour à tour être drôle, touchant, compliqué, ironique, grinçant… J’y suis restée un temps, assez pour être touchée, pas assez pour tout voir, pour assister à d’autres moments, d’autres interventions du public. C’est toujours le risque quand le facteur temps entre en ligne de compte.
Plus loin, sur un miroir était inscrit le fait qu’on ne pouvait qu’être une personne à entrer en même temps dans la chambre pour y voir la performance : R.145 de Dominique Gonzales-Foerster. Je crois avoir fait une demi-heure de queue, un peu plus sans doute pour voir cette performance. Pendant cette attente, j’ai appris beaucoup de choses sur les vacances d’une suissesse se trouvant devant moi, mais, surtout, je voyais des gens sortir en souriant de cette chambre. Qu’est-ce qui leur avait tant plu dans cet espace ? Y entrer a été l’occasion pour eux, comme pour moi, de marcher sur un tapis magnifique et d’être face à soi-même. Ce qui était proposé ? Un espace pour être, un lieu pour se voir, un temps pour arrêter de se fuir et un endroit pour simplement prendre le temps d’être soi sans être ce que l’on attend de nous. Pour sortir, il faut toquer et que le suivant nous ouvre, ainsi, c’est nous qui décidons du temps pendant lequel on reste, du temps que l’on prend.
Xu Zhen, In Just a Blink of an Eye, 2005. Presented at 14 Rooms in Basel by Fondation Beyeler, Art Basel, Theater Basel in 2014. MCH Messe Schweiz (Basel) AG
Dans une autre chambre, se trouve une étonnante réactivation de In Just a Blink of an Eye (2005) de l'artiste chinois Xu Zhen. Peut-être qu'il y avait un truc pour soutenir le performeur, je l'ignore et j'ai cherché pourtant. Mais en gros, pieds au sol, il était ensuite couché et tenait donc en équilibre au-dessus du sol : prouesse physique pour ne pas tomber et donner en même temps l'impression que maintenir cette position était facile. Bref, en un clin d’œil, le performeur défie l'attraction terrestre, son centre de gravité et tient une position de manière figée, seuls ses yeux clignent de façon régulière.
Marina Abramović, Luminosity. 11 Rooms Manchester International Festival. Photo credit courtesy Manchester City Galleries
Je pourrais vous parler de ces 14 Rooms encore longtemps, chacune des performances était avant toute chose une expérience à faire soi-même. Les corps s'engagent, le nôtre aussi. Les limites, les règles sont interrogées, l'intimité et notre rapport au privé aussi, la question du double, de qui on est, de qui on paraît, de qui on est, de ce qu'on est. Aucune performance n'est anodine, il y a une utilisation directe du corps, il est la matériaux premier, c'est lui qui est mis en danger, qui est sollicité, c'est par lui que nous entrons en contact avec ce qui nous entoure, avec le monde, avec la société, c'est avec lui que nous vivons, avec lui que nous sommes. L'artiste performeur, en créant à partir de son corps, revient à l'origine, au fondamental, il supprime toute idée de virtualité, d'image, il entre dans le vif du sujet et exprime ses idées en parlant par, avec et au corps, à ce que nous sommes donc. À nous d'accepter de nous y confronter, non ?
Cécile.