Le mal des ardents : la maladie du Moyen-Age
Au XIIème siècle, un mal terrible touche une grande partie de la population et fait plusieurs dizaines de milliers de morts. La médecine est impuissante. Évidemment, on est pas franchement doué à l’époque. En revanche, prier, on sait faire. Alors on prie Saint-Antoine. Il est sympa, et il a des moines un peu partout sur le territoire : l’ordre de Saint-Antonin est célèbre pour ses soins thérapeutiques par les plantes médicinales et les incantations divines. Et aussi pour son pinard, le Saint Vinage qui une fois entré en contact avec les ossements de Saint Antoine fait des miracles. Enfin,c’est ce qu’ils disent.
Le « mal des ardents » est une contamination des farines par l’ergot de seigle, il contient des alcaloïdes et des substances hallucinogènes qui une fois ingurgitées entraînent une mortification des tissus, des brûlures et surtout, des désordres de la pensée avec une agitation extrême et des envies suicidaires… C’est sympa. Ça donne envie.
Ce mal va disparaître au XVIème siècle. Enfin….
Le petit village presque tranquille de Pont-Saint-Esprit
Pont-Saint-Esprit est charmant petit village au milieu des vignes avec des arbres fruitiers et où la vie est belle. Enfin… En temps normal. Le 17 août 1951, une personne court dans toute la ville en hurlant. Tu me diras, rien d’alarmant, des cinglés (2), il y en a partout. Même dans les petits villages mignons du sud de la France. Et puis, quelques minutes après un deuxième mec se jette au sol après avoir vu des flammes géantes sortir d’un bouquet de fleurs… Un mec sensible sans doute, ou allergique à la fleur. Finalement, des centaines de mecs tentent de s’envoler, se prennent pour des taureaux, ou encore essaient d’étrangler leur mère (comme le petit Hyacinthe Gomez). De suite, on croit moins aux coïncidences. Il se passe un truc. La moitié du village perd complètement la tête, alors les malades sont transférés dans les hôpitaux de Montpellier, Nîmes et Avignon, les plus cinglés vont à l’hôpital psychiatrique de Font-d’Aurelle. En deux jours 200 Spiripontains sont hospitalisés pour convulsions et hallucinations.
René Arguillers, et sa mère qui surveille
Le 20 août, le premier malade meurt, le 26 c’est un couple qui décède à l’hôpital psychiatrique de Montpellier. D’autres tentent de se suicider. Les crises se multiplient, lorsqu’un mec hurle qu’il a des serpents dans le ventre, un autre pense que sa tête est en cuivre, et un dernier est certain que son cœur est en train de descendre dans ses pieds. C’est un peu le bordel comme on dit. Les animaux qui ont mangé du pain sont aussi touchés par le mal, les maîtres sont obligés d’abattre chiens et chats qui deviennent complètement fous.
Pendant une quinzaine de jours, toute la région est dans le délire le plus complet, et il y a déjà cinq morts (un vieillard et un jeune garçon sont décédés peu après les trois premiers).
La route nationale 94 est fermée, le village est considéré comme pestiféré.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien
Tous les malades ont un point commun. Ils achètent le pain au même endroit. Il semblerait que le mal provienne d’une boulangerie située dans la grand’rue du village. La population a été empoisonnée, enfin c’est ce que disent les analyses de leurs viscères. Il s’agit de l’ergotisme. La même maladie qui a fait tant de morts entre le XIIème et le XVème siècle. Mais, le mal n’avait pas été vu depuis 1607 !
Hyacinthe Gomez
Finalement, on commence à s’en prendre aux autorités et à la législation sur le commerce des céréales. Bin, oui, faut bien qu’il y ait un coupable. Depuis 1949 un décret précise que le ravitaillement de la farine doit être assuré par l’Office National Interprofessionnel des Céréales. Dans le Gard, il n’y a pas de farine, alors on la fait venir de la vienne par l’ONIC sans pouvoir la choisir. Et les boulangers, ils sont pas contents de ça, car il reçoivent souvent de la farine de merde. Pas au sens propre hein.
Après des analyses, la farine est bien une farine de mauvaise qualité, coupée au seigle. Le meunier et le mec chargé du transport sont placés sous mandat de dépôt, puis sont libérés (définitivement relaxé en 1954). Les Spiripontains sont pas vraiment vraiment contents.
Il n’y a finalement aucun responsable, mais il y a un paquet de victimes ! Aussi, après un long cheminement juridique, la veuve de la première victime parvient à obtenir une indemnisation, ce sera la seule. Normalement, les vendeurs ont une obligation de réparation en cas de préjudice subi par l’acheteur, mais là, pas de suite…
Finalement, l’affaire du pain maudit reste inexpliquée. Est-ce criminel ? De la négligence ? Accidentel ? Aucune réponse ne sera donnée. Mais bon, ils ont fait un bon dans le passé, et ça, c’est plutôt cool. Non ? Moi, je rêve de choper la petite vérole par exemple*.
*ça va, c’est une blague.
___________________________________________________
- Gravure du XVIème siècle de Pont-Saint-Esprit (gallica)
- Les deux photographies : Les mystères de France, J-M Cosson, De Borée, 2009.