L’année dernière, nous avions quitté la presqu’il enchanteresse du Malsaucy en vous promettant d’y retourner, de retourner sa glaise rosée et odorante puis d’y hurler nos ritournelles a tue-tête. On fait ce qu’on dit et on dit ce qu’on fait. Petit goût de mélancolie nostalgique car c’est la dixième pour nous, la vingt-sixième pour eux et la troisième pour vous, au service de vos sens. L’endroit féérique nous projette dans un décor nature et découverte, comme le magasin mais sans balai dans le fion. Ici, le bien-être ne se trouve pas dans une fontaine en fausse pierre feng shui qui change de couleur avec le bruit des animaux de la savane, mais dans l’âme de votre voisin de débauche qui sait rouler dans les conditions les plus cataclysmiques. Grâce aux Eurockéennes de Belfort, nous accédons à l’un des plus beau paysage musical de cet été avec ses mastodontes, ses reliques dépoussiérées, ses nouveaux talents et les autres.
La causerie d’avant festival est très solennelle : « décomplexez votre jeu, montrez que vous avez envie, jouez sans crainte, c’est la meilleur façon d’arriver au bout. Nous sommes tous là, nous avons déjà gagné ». La logistique, puisque c’est le nerf de la guerre, est propre, sans accros. Comparables aux Teotwawki, nous arpentons la ligne droite qui sépare l’Alpha de l’Omega. Les Eurockéennes sont comme une pièce manquante à notre puzzle musical même si notre innocence, nous l’avons déjà perdue.
Chapitre un : les larmes des absents
Cette première journée est la mise en pratique des concepts fondamentaux du darwinisme ou la sélection naturelle. Nous n’allons pas vous mentir afin de vous rendre envieux : en moins d’une heure, nous voilà trempés jusqu’au trou de balle, la nuque, la colonne vertébrale et la raie du cul nous servant respectivement de gouttière avant de terminer par remplir nos godasses. Sereins, nous nous déplaçons au pied de la grande scène, tout proche du canadien Jordan Cook aka Reignwolf, dans le dessein de se réchauffer un peu la tronche. Ce garçon frappe avec fureur sa Gibson 335 du dos de sa main, pour nous montrer que la musique, tout comme le reste, ne s’apprend pas à l’école, mais en côtoyant des anciens qui savent. En cuir de la tête au pied, les veilles d’à côté lui envient ses boots de l’armée tandis que nous nous secouons sur son énergie brute. Blues, punk, rock, nous avons le cul entre trop de chaise pour décider. Contentons-nous d’admirer son envolée solo à la guitare et à la batterie. L’homme orchestre remue les plus téméraires avant l’entrée en scène (de nouveau) du reste du crew. Notre concert d’ouverture commence par une découverte, merci.
Salut c’est cool porte très mal son nom.
En préparant notre aventure, nous nous demandions pourquoi le festival affiche sold out près d’un mois avant le
début de l’événement, notamment le vendredi. « C’est à cause de Stromae ! » nous hurle une bande d’effrontés pré-pubères, laissant place aux théories les plus folles. A l’époque, nous les aurions brûlés sur le buché du village pour avoir osé balancer des conneries aussi énormes qu’un adolescent américain. Mais c’est vrai, c’est à cause de c’te baltringue de belge que les « vrais » en ont chié pour arriver jusqu’à nous. Preuve à l’appuie, le site se rempli dangereusement pendant le concert des Pixies et se vide littéralement après une heure et demi d’un show dont nous ne retiendrons que la garde robe varié d’un androgyne alcoolisé.
Nous le quittons prématurément pour Mø, prononcez /mø/, s’il vous plait. La danoise originaire d’Odense, est considérée comme la nouvelle Grimes, ce qui aura le mérite de sérieusement l’emmerder car Grimes, n’est plus perçue comme la nouvelle… la nouvelle quoi déjà ? Karen Marie Ørsted nous trimballe dans une pop électrisante et euphorisante, sans se soucier un instant de ce qui se passe autour d’elle, sauf pour prendre, à quelques instants bien choisis, de nos nouvelles. Flirtant grièvement avec Lana del Rey (la même raie qui nous sert de gouttière), c’est Diplo qui la sort de l’embarras en lui concoctant deux hits sur-mesure. Obnubilés par son jeté d’épaule arrière et son énergie débordante, nous avons parfois l’impression que le son est plus fort de son côté que du notre. Mais rien n’y fait, les enchainements efficaces nous montrent que la musique est bien rôdée et la performance déroule. Impressionnés par des vocalises parfaites nous sommes partagés entre deux théories simplistes : soit elle chante, soit elle chante pas. Nous n’avons pas pu vérifier, même pendant son bain de foule. Le buzz (zzub en verlant) arrive avec Pilgrim, de la pop de perfection avec une soul-itude de mélodies synthétiques. Une espèce de junk food qu’on ne veut pas mais qu’on dégomme allègrement dans nos moments de faiblesses.
Nous concluons cette journée, les larmes des absents plein le slip, avec Hermigerwill, un laborantin autiste islandais qui demande la permission pour jouer une autre chanson. Flirter avec l’expérimental à du bon, dommage que nous ne soyons pas au bon endroit pour absorber cette musique électronique avant-gardiste pleine de sens pour celui qui la comprend.
Chapitre deux : la récompense
Tel un jeu de rôle, celui préféré des no-life, la carte electro est la carte nique-tout – comme la CB de ton père. La direction du festival l’a compris et réitère la thématique unique à notre endroit préféré avec la Playa del Brodi. Arnaque, crime ou botanique ? On joue le jeu, car après une soirée pleine de rêves humides, nous sommes heureux de pouvoir cramer sous un astre en furie. Le mode survie s’enclenche assez rapidement. Les 8-6 sont encore fraiches et nous profitons de copieusement rouler nos cannettes sur nos peaux de caméléons :
la plage sera notre Port Royal. On valse entre Cashemere Cat et Kayatranada avant d’évoluer vers Little Dragon.
Le groupe suédois, tout droit venu de Göteborg, baigne dans un environnement angélique et nous le fait ressentir. Comparable à Flying Lotus, leur génialissimes arrangement nous étonnent tandis que la voix de Yukumi Nagano nous berce. Nous avons parfois l’impression d’écouter une musique aux tonalité nostalgiques et romantiques façon 80s. Little Dragon n’est pas né d’hier, mais plutôt d’une union de sales gosses qui, en 1996, décident d’enfin enregistrer leurs mix. Potes de lycée, Erik Bodin (batterie), Fredrik Källgren Wallin (basse) et Håkan Wirenstrand (claviers) nous balancent à la figure leur style doux et chaloupé.
Après avoir bouffé de la barbe à papa pendant une heure complète, nous avons des fourmis dans les jambes et un début de coup de soleil. L’envie de se dépenser s’empare de nos corps anesthésiés. Freddie Gibbs et surtout Travi$ Scott se chargerons du reste. Ce dernier, féroce à souhait, est le chouchou de Kanye West puisque c’est lui même qui le signe sur son label G.O.O.D Music. Jacques Webster est un gamin du Texas, high school, university, bref, la totale, mais décide de foncer à contre courant pour poser du gros son avec son roomate. Un vrai film k’1-ri son histoire. Premier EP sur MySpace en 2009, il débarque avec les plus grands sur sa mixtape : Theophilius London, Toro Y Moi et A$AP Ferg entre autres.Toujours les pieds ancrés dans le sable de la Playa del Brodi, Para One enchaine sans vergogne après un H-I-P-H-O-P de durs. Ce n’est pas pour rien que l’orléanais Jean-Baptiste de Laubier, JBL pour ce qui est de ses initiales, nous plait. Co-fondateur du label Marble avec Surkin et Bobmo, il assure le joint entre deux styles de musique plutôt antagonistes. C’est lui qui concocte Girlfriend, l’hymne au coït sauvage de TTC ou encore Abesses de Birdy Nam Nam. Il assume le rôle de représentant de la French Touch ce soir, merci d’avoir choisi le moins pire !
En approchant M.I.A., nous sommes épris d’un soulagement énorme en voyant ses danseurs. On est rassurés de voir que le roux, chassé par une milice anti-toux américaine dans le clip Born Free réalisé par Romain Gavras, n’est pas mort sous le joug de ses tortionnaires. Live Fast, Die Young souffle un air épicé sur la foule que se jette en l’air à chaque assaut de la sri lankaise déchainée. Elle ratisse assez large avec des samples à la Beastie Boys et des chorégraphies à la Beyoncé. Musique devançant les grands courants, saupoudrée de provocation et revendications, nous avons en face de nous une bombe à retardement qui nous mettra dans le rouge pour la suite des festivités.
Sans même s’en rendre compte, nous sommes catapultés devant Louisahhh!!! qui aura l’honneur et le privilège de conclure cette session. A cette heure de la nuit, les chats grisés par une atmosphère aigre douce doivent ménager leur susceptibilité, mais avec limites. C’était trop court, bien trop court. Brodinski nous sort de sa botte secrète une américaine ayant une place de choix dans le label Bromance. A certains instants, nous nous sommes crus sur les bords de Popivka tellement l’acidité de ses sons nous torturait avec des relents d’alcool de pomme de terre. Un post dubstep un peu plus doux, un mélange dans lequel machines et logiciels sont malmenés avec une énergie affriolante. Et puis, plus rien. Zouki et les autres se cherchent, s’interrogent et à l’unissions, vous accordent un bonus track. Vous savez, un peu comme la dernière chanson de votre CD préféré qui fait 15:12 min mais dans laquelle vous n’avez que 3:36 de son, un vide et enfin l’explosion. Dans le jargon de la rue, ça s’appelle la double jouissance pour le même prix, demande à ta mère, elle sait.
Bonus Tracks
WhoTheFuckAreYou vs Le Camping des Eurockéennes de Belfort.
Sans paniquer et d’un pas décidé, nous traçons à reculons, en regardant à 360° sur les côté, au camping de l’Open Air avec la ferme volonté de trouver une bière. Le vent dans les cheveux, plus que quelques tours de roues nous séparent du trou noir et de l’inexplicable. Tout débute avec un grand classique : la place centrale et la cornemuse. Lieu de rassemblement des gens qui préfèrent la foire à la musique, l’e
ndroit est parfaitement choisi pour flairer le gibier. Dans notre jargon, le gibier est couramment employé pour désigner tout ce qui s’apparente à un liquide alcoolisé et comestible (parfois) et tout ce qui crache du son à un volume honnête. Ni une, ni deux, nous vous avions prévenu, notre innocence, nous l’avons déjà perdue. Les bières pleines de poches, nous nous en allons flâner à travers les gueules décomposées de nos hôtes. Les méandres d’une débauche sans nom nous procurent une sensation d’invincibilité à laquelle tout le monde peut venir croquer. Notre approche « styyyllllée » fait la joie de ceux trop fatigués pour restés éveillé et trop éveillés pour dormir. La playlist WhoTheFuckAreYou bouffe les piles du poste posé sur un push-cart à une vitesse vertigineuse. Toujours à la quête de quoi se rassasier, c’est au milieu d’une clairière de tentes que nous trouverons notre bonheur. Le soleil se lève finalement sur un paysage vallonné délectable. Nous passerons à la vitesse supérieure lorsqu’une fille, camée jusqu’à l’os, viendra nous demander d’un air douteux, de la dope, des feuilles, un briquet, du son un peu plus « hardos » et un sandwich. Nous vous épargnons les lynchages public d’ados voulant à tout prix écouter Bondax ou Patrice à un moment pareil. Leur éducation est encore à faire, et on vous garanti que ce soir là marquera à jamais leur esprits.Là est la récompense.
Chapitre trois : l’embuscade
A l’accoutumée, nos dimanches ressemblent à une sereine tranquillité, un prolongement gentillet de deux jours pleins, une relâche en quelque sorte. On fait les fonds de bar et de frigo pour se retrouver avec un sandwich au pain et un cocktail de rhum au rhum. Bon, c’est toujours mieux qu’au pain sec et à l’eau nous diriez-vous.
Les premières minutes sont sages, voir exemplaires. Patrice, sous la canicule, nous plonge dans un état de grâce. La foule, les bras en l’air, forme une vague immense lorsque le tube du colonais « ooooooh nanananananaaaanana » raisonne à travers le labyrinthe de nos oreilles avant d’atteindre l’escargot. Jusqu’ici tout va bien, oui, mais plus pour très longtemps. Nous n’avions simplement pas prévu Schoolboy Q. Egalement né en Allemagne mais dans une base militaire, il est élevé à Los Angeles. Il forme avec Ab-Soul, Jay Rock et Kendrick Lamar le collectif Black Hippy. Lancé en solo, c’est en 2013 qu’il voit la lumière des spotlights grâce à sa nomination à la XXL Freshman Class 2013 du magazine XXL. Collard Greens. Il nous fait pencher du bon côté de la balance et à partir de maintenant, nous ne contrôlons plus rien. Son album Oxymoron et un concentré de dark hip-hop, pas si dark que ça d’ailleurs, racontant une flopée de comptes de rue partagés entre Hoover Street, drogues en tous genres et parties de volley-ball entre potes.
Les jours passent comme les voitures et les heures des Eurockéennes encore plus vite. Nous survolons Robert Plant d’une manière peu honorable, avant d’atterrir devant SBTRKT. Le londonien inventif nous cajole, nous attendrit puis nous secoue dans tous les sens, déréglant ces derniers à tout va. Ceux qui veulent à tous prix le classer dans une playlist par genre n’y arriveront certainement pas, à moins d’en faire des doublons. Tendance musicale actuelle, les genres se mélangent, se diluent au contact des uns avec les autres, se chatouillent et s’embellissent pour le plus grand plaisir de celui qui veut bien l’accepter.
La fin torride annoncée, le batteur fait virevolter sa baguette en l’air droit dans notre escarcelle.« Pausen ! » repos obligé avant d’attaquer I Am Legion. Les Eurockéennes sont le théâtre de toutes scènes de vie invraisemblables comme le pipi collectif, le Kebab en kit ou encore l’invitation à une orgie improvisée à l’emplacement 18. Nous ne vous avions pas menti, les jeunes ne se sont jamais vraiment remis du Bonus Track.
Nous ne savons pas pourquoi ils s’obstinent tous à tenter de faire survivre le dubstep, car personnellement, nous en aurions profité pour faire disparaître avec lui ceux qui l’avait déclaré comme Le Nouveau reggae en 2010. Mais rien n’y fait, personne ne veut débrancher la machine, bien au contraire. I Am Legion injecte dans la perf une dose d’adrénaline à faire déjanter les plus faibles d’entre nous. Foreign Beggars s’associe à Noisa pour un résultat effrayant d’ingéniosité. Alors, c’est le cul baignant dans le rhum-coca que les amies de nos amis et nous, partons, sans bouder, à l’assaut de notre plaisir afin de porter le coup fatal à nos sens, bouleversés par une épopée abracadabrantesque.
Amusés par une foule en pleine descente, nous prolongerons par gourmandise la clôture à l’orée de la forêt enchantée qui sépare la captivante presqu’île du reste du monde. Délicieusement dégustée, cette édition nous aura musicalement comblée, humainement rapprochée, « festivement » épanouie et fascinée.