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"Chemins Nocturnes" de Gaïto Gazdanov : le taxi des âmes grises …

Par Alyette15 @Alyette1

"Chemins Nocturnes" de Gaïto Gazdanov aux Editions Viviane Hamy

1ère de couverture "Chemins nocturnes" de Gaïto Gazdanov aux Editions Viviane Hamy


Gaïto Gazdanov
est un écrivain français de langue russe. Exilé à Paris au début du 20ème siècle suite à la révolution d’octobre, il ne choisira jamais cette autre révolution : celle d’écrire dans la langue du pays qui l’accueille. Toutefois, s’il n’en adopte pas la langue c’est avec toute l’acuité d’un chercheur d’or qu’il observe la capitale française, qui sous son croissant de lune s’anime d’étranges et prophétiques lueurs.

Un russe à Paris n’est pas un américain à Paris et l’arrêt sur image dont il est question dans ce roman itinérant prohibe le prosélytisme rose dragée pour des nuances de gris en quête de ténèbres. Au  volant de son taxi, le narrateur nous convie aux antipodes d’une ambiance Fitzgéraldienne où les élégantes s’abîment à haute dose sur les terrasses de la Rive Gauche. Le Paris de Gazdanov revêt un charme plus inquiétant et sous les lumières cireuses des becs de gaz les filles de joie sont exsangues et n’ont pas le cœur sur la main.

Témoin peu affable des vies ratées qu’il transporte au gré de la nuit, Gazdanov arrête son compteur sur la comédie humaine qui s’enivre le soir venu pour ne plus avoir de comptes à rendre au jour. Enseignants patibulaires, philosophes en manque d’auditoire, maris dépassés fusillant leurs maigres salaires au bistrot, russes déclassés nostalgiques d’une cerisaie brûlée vive, catins peu scrupuleuses ou clochards expectorant les étoiles, les noctambules de Gazdanov ont des cernes sous les yeux et des cicatrices à fendre l’âme. Peu d’empathie sur la banquette arrière de ce taxi et seule échappe à l’arme blanche de  son cynisme, Raldi, une ancienne gloire du batifolage qui à son apogée fit  tourner  têtes et coeurs. Un art subtil de la séduction que cette Garbo des faubourgs tente d’enseigner en vain à une jeune Alice dont l’époustouflante plastique dénuée d’esprit séduit fugacement un Gazdanov pourtant peu enclin aux épanchements …

Maîtrisant ce qu’on appelle "l’art d’écrire", Gaïto Gazdanov en fait dans cette déambulation une démonstration brillante et sa plume exigeante habille la marginalité d’oripeaux tour à tour féroces et dérisoires. Mais en dépit de tout son talent et de nombreuses saillies poétiques à faire pâlir d’envie les apprentis surréalistes, je suis sortie de ce taxi un peu nauséeuse m’interrogeant sur les raisons d’une telle acrimonie envers ses contemporains. Certes, il est salutaire d’écorner l’image d’Epinal d’un Paris de French cancan, mais on est dans son cas en droit de se demander si ne couve pas derrière ses coups de griffe une désillusion plus insidieuse. Celle occasionnée par un exil dont Gazdanov subit violemment le camouflet et dont il se releva en irriguant sa plume dans une encre d’acide. J’attendais autre chose, quelque chose de plus, peut-être la flamme d’un printemps russe que ses  mots ne savent pas faire fleurir.

La course est terminée et l’addition trop amère à mon goût.

Astrid MANFREDI, le 23/06/2014

Informations pratiques :
Titre : Chemins nocturnes
Auteur : Gaïto Gazdanov
Editeur : Viviane Hamy collection Bis
Traducteur : Elena Balzamo
Nombre de pages : 238
Prix France : 9,20 euros

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