Happy valley est une nouvelle minisérie de six épisodes qui a été diffusée sur les ondes de BBC One à la fin mai. L’action se déroule dans le Yorkshire avec pour personnage principal le sergent Catherine Cawood (Sarah Lancashire) qui peine à se remettre du suicide de sa fille Rebecca datant d’il y a quelques années. En parallèle, Kevin Weatherill (Joe Pemberton) est un comptable qui éprouve quelques difficultés financières et qui convainc un trafiquant de drogues, Ashley Cowgill (Joe Armstrong) de kidnapper la fille de son patron, Ann (Charlie Murphy), moyennant une généreuse rançon. Mais voilà qu’un de ses associés, Tommy Lee Royce (James Norton) attire l’attention de Catherine étant donné qu’il serait à l’origine de la mort tragique de sa fille. Au cours des épisodes, les intrigues des deux camps s’entremêleront jusqu’à une issue qui pourrait se révéler fatale. Alors que les séries policières s’enchaînent et s’oublient presque aussitôt, Happy valley se démarque tant par l’originalité de son scénario, la profondeur de ses personnages que pour la prestation de ses acteurs.
Quiproquo policier
Kevin travaille depuis longtemps pour Nevison Gallagher (George Costigan), un homme d’affaires éprouvé. Prenant son courage à deux mains, il lui demande une augmentation puisqu’il souhaite envoyer ses deux fillettes dans une meilleure école. Nevison, indécis, lui dit qu’il va étudier la question. Persuadé que ça équivaut à un non, Kevin contacte Ashley et lui expose cette idée de kidnapping. Celui-ci ne perd pas une minute et s’empresse de faire appel aux services de Lewis (Adam Long) et Tommy, deux voyous tout juste sortis de prison. Entre-temps, Nevison annonce à son employé qu’il accepte de payer pour l’éducation de ses filles, mais il est trop tard pour les associés de Kevin dont la machine s’est déjà mise en marche. Évidemment, ce plan dessiné sur le coin d’une table ne se passe pas comme prévu. Alors qu’il n’était question que de séquestrer Ann, Tommy n’hésite pas à la terroriser et même la violer. Quant à Lewis, bien assez tôt on se rend compte qu’il n’a pas les nerfs assez solides pour mener à terme une telle opération. Et les choses vont si mal que même Ashley envisage la possibilité de la tuer.
De son côté, Catherine fait tout ce qu’elle peut pour enrayer la drogue dans son secteur. C’est que sa sœur, Clare (Siobhan Finneran) est une ancienne héroïnomane et que Rebecca était aussi aux prises avec ce fléau. Celle-ci s’est fait violer par Tommy et a par la suite donné naissance à un petit garçon, Ryan (Rhys Connah). Incapable de se remettre de ces épreuves, elle a mis fin à ses jours et lorsque Catherine a décidé d’élever elle-même l’enfant, son mari l’a laissé, tout comme son autre fils qui depuis lui adresse à peine la parole. N’ayant toujours pas fait son deuil, Catherine croit croiser par hasard Tommy, mais lorsqu’elle s’apprête à le confronter, il a disparu. Cette « vision » éveille une tonne de mauvais souvenirs et dès lors, elle n’a plus qu’en tête de le retrouver. Elle parvient à dénicher son adresse et lorsqu’elle s’introduit chez lui par effraction, elle retrouve dans le sous-sol des indices quant au kidnapping qui a récemment eu lieu. Alors qu’elle convainc ses supérieurs d’ouvrir une enquête, Tommy apprend par sa mère que Rebecca a donné naissance à un enfant il y a quelques années et se met dans la tête de le retrouver. Ainsi se déroulent ces deux histoires qui se chevauchent avec leurs lots de rebondissements et bien du temps s’écoule avant que les deux protagonistes en viennent à s’affronter… plus d’une fois.
Le lancement de nouvelles séries policières américaines ces dernières années a pullulé sur les grandes chaînes. Chaque producteur souhaitait rester dans le moule lucratif des NCIS par exemple (qui défoncent le plafond des cotes d’écoute chaque semaine), mais en y apportant une légère variation et nous faire croire qu’on était ailleurs, qu’on innovait. Mais le spectateur n’est pas dupe et presque toutes se sont cassées les dents, à l’exception cette année de Chicago PD et The Blacklist. Ces succès populaires n’ont pourtant rien de bien exceptionnel, ni même de marquant. Avec Happy Valley, on assiste à un croisement entre le polar et le policier, et comme l’écrit Pierre Sérisier sur son blogue :« L’enquête progresse par le fait de hasards, de rapprochement de faits qui a priori n’avaient rien à voir les uns avec les autres. » C’est ce qu’on appelle véritablement réinventer le genre. Pendant que Catherine souhaite affronter ses démons du passé en cherchant à retrouver Tommy, celui-ci continue de sévir en toute impunité alors que personne dans son entourage n’a le cran (ou la volonté) de s’opposer à lui. Mélodrame, suspens, action et divers dénouements qu’on ne voit jamais venir; la série dose tous ces éléments avec une maîtrise qui ferait aisément pâlir de jalousie les producteurs américains.
Une héroïne unique
C’est assurément le personnage de Catherine qui occupe toute la scène. Sarah Lancashire, l’actrice qui incarne avec brio une Miss Audrey pincée dans Paradise, ou une Caroline aigrie et pas encore sortie du placard dans Last tango in Halifax est tout aussi crédible crédible dans son rôle de sergent. Au moment de la diffusion de la série, plusieurs médias ont pointé du doigt la créatrice Sally Wainwright pour la représentation de scènes de violence très crues, particulièrement celles infligées aux femmes; un thème qui apparemment fait beaucoup de petits ces temps-ci en Angleterre. Catherine elle-même se fait tabasser à plus d’une reprise en plus d’être injuriée constamment. En réponse à ses déracteurs, Wainwright affirmait dans The Guardian : «It showed what a heroic and responsible human being Catherine is. How she is prepared to put her life on the line in order to save someone else. » En effet, malgré ses 47 ans, elle mène presque toutes ses enquêtes en solo. En plus d’être une bonne mère de substitution, elle n’a de préoccupation que pour la justice et elle est assez forte pour se relever et ne pas se laisser abattre. Jamais elle n’inspire la pitié et à contrario, sa ténacité est plus inspirante que repoussante. Et pour ceux qui s’ennuieraient de Miss O’Brian dans Downton Abbey, l’actrice Siobhan Finneran effectue un retour en force avec le personnage de Clare dans la série, à la fois touchante et mère poule… tout un contraste!
Le succès de Happy valley est incontestable avec une moyenne de 7,2 millions de téléspectateurs par épisodes. Alors qu’on ne sait toujours pas si BBC donnera son feu vert à une seconde saison, on ne peut qu’être admiratif des récentes créations du diffuseur public anglais. Originales, audacieuses et poignantes, on espère à court terme une autre fiction dans ce genre pour la période estivale, mais en tous les cas, les Anglais en ont pour leur argent.