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Zoom sur... Aurélie Roche, responsable des traductions chez Libella

Par Citl
Responsable des traductions : rigueur, souplesse et nerfs d'acier
ActuaLitté 10 juillet 2014
Zoom sur... Aurélie Roche, responsable des traductions chez Libella
« Il reste prestigieux pour un auteur étranger d'être traduit en français », Aurélie Roche, responsable des traductions chez Libella

Aurélie Roche, responsable des traductions chez Libella, est intervenue à l'Ecole de Traduction Littéraire du CNL pour présenter sa fonction. Ce travail de relais entre éditeur et assistant d'édition et d'interlocuteur privilégié avec le traducteur requiert une parfaite connaissance de toute la chaîne du livre, et beaucoup de tact.
« En matière de traduction, il est essentiel que l'éditeur et le traducteur s'entendent sur la musicalité et le rythme du texte. Par ailleurs, traduire coûte cher et est très encadré juridiquement », explique Aurélie Roche du groupe Libella où elle s'occupe de la quarantaine de traductions littéraires annuelles pour toutes les marques, dont Maren Sell, Phébus, Libretto ou encore Buchet Chastel. Un bon responsable des traductions se doit donc d'avoir l'oreille fine et les pieds sur terre. Il lui faut savoir écouter un texte et connaître parfaitement les contraintes tant économiques que juridiques liées à la traduction.

L'éditeur, seul propriétaire de la traduction

« Les agents jouent un rôle de plus en plus important. Ils peuvent parfois suggérer - voire imposer - des traducteurs. L'auteur lui-même réclame parfois un droit de regard sur la traduction », explique-t-elle à la quinzaine de jeunes traducteurs de l'ETL-CNL. Les auteurs étrangers sont d'autant plus vigilants qu'« être traduit en français reste prestigieux ». Pourtant, aucune clause n'oblige l'éditeur, seul propriétaire de la traduction, à la soumettre à l'auteur. « Nous le faisons par courtoisie, aussi parce que cela est un signe que nous sommes sûrs de sa qualité », indique Aurélie Roche, laquelle est souvent amenée à arbitrer entre les différentes parties. Les clauses de soumission de la traduction à l'auteur sont toutefois de plus en plus fréquentes. « Cela va devenir la norme », note-t-elle.

La ponctualité, première qualité du traducteur


Une grande part de son travail est effectuée en amont, pour éviter les éventuels accrocs. Il s'agit de fixer les délais en fonction des deux grandes rentrées littéraires, en septembre et janvier. L'éditeur dispose de 18 à 24 mois après la signature du contrat avec l'auteur pour publier, temps de traduction inclus. Aussi, l'échéancier établi bien à l'avance ne peut souffrir aucun retard. « La ponctualité est la première qualité d'un traducteur », insiste-t-elle, car l'éditeur poursuit une logique stratégique et commerciale. Elle procède ensuite, avec le responsable juridique, à la mise en place du contrat, lequel stipule la date de remise, le calibrage et le montant des honoraires du traducteur : un tiers est versé à la signature du contrat, un autre tiers à la remise de la traduction et le solde à son acceptation, dans un délai de deux mois après la remise. Les tarifs sont ceux fixés par l'ATLF (environ 22 euros par feuillet), mais varient aussi en fonction de la notoriété du traducteur, de la rareté de la langue ou encore de la difficulté du texte.
Au-delà de ces questions contractuelles, le responsable des traductions vérifie la cohérence du texte original afin d'anticiper sur les problèmes que le traducteur pourrait rencontrer. « Assurez-vous que vous commencez votre traduction avec le texte définitif ! », avertit-elle, car certains livres sont vendus avant d'avoir été écrits et livrés à la traduction avant que l'auteur n'ait donné sa version définitive. « Après un achat sur synopsis, nous avons dû attendre cinq à six ans avant de recevoir le texte », témoigne-t-elle.
À la réception de la traduction, Aurélie Roche lit intégralement le texte et le révise mot à mot sur une trentaine de feuillets. Elle s'assure que le registre de langue est bien respecté, que des paragraphes n'ont pas été « oubliés », comme il arrive parfois, qu'il n'y a ni répétitions, ni glissements de sens, que la traduction n'est pas trop scolaire, que sont justes le rythme, la syntaxe, les temps (de son expérience, toujours problématiques en anglais). Puis, elle entame un dialogue avec le traducteur. À l'issue de cet échange, l'assistante d'édition prépare la copie qui part ensuite en fabrication, en composition, puis en correction. Un jeu est alors remis au traducteur qui peut encore intervenir à cette étape.

Des différends qui peuvent tourner au contentieux


« Nous avons dû refaire une traduction qui n'était pas assez proche du texte original, mais celui-ci était si plat, que le traducteur était pour ainsi dire obligé d'embellir », raconte-t-elle. L'exemple montre à quel point l'exercice est difficile et les jugements arbitraires ou soumis aux modes de l'époque. Dans un autre cas, un auteur indien avait exigé que l'ordre de ses nouvelles rassemblées dans un recueil soit respecté dans l'édition française. Un différend qui aurait pu tourner au contentieux juridique, mais faire preuve de souplesse dans les négociations permet d'éviter ce genre de désagrément. Par ailleurs, certains auteurs sont notoirement difficiles à satisfaire, ou d'une exigence légitime, selon les points de vue. Antonio Lobo Antunes aurait ainsi "eu la peau" de plusieurs traducteurs avant de s'accorder avec Dominique Nédellec. Aurélie Roche estime pour sa part que « l'auteur reste le créateur. Sa voix doit demeurer la plus importante».
« Si une traduction n'est pas bonne, l'éditeur a peu de recours et une traduction retravaillée ne sera jamais aussi bonne qu'une bonne traduction originale », assure-t-elle. La seule sanction sera de ne pas reprendre le fautif. Raison pour laquelle, le choix du traducteur fait l'objet d'une attention extrême. En anglais, ils sont pléthore, mais pour certaines langues rares -les langues nordiques ou même le turc- la demande est plus forte que l'offre. La notoriété du traducteur et le bouche à oreille sont décisifs, et l'annuaire de l'ATLF reste une référence. L'association recense 1 100 adhérents qui officient dans toutes les langues. Enfin, une autre des missions du responsable des traductions, et pas des moindres, est la gestion des dossiers de demande de subventions au CNL (retoqués si la traduction est trop loin du texte…) ou aux différents instituts étrangers, voire européens.

Les traducteurs remplissent de plus en plus un rôle d'éditing

« Je reçois 30 CV par semaine », reconnaît Aurélie Roche qui insiste sur le rôle de plus en plus important que les traducteurs sont amenés à jouer. « Les éditeurs sont bombardés et les traducteurs deviennent les premiers passeurs. D'une part, ils ont un œil sur les parutions à l'étranger et d'autre part, ils sont en mesure d'évaluer l'intérêt d'un texte pour un lecteur francophone ». Mais ce travail d'apporteur de projet constitue une lourde charge de travail, non rémunérée. Pour proposer un texte, il faut traduire un ou deux chapitres, rédiger un résumé, mettre en avant les arguments commerciaux (commémoration, prix littéraires), enquêter sur les traductions déjà en cours auprès des éditeurs, etc. Ce préalable laborieux reste pourtant « la meilleure façon de se faire connaître ». Il est aussi parfois source d'amertume, quand certains éditeurs indélicats confient au final la traduction à quelqu'un d'autre…
Statut, formation et conditions de travail des traducteurs devraient pourtant intéresser tous les amateurs de textes venus d'ailleurs, car, comme le rappelle Aurélie Roche « tout un pan de la littérature classique étrangère, tombée dans le domaine public, reste inconnu en France. Enfin, les traductions sont - et c'est une chance ! - à dépoussiérer régulièrement ». Plutôt qu'un travail de Sisyphe, une réjouissante fontaine de Jouvence.
Source : www.actualitte.com

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