En résumé.
Au moyen d'une langue superbe, soyeuse, précise, brillante, l'auteur fait entrer le conflit israélo-palestinien au cœur de la littérature. C'est une tragédie au souffle puissant qu'il bâtit avec la rencontre de Cham, soldat de Tsahal devenu amnésique, et Falastin, Palestinienne qui le recueille et lui donne l'identité de son frère disparu, Nessim. Un roman bouleversant.
En long.
Hubert Haddad.
Cham ignore qu'il a rendez-vous avec son destin. Une embuscade attend les soldats. Tzvi est tué, Cham blessé. Il se réveille dans une cave, un keffieh sur la tête, à côté d'un commando palestinien. Le livre débute à peine et Hubert Haddad a déjà happé son lecteur. Parce qu'on s'inquiète pour ces humains mal embarqués, dépassés par leurs causes. Parce que la langue de l'écrivain est saisissante de beauté. Aucune rugosité dans ses phrases mais des mots qui coulent lumineusement les uns des autres, faisant naître à l'instant un paysage, une situation, une émotion, qui donnent envie d'en lire plus, tout de suite.
L'auteur invite le lecteur sur scène, avec ses personnages. On est près de Cham quand il émerge de son coma, dans "une chambre basse aux murs chaulés". Qu'il observe mais ne se rappelle de rien. "Qui est-on, sans mémoire?" Cham a été recueilli par deux Palestiniennes, la veuve Asmahane et sa fille, Falastin – la vraie héroïne de "Palestine" dont on découvrira peu à peu la vie et la personnalité – subjuguée par sa ressemblance physique avec Nessim, le frère disparu. L'amnésique en endossera l'identité.
Check-points, barrages flottants, agressions par des colons, Hubert Haddad écrit au cœur du conflit israélo-palestinien, dénonçant ses absurdités et ses horreurs. Il raconte les rafles et les intrusions israéliennes, il détaille les infinies manières d'abaisser l'autre, il relate les haines entre mouvements palestiniens, il explique la préparation d'un attentat-suicide. Il multiplie les faits, décrivant l'assassinat du père de Falastin, jugé trop pacifique, devant la petite fille alors âgée de 4 ans, pointant l'incendie de la maison de la veuve Asmahane, aveugle. Mais il se fait plus que témoin et pousse son sujet dans un romanesque prenant. L'histoire d'amour entre Falastin et Cham est touchante. Très bien amenée aussi la fin du roman, tissée de questions d'identité, d'appartenance et d'altérité. Une tragédie d'une beauté soufflante.
Car c'est bien une tragédie qui se déroule chaque jour en Israël et en Palestine. Le romancier la dit de l'intérieur, par la voix de ses personnages. Chacun confie son histoire, ses espoirs, sa façon de composer avec la situation. Que ce soit le bon docteur Charbi qui examine Cham, le major Mazeltof qui fait ce qu'il peut pour ne pas trop être le soldat israélien d'occupation, le photographe Abdallah Manastir qui résiste sans trembler, la tante Layla qui ne mâche pas ses mots: "Donner ta vie? D’autres l'ont fait pour rien. Il faut plutôt la sauver, sauver toutes les vies." Ou le peintre Michael, seul être réel de cette galerie de papier, chez qui s'achève le livre.
Bouleversant, "Palestine" est un roman qui a marqué l'année 2007. Hubert Haddad m'avait alors accordé un entretien. Le voici.
Trois questions à Hubert Haddad
Les questions de l'identité et de la mémoire paraissent être au cœur de votre roman.
J'ai toujours vécu dans une culture judéo-berbère. Ma famille vient de Tunisie. Du côté de mon père, tailleur de pierres, ce sont des Juifs, qui ont toujours été là – Haddad signifie forgeron en arabe. La famille de ma mère est d'origine algérienne. Lors de l'exil plus ou moins forcé des années 50-60, nous avons débarqué en France, à Ménilmontant. J'avais un frère aîné, Michael, qui s'est mis en rupture de notre famille. Cétait un artiste. Il a vécu à Jérusalem, a enseigné l'art et a fait des expositions appréciées. Il a vécu dans une cabane entre 1977 et 1979, l'année de sa mort. Dans ce livre, qui est une fiction, mon frère Michael est un personnage réel. C'est lui le vrai témoin.Après "Oholiba des songes", "Palestine" est aussi hanté par le conflit du Proche-Orient.
Je suis romancier et j'ai suivi la voie de la fiction avec une part de mon inconscient, avec l'ombre de mon frère. Il ne supportait pas l'ostracisme régnant en Israël, l'état de guerre permanent. Il se retrouvait aussi bien dans le Juif que dans l'Arabe. Je pense que sans être dans le lieu même, on est tous en première ligne de l'histoire qui se fait."Palestine" est comme une moderne "Antigone". Avez-vous voulu réécrire un classique?
A aucun moment, je n'ai voulu faire cela. J'ai seulement été mû par la passion d'aller au bout d'une douleur que j'ai au fond de moi. Je n'ai pas cherché à être référentiel. J'ai laissé faire le mouvement de la fiction pour qu'il n'y ait rien d'artificiel dans ce livre qui a l'allure d'une tragédie antique. J'étais en train d'écrire un autre roman sur le même sujet, celui-là avec plein de références. Je m'étais même rendu en Inde pour mieux le préparer. Mais je l'ai interrompu pour écrire "Palestine" – je vais le reprendre maintenant. Je n'aurais pas pu continuer alors: tant d'événements ont lieu en Palestine et en Israël. Des histoires à fleur de vie. Mais je n'aurais peut-être pas écrit "Palestine" si je n'avais pas été en Inde.