Prier Toueris des palmiers-doum, se prosterner devant la dame des Deux Terres, qu'elle accorde une belle sépulture après la vieillesse, que mon nom demeure dans son sanctuaire ...
RAMOSE
Stèle de Dorpat
dans Nathalie BAUM,
Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne
Louvain, OLA 31, 1988,
pp. 286-7.
Mardi dernier, amis visiteurs, poursuivant nos réflexions à propos des noix-doum exposées ici, dans la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à la fois sur l'étagère accrochée à gauche du panneau central de la vitrine 6, côté Seine, ainsi que dans la coupelle 13 de la neuvième et dernière, j'ai une nouvelle fois évoqué un des membres importants du panthéon égyptien, Min ithyphallique, aux fins d'attirer votre attention sur les rapports qui, après la laitue, étaient siens avec le palmier-doum, un des arbres gages de survie pour ceux qui s'aventuraient dans les contrées arides.
Ce matin, toujours dans ce même esprit, il m'agréerait de vous entretenir d'une autre déité.En effet, au sein de cette manifestation de présences divines parmi les vivants que personnifièrent certains végétaux aux yeux des Égyptiens, le palmier-doum, outre qu'il l'était de Min, fut également une hypostase de Taouret, - comprenez : La Grande -, la Thouéris (ou Touéris) des Grecs, personnalité gravide, à l'anthropomorphisme pour le moins singulier : une tête d'hippopotame sur un corps de femme à la poitrine flasque, se tenant debout sur ses pattes postérieures, qui sont de lion, comme ses "mains" d'ailleurs, et queue de crocodile dans le dos.
Plusieurs pièces furent mises au jour - table d'offrandes et stèles originaires de Deir el-Médineh -, certifiant cette complicité entre l'arbre et la déesse, à laquelle, pour la circonstance, il fut donné le nom de Taouret n mâmâou, Taouret des palmiers-doum.
L'une d'elles, une stèle cintrée d'une quarantaine de centimètres de hauteur, conservée au Museum de Tartu, en Estonie, - l'ancienne Dorpat -, publiée en 1894 par l'égyptologue allemand Alfred Wiedemann (1856-1936) donne à découvrir les propos du dédicant, le scribe Ramose, que je vous ai lus d'emblée ce matin.
De l'étude de ces monuments, il appert qu'au Nouvel Empire, et plus spécifiquement à l'époque de Ramsès II, Taouret fut perçue comme protectrice des défunts de la nécropole thébaine pour pallier l'éventuel manque d'eau qui pourrait survenir ; liquide qui, nous l'avons vu, était contenu dans l'amande au centre du fruit que donnait le palmier-doum.
Ce "détail" botanique mis à part, quel était donc le lien entre cet arbre nain et un imposant hippopotame ? Ou plutôt, pour être précis, une femelle hippopotame.
De manière à répondre à cette interrogation, je vous renvoie d'abord à un très ancien article de juin 2008 qui, déjà, vous conseillait de distinguer, dans ce cas d'espèce, le mâle, ennemi mortel de l'homme, voué au redoutable et redouté dieu Seth, de la femelle, déesse qui était censée assister et protéger toute parturiente lors d'une naissance.
Ici au Louvre, parmi plusieurs figurations, j'ai retenu pour vous la petite statuette en faïence siliceuse (AF 2346) de la vitrine 2 de la salle 18,
(© Louvre - C. Poncet)
dans la mesure où, posant les mains sur le hiéroglyphe égyptien signifiant "protection", elle symbolise parfaitement ses "prérogatives" mythologiques.
Divinité protectrice de la femme enceinte, de l'accouchement, des nouveau-nés, elle l'était également - et ce n'est point anodin -, du sarcophage.
Bizarre, penserez-vous. Pas tellement si je vous rappelle que, dans la conception du rituel funéraire de l'époque, cette cuve de pierre matérialisait la couche où s'effectuera l'enfantement d'un défunt, où s'effectuera sa renaissance, son avènement dans une seconde vie, la seule qui soit éternelle, la seule que, son temps ici-bas durant, il s'engagera, de diverses manières, à rendre la plus agréable qu'il lui sera possible.
A l'instar de Min, Taouret fut donc elle aussi symbole de fécondité, de fertilité ; à l'instar de Min, son culte fut lui aussi associé à l'Hyphaene thebaïca, au palmier-doum, qui devint son arbre sacré.
Comprenez-vous maintenant la raison pour laquelle le mort se devait d'emporter quelques-uns de ses fruits dans son matériel funéraire, en vue non seulement d'accéder, par leur seule figuration, à cette éternité tant souhaitée mais aussi d'en toujours bénéficier pour se désaltérer ?
Sans oublier que cet arbre constituait à lui seul un parfait indicateur de points d'eau salvateurs ...
Ni qu'un autre dieu, extrêmement important, lui fut pareillement associé, à nouveau pour subvenir aux besoins de ceux qui ont soif, ainsi que diverses autres raisons que je me ferai plaisir d'évoquer lors de notre ultime rendez-vous avant les vacances estivales, mardi 8 juillet prochain.
Ces notions posées, une question me vient à l'esprit, amis visiteurs : verrez-vous dorénavant ces petits palmiers qui, très souvent, connotent pour vous le concept de vacances, de mer bleue, de plage, de farniente, avec les mêmes yeux que précédemment ?
BIBLIOGRAPHIE
BAUM Nathalie
Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, pp. 119 ; 286-7.
KOEMOTH Pierre
Bosquets, arbres sacrés et dieux guerriers, dans Egyptian religion : The last Thousend years. Studies dedicated to the memory of Jan Quaegebeur, Part 1, OLA 85, Louvain, Peeters, p. 647.
WALLERT Ingrid
Die Palmen im Alten Ägypten, Berelin, Verlag Bruno Hessling, 1962, pp. 106-8
WIEDEMANN Alfred
Egyptian monuments at Dorpat, PSBA XVI, Bloomsbury, 1894, pp. 152-3.
(Librement téléchargeable sur ce site.)