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Le Sentier des Passeurs

Publié le 16 juillet 2014 par Lifeproof @CcilLifeproof

Que diriez-vous d'une balade en art contemporain au bord des Vosges ? Entre l'Alsace et ce département voisin, un chemin chargé d'histoire déroule la mémoire des exilés de la 2ème Guerre mondiale sous la forme d'interventions artistiques contemporaines.

Le Sentier des Passeurs a été construit par des prisonniers russes et polonais lors de la 1ère Guerre. Belle revanche de l'histoire que la vocation de voie vers la liberté qu'il a acquise dès 1940. De nombreux civils, échappés des camps et soldats fuyant l'incorporation de force dans l'armée allemande ont pu gagner la zone libre grâce à des passeurs qui risquaient leur vie dans cet acte de résistance.

Ce nom désigne également une biennale organisée depuis maintenant 10 ans par l'association Hélicoop. L'originalité de la manifestation tient pour beaucoup dans son ouverture d'esprit et sa convivialité : on y invite des artistes confirmés, mais aussi des étudiants, et même quelques expérimentateurs qui ont eu envie de rejoindre l'aventure et d'apporter leur contribution à ce travail de mémoire, mais aussi de réenchantement de la forêt.

Plus de 30 artistes – j'utiliserai donc ce terme en gardant en tête sa joyeuse diversité – ont donc choisi chacun un lieu pour rendre hommage, de près ou de loin, aux humains qui ont joué leurs vies sur ce sentier.

Pour certains, la parenté est directe : l'œuvre a été conçue en se rappelant des récits du grand-père, ou d'après une photo d'époque. Le photographe Pierre Rich a investi un bunker niché sous les arbres, dont l'entrée et recouverte de clichés de ciel bleu, nuages moutonneux blancs. Cette incitation à l'insouciance et au rêve est contrebalancée par le portrait sépia de soldat qui se répète dans l'entrée du couloir, on plonge dans l'obscurité en même temps que dans les souvenirs d'attente, de peur, de combat. Fanny Stoll a installé, précisément sur la ligne de l'ancienne frontière avec l'Alsace, un jeu de trois portes : l'une est fermée sur un passé abandonné dans la douleur, celle du milieu encadre un montage photo de villes bombardées, et la troisième est ouverte vers l'avenir. 

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 Yves Siffer – Une rose blanche dans une douille © Yves Siffer

Pour d'autres, le point de départ a été un objet symbolique. Le célèbre peintre sous verre Yves Siffer a encastré dans un arbre, comme une photo dans une pierre tombale, une petite peinture représentant un obus taillé en forme de vase – pratique courante chez les soldats pour tromper l'ennui – et accueillant une rose blanche. Ironie du paradoxe entre l'objet et son détournement ! François Klein s'est intéressé aux petites choses qui rendaient le quotidien plus supportable : une première œuvre reproduit des étuis à instruments de musique, identiques à ceux portés par des militaires sur une photo d'époque, mais on hésite : certains pourraient également contenir des armes, et ce petit coffre à violon ressemble un peu à un cercueil d'enfant... Une deuxième intervention consiste en plusieurs occurrences, au fil du sentier, du "soldat trinquant". Cette petite statue figurant un jovial personnage à la chope levée n'avait pas été approuvée, de son temps, par les gradés, qui estimaient qu'elle renvoyait une image immorale de l'armée. La voilà dupliquée et mise sur des piédestaux !  

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 Jean-François Gavoty – Sélénite / Marion Cros – Psychopompe / François Klein – Soif de résistance

La diversité des sensibilités permet d'approcher les idées de passage, de transmission, de liberté, mais aussi de résistance, d'abri, de refuge,... Chacun propose son interprétation, globale ou parcellaire, historique ou totalement subjective. Chaque installation mérite qu'on s'y attarde... sur place, mais dans cet article j'évoquerai encore 2 œuvres parmi les 4 sélectionnées par le jury (et ayant donc bénéficié d'une bourse de création) : celles de Valentin Malartre et du duo Célie Falières / Clémentine Cluzaud. Le premier a réalisé une construction complexe au bord d'un ruisseau, dont le courant active une machinerie qui s'avère générer de l'électricité. Elle est reliée à une cabane haut perchée dans un arbre, dans laquelle luit une ampoule électrique. Il n'en faut pas plus pour lui donner un petit air douillet et accueillant, on se prend à rêver à une retraite loin des hommes. Mais si on tend l'oreille, on décèle également un son... Le générateur hydraulique alimente aussi un poste de radio – j'ai cru reconnaître France Culture. Assurément, un acte de tranquille résistance.

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 Valentin Malartre – Au fil de l'eau. © Valentin Malartre

Célie Falières et Clémentine Cluzaud, toutes deux issues de la HEAR, ont allié leur compétences en art, design et céramique pour réaliser D168, un couple de pompes à essence au look rétro auquel le changement de matériau donne un aspect statuaire. Présentes dans tous nos souvenirs de vacances d'enfants, les stations-services sont synonymes de pause et de ravitaillement. Mais on devine à peine celles-ci par-delà les hautes herbes d'une prairie d'altitude : la route semble s'en être détournée pour des destinations plus actuelles. Des stèles d'un monde disparu, qui appellent aujourd'hui également les questions de surconsommation d'énergie fossile et de viabilité d'un modèle de société vieillissant.

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 Célie Falières et Clémentine Cluzaud – D168. © Célie Falières et Clémentine Cluzaud

Vous aurez encore de nombreuses œuvres à découvrir, ainsi que des paysages variés alternant forêt de feuillus et de conifères, ruisseaux et chaumes, cirques glaciers et vue panoramique depuis le sommet de la Haute-Loge.

Dans cette région ayant beaucoup souffert de la désindustrialisation, comme en témoignent les nombreuses usines abandonnées, les associations Helicoop (basée dans le hameau de Quieux, sur le Sentier) et Scène2 (dans l'immense Abbaye de Senones, à quelques kilomètres) s'activent à créer du lien entre les habitants et avec les visiteurs grâce à des propositions culturelles variées. En plus de la balade sur le Sentier, vous pourrez visiter à l'Abbaye une exposition de pièces sonores également sur le thème des passeurs (SENO), assister à un concert, faire un atelier avec les enfants...

Catherine Merckling.

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INFOS PRATIQUES

www.sentier-des-passeurs.fr – jusqu'au 30 septembre

Durée totale Salm (67) <> Moussey (88) : 4h30

Distance : (info à venir) Dénivelé : 550m

Balade organisée avec un guide bénévole du Souvenir Français (repas et retour au point de départ en navette) : [email protected]

Autres manifestations des associations Hélicoop et Scène2 :

www.helicoop.fr et www.scene2.org

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Catherine:

"J'ai achevé mes études d'art à Strasbourg par un master axé sur l'écriture et l'organisation d'expositions. Depuis, j'évolue dans le milieu culturel régional et j'aime faire partager mes émotions artistiques par le biais des mots. J'aimerais que tout spectateur se sente libre de parler, que les musées soient des lieux de discussions, et que l'élitisme dont semble entouré l'art contemporain disparaisse... et pour cela, il faut en parler simplement, et donner envie d'aller voir par soi-même ! J'espère arriver à faire cela."


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