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[notes sur la création] Antonin Artaud

Par Florence Trocmé

Que le poème naisse de la décomposition du verbe, Artaud ne cessera de le redire, pour en jouer. La poésie ? Un tétanos de l’âme. Il prend ainsi les mots au pied de la lettre : les vers sortent de la terre des mots, du cadavre d’un Verbe en décomposition. Je suis, dit-il ailleurs, « le déterreur de mots », celui qui creuse la terre des mots, qui les déterre dans la terreur et fait entrer le corps de la langue en décomposition. « Ce qui veut dire que les choses ne se font pas sans descendre dans les bas-fonds et sans s’y frotter avec la perte [...] (car pourquoi arrêtons-nous les mots à leurs petits odeurs de truffes sans descendre dans leurs charniers)’. Ce qu’il faut affronter ? La pourriture, la « peste langagière ». Pas la beauté donc, le style, l’euphonie, mais la dissonance, la disharmonie du Verbe, le discorps. Pas Ronsard, mais Villon :  
 
« Je me méfie avant tout des poèmes beaux et réussis, qui de par le bonheur des mots ou les artifices de l’idée sont parvenus à enclore quelque chose de définitif, dans le cadre de leur euphonie… [...] 
Que vif et mort ton corps ne soit que rose, 
moi j’aime mieux voir un corps arraché par Villon au cimetière des innocents… » 
[...] 
La poésie est donc un acte, la mise en jeu de forces, l’inverse d’une consommation à distance, l’inverse de ce qu’il dénoncera inlassablement chez l’homme occidental, réduit à regarder ses actes au lieu « d’être poussé par eux », condamné au spectacle de lui-même. Lui que l’on qualifiera de schizophrène, il n’aura de cesse de lutter contre cette rupture qu’il voit entre les choses et les signes, le réel et sa représentation, entre l’art et la vie : « Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen raffiné et comprendre et d’exercer la vie. » 
 
Extrait d’un article d’Evelyne Grossman, « Antonin Artaud, la poésie-théâtre » in le Cahier du refuge, n° 232, cipM 2014, pp. 12 et 13.

  


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