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Jimmy’s Hall : de la fête comme oeuvre émancipatrice

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Jimmy’s Hall : de la fête comme oeuvre émancipatriceHuit ans après Le vent se lève, Ken Loach, le Guédiguian irlandais, complète sa vision de l’indépendance avec son dernier long métrage : Jimmy’s Hall, scénarisé par Paul Laverty. L’occasion pour lui de livrer une biographie succincte de James Gralton, leader du Revolutionary Workers Groups, et premier leader marxiste irlandais.

James Gralton (Barry Ward), que ses amis, et camarades, surnomment Jimmy, est un leader communiste qui a combattu pendant la guerre d’indépendance irlandaise, entre 1919 et 1921. À l’issue de la guerre, l’indépendance est proclamée mais les anciens privilèges coloniaux sont transférés de la couronne britannique vers l’Église et les grands propriétaires fonciers. Les communistes sont pourchassés, et James Gralton doit s’exiler aux États-Unis. Dix ans plus tard, en 1932, il rentre au pays, dans le conté de Leitrim, pour revoir sa mère. À la faveur d’un gouvernement de centre gauche incarné par le parti indépendantiste Fianna Fail, Gralton espère pouvoir vivre tranquillement parmi les siens. Sollicité par les habitants du conté, il rouvre un dancing abandonné, un lieu auquel il va donner une âme et un but : concilier lutte des classes et fêtes populaires. C’est le début des ennuis.

Jimmy’s Hall : de la fête comme oeuvre émancipatrice

Oonagh (Simone Kirby) et James Gralton (Barry Ward)

Ken Loach filme la Liberté comme on le fait rarement, dans son acceptation la plus juste, celle d’homme et de femme s’émancipant eux-mêmes des carcans ancestraux, et s’épanouissant dans l’allégresse de la communion festive. En parallèle, il montre également les parcours personnels des membres d’une même communauté que l’Histoire malmène. Si ce n’est l’Histoire, disons plutôt l’intervention d’éléments extérieurs. En effet, l’œuvre émancipatrice mis en mouvement par Gralton va subir le courroux des puissants propriétaires terriens, et de l’Église qui maintient son soutien à un ordre des choses quasi-féodale. Et par delà, le mal fait à la communauté, ce sont des vies qui seront brisées. À l’image de l’histoire d’amour d’Oonagh (Simone Kirby) et de Jimmy, rendue impossible par le bannissement de ce dernier. La scène où ils dansent tout les deux dans le dancing, seulement éclairés par la lumière de la lune, exprime toute la sensualité et la tendresse qu’ils ressentent l’un envers l’autre, tout en les baignant d’irréalité. À l’image, également, de la pauvre mère de Jimmy, qui finira ses jours seuls, et de Jimmy lui-même, qui mourra seul, à New-York d’un cancer, à l’âge de 59 ans. À l’image, enfin, de cette famille, à qui le châtelain local, O’Keefe (Brían F. O’Byrne), refuse le droit de vivre dignement, les jetant à la porte car ils ne peuvent plus honorer son loyer exorbitant. Les tenants du capital n’ont que faire des drames humains, il n’y a, dans leurs cœurs secs, que des lignes de comptes qui s’étalent à l’infini. une réalité bien présente aujourd’hui, nous n’avons fait que changer de maîtres.

Jimmy’s Hall : de la fête comme oeuvre émancipatrice

Oonagh (Simone Kirby) et James Gralton (Barry Ward)

Jimmy’s Hall convoque une réalité très importante de la lutte pour l’émancipation sociale. Celle-ci se doit d’être festive. C’est une culture que nous vivons encore, et dont James Gralton fut l’un des précurseurs. Il avait intériorisé et mis en pratique l’idée suivante, fondamentale : se battre pour l’abolition des classes, c’est se battre pour la vie, et la vie se doit encore plus d’être célébrée lorsque l’on est athée. Seulement, apprendre aux hommes à vivre libre, et à posséder leur corps, et leur esprit, autrement que par le travail harassant, à l’usine ou aux champs, n’est pas du goût des possédants. Un bon pauvre est un pauvre fatigué, incapable de réfléchir à sa condition, et priant une hypothétique aide divine pour sa survie. Dans Jimmy’s Hall, Ken Loach décrit une Irlande entre deux temps, déchirée entre une culture politique progressiste héritée de la décolonisation, et une bigoterie encore très forte, dont tire parti une église parmi les plus rétrograde d’Europe. Un des chefs d’accusation édicté par le père Sheridan (Jim Norton) n’est-il pas que Gralton ose jouer du jazz au dancing, cette musique « venue de l’Afrique la plus noire » ? En quelque sorte, Jimmy’s Hall nous rappelle que la culture est une graine dans un pot, et que de ce pot peuvent germer les plus belles aspirations de l’humanité. En opposition avec l’instruction, ici, celle de l’Église, qui s’oppose alors à Gralton car il dispense, au sein du dancing devenant université populaire, des enseignements.

Jimmy’s Hall : de la fête comme oeuvre émancipatrice

Père Shéridan (Jim Norton), O’Keefe (Brían F. O’Byrne) et Père Seamus (Andrew Scott)

À l’heure où sont tournés en ridicule les syndicats parce que le chaland ne comprend pas que l’on puisse manifester dans une ambiance festive, à l’heure où les politiques culturelles sont mises à mal, notamment par la chasse aux sorcière orchestrée contre les intermittents, à l’heure où, à l’exception de quelques collectifs, tel Jeudi noir, plus personne n’a le courage de s’opposer à l’infamie consistant à monopoliser la terre, Jimmy’s Hall est un rappel salutaire. Nous nous devons de conjuguer luttes politiques et fraternité populaire. Nous devons multiplier les lieux de rencontres et les événements festifs qui sont les seuls endroits où l’on peut conjuguer l’ambition d’une meilleure humanité, et la célébration de la vie. La révolution ne se fera que dans la liesse.

Boeringer Rémy

Pour voir la bande-annonce :


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