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"La location et l’abonnement consistent à payer ce que l'on veut consommer et non pas posséder"

Publié le 01 juillet 2014 par Pnordey @latelier

Une récente étude menée par l'iFop révèle l’appétence croissante pour la location et l’abonnement de biens et services. Cette tendance reflète une mutation plus profonde de la société et du rapport à la propriété.

A l'occasion de la présentation de l'étude "Les Français et l'abonnement", entretien avec Laurence Allard, maître de conférences, IRCAV-Paris 3/Lille 3, sociologue de l'innovation. Elle est également l'auteur du site culturesexpressives.fr qui traite, entre autres, des pratiques expressives digitales, de la mobilité et de l'anthropologie des données.

Pourquoi les modes de consommation comme la location et l’abonnement connaissent-ils un succès croissant?  

D'après les résultats de l'enquête, on peut distinguer deux profils socio-démographiques. Les "early adopters", jeunes cadres urbains qui optent par choix pour ces usages dans un cadre de valeurs associant "liberté" et "plaisir". Il y a également des early adopters "dans le besoin" et qui pratiquent cette économie de la location et de l'abonnement pour le renouvellement des biens ou la nouveauté d'un service. L'attachement au renouvellement et à la nouveauté se retrouve ainsi chez les Français aux revenus les plus modestes (moins de 1200 euros) pour 50% et 40% respectivement. Il ne faudrait pas négliger cette base sociale des moins aisés qui a déjà transformé par nécessité la consommation à la faveur notamment d'internet et de sites comme Le Bon Coin. C'est la France de la "débrouille" et d'une économie résiliente, capable de survivre à une crise durable. Dans une enquête ethnographique sur la consommation digitale réalisée en avril 2013, j'avais pu observer combien les cycles de consommation s'étaient élargis et enrichis avec l’usage d’Internet, combien la consommation est cyclique car avant d'acheter on va revendre. Ce qui est prisé avec ces nouveaux intermédiaires comme Airbnb, Le Bon Coin, ou eBay est ce caractère d'échange au sein d'une communauté de pairs ("une maman comme moi") avec les mêmes problèmes financiers et les mêmes besoins.

Quels sont les biens et services les plus adaptés à la location par abonnement?

Les produits culturels et immatériels symbolisent aujourd’hui le modèle de la location par abonnement. Avec la presse écrite, les films et la musique sont les plus consommés via ce modèle (respectivement 22%, 10% et 9% des Français y sont déjà abonnés). Le visionnage légal des vidéos en location par abonnement recueille 20% parmi les interviewés ayant moins de 24 ans et à 17% chez les personnes interrogées dont les revenus du foyer sont inférieurs à 1200 euros et parmi les catégories socioprofessionnelles supérieures et les "autres inactifs" (respectivement 14% et 17%) selon l'enquête de l'IFOP ( juin 2014). La location par abonnement et plus généralement l'économie de la "subscription" a ainsi été le laboratoire de l'expérimentation d'un nouveau modèle économique basé non plus sur l'appropriation matérielle d'un bien culturel mais l'usage d'un contenu immatériel. L'on pourrait résumer en un slogan l'apport du financement participatif dans le domaine culturel : "payer pour ce que l'on veut voir." Ce qui relève d'une démarche très proche de l'économie de l'abonnement. Il s'agit de "payer pour ce que l'on veut consommer". Cette expérience est incarnée aujourd'hui par Netflix dont la souplesse des conditions d'abonnement sont l'une des explications de son succès. Les valeurs prêtées à la location par abonnement sont assez logiquement associées aux valeurs de l'internet.

Ce phénomène est-il mondial ou davantage lié à la culture française ou américaine?

Les cultures économiques sont à la fois locales et globalisées. Les impératifs environnementaux touchent la planète mais pour certains profils socio-démographiques la propriété témoigne toujours d’une ascension sociale et reste une valeur très ancrée. C’est le cas en France ou dans les pays émergents. En outre, le terme même "d'abonnement" possède une histoire et des significations différentes en français ou en anglais. C'est la logique de consommation à l'usage des choses et son accompagnement en termes de services et non de possession qui est commune à grand nombre de pays.

Allons-nous vers la fin du concept de propriété ?

Avec le développement des pratiques de location par abonnement, il y a des conséquences sur le concept de propriété dans un contexte contraint au plan économique et environnemental.

La possession comme accumulation non partageuse devient une mauvaise valeur. Seule la possession comme transmission reste une valeur. Elle est de fait encore défendable dans une économie cyclique constituée de biens qui circulent. La propriété en usage (acheter pour ses enfants...) et l'abonnement à l'usage ne sont pas en contradiction à cet égard.

Quelles sont les tendances à venir?

L'abonnement à des usages de services dématérialisés est porteur de valeurs sociétales d'une consommation responsable d'une sortie de l'hyperconsommation, de la possession comme tabou. Bien plus qu'une tendance ou un effet de mode, c'est un choix de société qui est en jeu.


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