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Critique de l’album World Peace is None of your Business de Morrissey

Publié le 25 juillet 2014 par Feuavolonte @Feuavolonte

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Teinté d’ironie et d’un détachement par rapport à la race humaine, l’icône de la musique indie, Morrissey livre un 10e album solo fidèle à ses vieilles habitudes tout en étant délicieusement moderne.

Morrissey fait ce que bon lui semble depuis un bon moment. Il ne fait pratiquement pas d’entrevues, ne gère pas ses réseaux sociaux, se donne en spectacle quand il en a envie, etc. Il s’est d’ailleurs fait très discret ces dernières années. Sa dernière apparition sur disque remonte à 2009. Il n’a fait que quelques spectacles aux États-Unis et dans quelques autres pays en Amérique du Sud. Un certain nombre d’entre eux ont notamment été annulés car l’état de santé du chanteur s’est fragilisée ces dernières années. Il a fait quelques concerts bénéfices pour la cause vegan, à laquelle il s’associe fièrement depuis une trentaine d’année. En 2013, il a lancé son autobiographie sans aucune promotion. Vous voyez le portrait?

Dans sa discrétion habituelle, il a finalement décidé qu’il s’isolait au studio La Fabrique, situé à St-Remy-de-Provence, en France, en février 2014 pour enregistrer ce qui allait devenir son 10e album solo. L’ex-leader des Smiths était accompagné de son fidèle groupe qui le suit depuis des années. Ils enregistraient environ une chanson par jour et Morrissey supervisait et s’impliquait jusqu’au processus de post-production. C’est à Joe Chiccarelli que le rôle de producteur a été confié. Ce dernier avait fait un très bon travail sur des projets de Frank Zappa, Jack Black, The Strokes et de nombreux autres.

L’annonce de la sortie de son 10e album solo a été faite un mois plus tard sur la toile, à la surprise de tous. L’oeuvre porte le titre World Peace is None of Your Business. Elle parait sous l’étiquette Harvest Records et contient 12 titres prévus pour juillet. La seule promotion qu’il a faite est la mise en ligne de quelques vidéos où il récite les paroles de nouvelles chansons a cappella.

Morrissey a une longue et glorieuse carrière derrière lui. Qu’est-ce qu’il a à offrir en 2014 dans un monde où les genres se mélangent, la musique est facilement accessible sur toutes les plateformes et que des tonnes d’artistes sortent des tonnes de produits indépendamment sur la toile? Ce tout nouvel album de Moz s’avère être un bon coup sur sa liste discographique par son originalité, son actualité et ses mélodies. On y retrouve la nouveauté rafraichissante et le bon vieux Morrissey qui, d’une manière contradictoire, réconforte.

Dès les premières notes de la pièce-titre, World Peace Is None of Your Business, l’album fait sourire. Moz n’a jamais eu la langue dans sa poche, et d’emblée, il attaque l’humain moyen qui soutient sans s’informer les causes qui mènent aux guerres et il critique bien sûr ceux qui les font. Il fait mention des cas de l’Égypte, de l’Ukraine et du Brésil. Son ton ironique nous rappelle qu’on s’était ennuyé de ses perspectives intéressantes et de son audace. Dans cette optique, Morrissey attaque et remet en question beaucoup de choses. Peu sont épargnés. Il relate les conditions de vie outremer sur Istanbul. Il dénonce aussi les pressions que certains Occidentaux exercent sur leurs enfants sur Staircase at the University.

Morrissey prend beaucoup de détachement par rapport aux humains avec qui il partage la planète. Il illustre et critique ce que bon nombre d’entre eux sont devenus et ce qu’ils exigent des autres. Sur I’m Not A Man, il remet poétiquement en question les stéréotypes actuels qui définissent la masculinité moderne et desquels il se dissocie. Les femmes aussi sont critiquées. Moz dénonce ironiquement et humoristiquement (un peu comme il l’avait fait sur Girlfriend In A Coma) ces femmes qui se marient dans le but d’avoir un esclave duquel elles pourront collecter une pension. Il exprime également son dégout de l’être humain sur des pièces comme Earth Is The Loneliest Planet et Mountjoy. Sur la première, il s’attriste de voir que, malgré l’arrivée de nouvelles générations, rien ne change et les humains n’aident pas vraiment leur cause. Sur la seconde, il partage son manque d’empathie pour la race à laquelle il appartient. Comme s’il avait jeté la serviette sur cette cause. Heureusement il y a la pièce Kiss Me A Lot qui vient mettre un peu de légèreté dans ce cocktail d’amertume et de désespoir.

Dans toute cette dose de modernité et d’actualité, on retrouve tout de même le bon vieux Morrissey qu’on aime depuis le début. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il manie très bien les mots. Il est très cultivé, mais pas pédant. C’est un romantique qui se passionne pour la littérature. Il fait référence à des auteurs de la Beat Generation sur Neal Cassady Drops Dead et mentionne le poète irlandais Brendan Behan sur Mountjoy.

On retrouve aussi la teinte d’ironie et la plume unique qui fait parfois sourire malgré la lourdeur du propos. C’est le cas sur la pièce-titre ainsi que sur Kick the Bride Down the Aisle. Il est fascinant de voir comment Morrissey peut manier les mots de manière à faire paraitre sympathiques et entraînants des propos qui pourraient autrement sembler offensants.

Le militant de la cause vegan aborde encore le sujet de la cause animale sur The Bullfighter Dies où il raconte préférer voir le toréador mourir plutôt que de s’attaquer à un animal innocent qui n’a pas demandé à être là.

D’ailleurs, sans se lancer dans les analyses profondes, la pochette de l’album semble représenter l’état actuel de Moz à la perfection. On le voit seul, avec un animal, crayon à la main. Derrière lui, on peut apercevoir une bicyclette d’une autre époque représentant probablement son goût pour les poèmes et œuvres littéraires anciennes.

Musicalement, le tout est très bien orchestré. La voix de Morrissey est intacte et livre avec autant d’émotions qu’avant les paroles qui coulent de son stylo. Le band qui le supporte sait ce qu’il a à faire: créer une trame de fond inspirante qui élève les chansons de Morrissey sans prendre toute la place. Parmi ceux-ci, le guitariste Jesse Tobias, le bassiste Solomon Walker et le batteur Matt Walker démontrent l’étendue de leur talent. C’est principalement le cas de Boz Boorer, qui compose pour Moz depuis 1991 et agit à titre de directeur musical sur cet album.

La production de Joe Chiccarelli est à mentionner. Celui-ci met des sons, bruits et trames un peu partout sur cet opus et il ajuste les instruments et la voix de manière ingénieuse. Il amène à cet album la modernité pour le rendre rafraichissant.

Quelque chose manque cependant à World Peace Is None of Your Business. On n’y retrouve pas de gros single entrainant qui marquait généralement les meilleurs albums de Moz. Sur ce disque, il n’y a pas de pièce super catchy qui donne le goût de chanter comme Everyday Is Like Sunday ou When Hate It When Our Friends Become Succesful. Il faut dire également que ceux qui apprécient les grands arrangements et des propos plus joyeux risquent de rester sur leur faim.

Somme toute, ce 10e album de Morrissey fait du bien malgré la lourdeur de son contenu. C’est comme renouer avec un vieil ami et le retrouver intact, comme dans nos bons souvenirs. Sa poésie et sa plume unique font du bien dans un paysage où les paroles sont souvent délaissées au profit de la musique. Pas que ce soit une mauvaise chose en soi, mais l’approche différente de cette icône indie offre une perspective différente dans la musique populaire et elle fait du bien. Malgré ses ennuis de santé récents, on retrouve ici un Moz en pleine possession de ses moyens et toujours aussi percutant. L’étoile continue de briller.


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