Doit-on s'inquiéter des performances de Rafal Majka sur le TDF 2014 ?
Appelé sur le Tour de France 2014 à la dernière minute, il a épaté la galerie. A 24 ans, pour sa première Grande Boucle, Rafal Majka a remporté le classement de la montagne en affichant une facilité déconcertante dans les ascensions. Ces étonnantes performances soulèvent des questions légitimes à l’heure où son équipe, la Saxo-Tinkoff, traîne une réputation peu glorieuse au sein du peloton.
La route est encore longue pour le cyclisme. Car si la discipline tend, on veut bien le croire, vers plus de transparence, un renforcement de la lutte contre le dopage et une réelle volonté d’ouvrir une page nouvelle, les vieilles habitudes ne s’étiolent pas si facilement. Et la suspicion demeure. Logique, si l’on prend pour point de départ l’affaire Festina qui, en 1998, aurait dû servir à déclencher l’alerte et qui a, au final, été suivie d’une course à l’armement. Une escalade trouvant son point culminant dans l’action menée par Lance Armstrong, dont les contours se dessinent aujourd’hui plus nettement depuis les aveux de l’ex caïd texan.
Les discours de façade prônent une tolérance zéro et, il faut le reconnaître, les performances d’ensemble du peloton actuel invitent à envisager un certain assainissement. Il serait toutefois naïf de prononcer la fin du culte de l’amélioration de la performance. Les recherches en dopage next gen suivent assurément leur cours et, dans cette guerre du bien contre le mal, les alchimistes auront toujours un coup d’avance sur les instances dirigeantes. Des coureurs continuent de recourir à ces méthodes. Certains tombent de leur piédestal mais d’autres poursuivent avec conviction cette quête malsaine. Et si la présomption d’innocence demeure essentielle, cela ne doit être prétexte au déni.
Trop beau pour être vrai ?
Sur ce Tour de France, tous les observateurs s’impatientaient en attendant le show annoncé de Christopher Froome, le mutant estampillé Sky. L’abandon du « Kenyan blanc » lors de la 5e étape a mis fin aux spéculations mais le cyclisme reste un sport plein de surprises. Outre les démonstrations à répétition de Vincenzo Nibali, qui roule désormais sous l’égide de l’ancien paria, Alexandre Vinokourov, chez Astana, un autre garçon a médusé l’assistance en enchaînant les numéros de soliste : Rafal Majka.
Le Polonais ne sort pas de nulle part, lui qui affichait des références intéressantes avant le départ (7e et 6e des derniers Giro notamment). Grimpeur prometteur, on se doutait qu’il avait le potentiel pour briller, un jour ou l’autre, sur les pentes de la plus prestigieuse des épreuves. Le timing de son éclosion sur le TDF laisse néanmoins songeur. Appelé en dernier recours pour suppléer Roman Kreuziger – l’ancien d’Astana ayant à répondre d’anomalies apparues en 2011 et 2012 au niveau de son passeport biologique -, Majka devait apporter son aide à Alberto Contador.
Après le retrait de son leader (abandon sur chute), il a eu la possibilité de jouer sa carte personnelle et en a profité pour enflammer les étapes de montagne. Deuxième à Chamrousse, vainqueur à Risoul et à Saint-Lary Pla d’Adet, troisième à Hautacam, Majka a fait mieux que suivre les meilleurs, plaçant des banderilles salvatrices en atteignant des seuils de performance suspects. Lui qui avait interrompu ses vacances et sortait d’un éprouvant Tour d’Italie n’était forcément pas attendu à pareille fête. D’ailleurs, parmi les 20 premiers du dernier Giro, seuls le Polonais et son coéquipier, Michael Rogers, sont parvenus à briller sur ce Tour de France. Trop beau pour être vrai ? Désarmant, en tout état de cause…
Bjarne Riis toujours à la manœuvre…
L’aisance et l’insolence déployées par Rafal Majka – lui qui s’est permis de faire des clins d’oeil à la caméra après avoir lâché Giovanni Visconti dans l’ascension vers Saint-Lary – n’ont pas été sans rappeler un certain Michael Rasmussen, le Danois qui s’était révélé en remportant deux classements de la montagne en 2005 et 2006. Jusqu’à présent, le Polonais présente un casier vierge de toute incartade. Soit. Il reste, que, ses performances mises à part, le fait de rouler pour la Saxo-Tinkoff suscite d’autres interrogations.
Ses coéquipiers Alberto Contador (suspendu rétroactivement deux ans en 2012), Daniele Bennati (contrôlé positif en 2005) ou Michael Rogers (suspecté dans l’affaire de la clinique de Fribourg en 2006 notamment), pour ne citer qu’eux, ont déjà été confrontés à des problèmes relatifs au dopage. Quant à son manager, Bjarne Riis, il n’est plus besoin de présenter le personnage. Menteur effronté pendant ses années de coureur, « Monsieur 60% » a également embrassé l’art de la tartuferie au moment où il a basculé dans sa nouvelle carrière de directeur sportif et de manager. Le Danois, qui a toujours nié être au courant des pratiques de ses coureurs, a pourtant été sévèrement accablé par Jörg Jacksche, Michael Rasmussen ou Tyler Hamilton, ceux-ci l’accusant d’avoir mis en œuvre un système organisé de dopage du temps où ils étaient sous contrat avec l’équipe CSC.
Bjarne Riis n’est pas un repenti et il est difficile de croire qu’il s’est soudainement mué en apôtre d’un cyclisme propre. Ainsi que le signalait à juste titre Christophe Bassons, dans une interview accordée à The Telegraph avant le début du Tour, « il n’est pas acceptable que des gens comme Bjarne Riis soient encore dans le sport au moment où nous essayons de restaurer la crédibilité du cyclisme ». Il est pourtant toujours bien dans la partie et ses protégés continuent d’enchaîner les exploits. Le prolixe Oleg Tinkov, qui s’est fendu d’un tweet très distingué après la dernière victoire de Rafal Majka, a dans la foulée indiqué vouloir poursuivre son chemin avec Riis, dans le but de « moderniser la discipline » et d’avoir « la meilleure équipe de la nouvelle génération ». Que le patron de la Saxo se méfie. En cyclisme plus qu’ailleurs, la roue peut rapidement tourner.
3 win Fuck them !!!!
— Oleg Tinkov (@olegtinkov) 23 Juillet 2014