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"Avec Proust, votre enfant va partir à l'abordage de l'un des plus magnifiques nouveaux monde qui soient".

Publié le 17 juillet 2014 par Christophe
Je le dis tout de suite, je ne suis pas lecteur de Proust. Et je le regrette avant d'entamer ce billet, car je pense qu'il y a une lecture de notre roman du jour qui peut se faire en parallèle, peut-être même à travers l'oeuvre de l'auteur d' "A la recherche du temps perdu". Ce billet sera donc, comme toujours, une lecture personnelle d'un premier roman, sorti il y a quelques années et disponible au Livre de Poche, "la petite cloche au son grêle", de Paul Vacca. Un court roman, plein d'émotions, et le pluriel n'est pas anodin, car on y passe du rire aux larmes, et pas qu'une seule fois. Un roman placé, donc, sous la figure tutélaire de Marcel Proust, mais pas seulement, on y croise une "guest star", pardonnez-moi l'anglicisme. En attendant, partons pour une tranche d'enfance, avec ses souvenirs agréables et ses drames...
Le narrateur aura bientôt 13 ans et vit dans le Nord, à Montigny, pas très loin de Lille. Ses parents, Aldo et Paola, tiennent un café, "Chez Nous", situé au bord de la Nationale, au comptoir duquel se retrouvent habitués et personnes de passage. Une vie heureuse, simple et tranquille, modeste et marquée par un labeur quotidien qui ne laisse que peu de place aux loisirs.
Paola, pourtant, a un passe-temps qu'elle essaye de transmettre à son jeune fils : la lecture. Elle lit chaque soir à son fils des romans, en particulier ceux de son écrivain préféré : Marcel Proust. Peu importe son jeune âge, l'enfant se laisse bercer par ces mots et ce style si particuliers. Au point de vouloir, en cachette, lire par lui même ces livres qui le transportent dans un autre monde, un autre temps, une autre vie...
Aldo est un peu dépassé par tout cela, la lecture, ce n'est pas trop son truc et il préférerait nettement que son fils s'intéresse au sport. Si ce n'est pas le football, tant pis, ce sera un autre, mais, c'est de l'activité physique qu'il faut à ce garçon, pas un bourrage de crâne signé par ce... Proust. Un inverti, en plus !
Peut-être Aldo est-il surtout jaloux de la complicité qu'entretiennent sa femme et son fils et dont il se sent un peu exclu. Pour autant, l'homme n'a rien d'un tyran domestique. Au contraire, il est fou d'amour pour sa belle, chaque jour un peu plus, et son fils, en grandissant, fait sa fierté. Même s'il lit Proust au lieu de faire des activités plus normales pour un garçon de son âge...
Lorsqu'il ne se plonge pas dans "la Recherche", il se consacre pourtant à des activités de son âge, les copains de classe, les bêtises, les premiers émois amoureux, en particulier lorsqu'il longe la Solène, le cours d'eau local, sur son vélo, rêvant à celle qui vit là et occupe ses rêves. Il est timide, ce garçon, il n'ose pas aller vers elle. Mais il a de bonnes raisons pour cela...
Reste qu'il aimerait bien que les filles de sa classe l'ignorent un peu moins, lui le timide, le discret. Enfin, les jolies, pas celle qui flashe sur lui lorsqu'elle le voit avec Proust sous le coude... Mais bon, les aléas de l'adolescence, dira-t-on... Et la complicité avec son meilleur ami, Mouche, toujours de bon conseil, enfin presque, et toujours prêt à donner un coup de main...
Et puis, il y a Paola. Cette maman tellement importante pour l'enfant. Impossible de s'éloigner trop longtemps d'elle et le temps est long, interminable, lorsqu'elle part s'occuper d'une de ses tantes, malade. La famille boitille quand elle n'est pas là. Elle en est le ciment. Et sa tendresse, son amour, sont les ailes du garçon, qui se sent libre et heureux quand elle est là.
Peu à peu, Proust va devenir un membre à part entière de la famille. Mais il ne va pas s'arrêter là. Proust et son oeuvre vont infuser "Chez nous" avant de se diffuser aux alentours. Les clients du bar puis tout le village vont faire connaissance de l'oeuvre du romancier, l'intégrer dans leur vie avant d'eux-mêmes y entrer.
Montigny va devenir un Cabourg en plein pays chtimi, chacun cherchant à quel personnage de "la Recherche" il pourrait correspondre, les autres se mettant à lire ces livres qui ont parfois la réputation d'être ennuyeux, en tout cas difficiles... Et ça fonctionne, Proust est bientôt un citoyen d'honneur d'un village où il n'a jamais mis les pieds et près d'un siècle après sa mort.
Proust crée du lien social, du lien culturel, rabiboche les fâchés, efface les inégalités, les différences, fait des marginaux des personnages centraux et d'un enfant le maître d'un monde où l'imaginaire prend soudainement le dessus sur la réalité, le quotidien, les soucis. Et par-dessus tout, sur la fatalité.
"La petite cloche au son grêle" est un roman dont il est difficile de parler. D'abord, parce qu'il est court. Ensuite, parce qu'il fonctionne selon une mécanique narrative très précise qu'il ne faut évidemment pas révéler ici et qui ne se met en place que dans les dernières lignes. Enfin, parce que s'y mêlent des émotions contradictoires qui s'affrontent, se complètent, se mélangent, s'émulsionnent...
Voilà pourquoi j'ai laissé volontairement dans l'ombre certains éléments majeurs de l'histoire, et particulièrement la source de cette fatalité que j'ai évoquée quelques lignes plus tôt et qui va également générer la partie dramatique du récit. Par ailleurs, cela colle bien au récit lui-même, car le lecteur n'est pas mis devant le fait accompli et ne comprend que petit à petit ce qui se passe...
Et malgré cette épée de Damoclès, bien qu'on sente que sa chute est inexorable, il émane du roman de Paul Vacca une tendresse, une douceur, une drôlerie mais aussi un sacré culot qui rappelle qu'à coeur vaillant, rien n'est impossible. La puissance de l'enfance, à qui l'on ne peut rien refuser, mais qui rend aussi suffisamment inconscient des barrières à abattre.
J'ai beaucoup aimé le mélange de récit quotidien, de cette vie aussi modeste qu'elle est heureuse, des extras que s'octroient Paola et Aldo, emmenant leur fils dans leur sillage pour un weekend inoubliable sous le sceau proustien. Des angoisses adolescentes du narrateur et des craintes des adultes, lorsque l'insouciance s'est envolée.
Et puis, comme je l'ai dit en préambule, il y a le jeu de miroirs entre "la Recherche" et le livre de Paul Vacca. Je ne suis pas compétent pour mener cette réflexion, car je n'ai qu'une vague vision de l'oeuvre classique. Je n'en connais, comme beaucoup d'entre vous, que les grandes lignes et quelques passages, devenues images d'Epinal, voire cliché.
Pourtant, c'est bien à l'un d'eux que je vais me référer. Vous me voyez venir ? Eh oui, la madeleine... Celle qu'on trempe dans son thé et qui, etc., etc. Les choix narratifs, je ne détaille pas, toujours pour les mêmes raisons et vous les comprendrez vite si vous vous plongez dans "la petite cloche au son grêle", créent une atmosphère pleine de nostalgie.
Mais cette nostalgie n'écrase pas tout. Non, on est avec le narrateur et l'on vit les événements, en ne comprenant que progressivement où l'on nous emmène. La nostalgie de la jeunesse évanouie, de l'insouciance enfantine, la nostalgie du bonheur, sans entrave, la nostalgie aussi de la communion qu'avaient su créer autour d'eux Paola et son fils à travers Proust.
Pas de madeleine, dans "la petite cloche au son grêle", non, mais un phénomène identique. un déclencheur, en apparence banal, ordinaire, le genre de truc qu'on ne remarque pas mais qui se grave dans l'esprit au point de provoquer des réflexes conditionnés, de réveiller la mémoire assoupie ou refoulée et de replonger dans le passé, dans son confort, mais aussi dans ce qui fait de lui le passé. Franchir la parenthèse refermée.
Enfin, voici un livre qui évoque la lecture et lui rend hommage de la plus belle des façons. Paul Vacca a choisi Proust, auteur pour qui il nourrit une véritable passion. Mais, en dehors de tout ce qui se passe dans ce roman précis, je crois que ce lien si particulier au livre, ces horizons qu'il ouvre, ces portes qu'il enfoncent, tout cela pourrait se produire avec les livres d'autres écrivains.
Sans doute sommes-nous nombreux à être tomber dans cette marmite de potion magique quand nous étions petits. J'ai eu la chance, comme le narrateur, qu'on me lise des histoires quand j'étais enfant, avant de moi-même me lancer dans la lecture. Ces lignes qui peuvent sembler monotones au premier regard mais qui, lorsqu'on les égrène, prennent des formes, de la couleur, des odeurs, des sons, de la consistance...
Ces lignes dans lesquelles on entre comme dans une eau un peu froide d'abord, puis délicieuse, dont on ne veut plus sortir, dans laquelle on s'immerge, on flotte, on nage. La lecture qui crée une vie parallèle, aux antipodes de la vie quotidienne. L'enfant mis en scène par Paul Vacca (ou que fut Paul Vacca ?) a découvert l'univers des Guermantes et de Swann, l'univers si éloigné du sien dans lequel il fait évoluer ses nombreux personnages.
Et, à sa plus grande surprise, il s'y sent parfaitement bien. Oh, à son âge, bien sûr, il ne comprend pas tout, ne maîtrise pas tous les tenants et les aboutissants, ni le contexte historique. Pas plus que les grands sentiments humains qui sous-tendent l'oeuvre, lui qui n'est encore qu'un enfant amoureux comme on l'est à 12 ans...
Mais peu importe tout ça, peu importe les différences d'époques et de statuts sociaux, d'âge et d'expérience, et même encore beaucoup d'autres chose. Oui, peu importe tout cela, parce que le pont que la lecture construit entre ces deux mondes est indestructible et s'élance aussi loin qu'il est possible de s'étendre.
Oui, tout est dans cette capacité d'imaginer que nous possédons tous, mais dont nous nous servons à des degrés divers. Que nous stimulons plus ou moins souvent. Que nous faisons travailler comme on fait travailler un muscle, que nous nourrissons en plus ou moins grande quantité. L'enfant qui raconte son étonnante expérience avec Proust est un champion en la matière.
Son imagination n'est même pas débordante, car le mot est trop faible. Il la fabrique sur commande, s'y immerge comme s'il appuyait sur un bouton ON, avant de réintégrer le réel en cliquant sur OFF. Et très vite, car il n'est pas seulement imaginatif, mais il est intelligent, curieux et sensible, il va l'utiliser comme une arme défensive contre cette fatalité qui lui apparaît, monstrueuse, ignoble.
Voilà aussi de quoi parle "la petite cloche au son grêle". De l'aide précieuse que son imaginaire a apportée à un enfant timide et un peu solitaire pour traverser cet âge si particulier de l'existence et les embûches de la vie pour devenir un adulte équilibré, en tout cas, c'est ainsi que je vois les choses. Je pousse peut-être un peu loin le raisonnement...
Mais je suis certain d'une chose, c'est qu'il faut tous avoir notre Proust, quel que soit son nom, son oeuvre (mais bon, Proust ou un autre auteur classique, ça ne serait pas mal aussi, tout ce que nous lisons prend sa source dans cette littérature-là, ne l'oublions jamais), il faut nourrir notre imaginaire avec fidélité et enthousiasme.
Et être attentif lorsque retentira notre petite cloche au son grêle...

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