Boyhood, de Richard Linklater

Richard Linklater est un cinéaste assez atypique dans le paysage cinématographique américain.
C’est un auteur qui aime à changer régulièrement de registre, passant allègrement de la comédie grand public au drame, de la science-fiction au western, du documentaire au cinéma d’animation. Et, dans le même temps, il est extrêmement fidèle à la même famille d’acteur, incluant Ethan Hawke, Matthew McConaughey, Julie Delpy ou Patricia Arquette.
Mais ce qui, depuis ses débuts, caractérise essentiellement Richard Linklater, c’est son goût de l’expérimentation cinématographique : Expériences narratives (Slacker, la trilogie Before Sunrise / Before Sunset / Before Midnight étalée sur près de vingt ans), dispositifs originaux (Tape, tourné intégralement avec un caméscope dans une chambre d’hôtel), ou techniques novatrices (Waking life et A scanner darkly, films d’animation usant de la technique du rotoscope)…

Il le prouve une nouvelle fois avec Boyhood, une expérience cinématographique originale étalée sur plus de douze ans.
De 2002 à 2013, le cinéaste a filmé l’évolution d’un jeune garçon, Mason, incarné par Ellar Coltrane, de l’âge de six ans jusqu’à sa majorité. Il n’y a pas vraiment d’histoire à proprement parler. Juste des tranches de vie plus ou moins improvisées au fil du temps. D’ellipse en ellipse, il nous raconte la vie d’une famille recomposée, confrontée au temps qui passe et aux aléas de l’existence.
La mère, Olivia (Patricia Arquette), accumule les relations compliquées, les fuites précipitées et les déménagements forcés, depuis qu’elle s’est séparée de son conjoint Mason Sr (Ethan Hawke), ce qui ne l’empêche pas de poursuivre ses études pour obtenir un meilleur job et s’occuper dignement de ses enfants, Mason Jr et sa grande soeur Samantha (Lorelei Linklater, la fille du cinéaste).
Les deux enfants évoluent normalement, passent de l’enfance à l’adolescence, avec des hauts et des bas, des phases plus ou moins compliquées, et finalement, finissent par prendre leur indépendance. Dans le même temps, leur père, Mason Sr (Ethan Hawke), apprend à devenir un adulte plus responsable et redécouvre le bonheur de s’occuper d’eux, même si ses visites sont limitées aux weekends ou aux vacances scolaires…

Ce qui aurait pu n’être qu’un exercice de style assez vain et ennuyeux s’avère au contraire assez fascinant, car c’est l’essence même de la vie qu’a capté le cinéaste, année après année. Le petit Ellar Coltrane se transforme sous nos yeux en adolescent écorché vif, puis en jeune adulte, tandis que les traits de Patricia Arquette et Ethan Hawke, qui incarnent les parents du jeune héros, se creusent peu à peu. Impossible de tricher avec la caméra sur une aussi longue période. Le processus de vieillissement est fluide, naturel. Il ne faut pas longtemps pour accepter le dispositif mis en place par Richard Linklater et sa progression par à-coups. En fait, c’est un peu comme quand on retrouve des proches qu’on ne voit qu’une fois l’an. On constate l’évolution des différents membres de la famille en essayant de deviner ce qui a pu se passer au cours de l’année. On s’attache à eux, évidemment. C’est émouvant de voir grandir les enfants. C’est émouvant de voir les parents se déchirer et se rabibocher, et essayer de faire face aux problèmes quotidiens…

Ce qui est formidable, c’est que l’on ne voit absolument pas le temps passer. Ni les douze années de vie, ni les 2h45 de film. On ne s’ennuie pas une seconde, fasciné par le spectacle de la vie qui s’écoule, inexorablement. Ce sentiment est renforcé par l’habileté du cinéaste à capter l’air du temps, année après année, à travers les looks d’époque, les tubes du moment (qu’écoutait vraiment Ellar Coltrane au moment des sessions de tournage), les évolutions technologiques, les phénomènes de mode (“Harry Potter”, la Wii…).
La grande force du film, c’est de retranscrire à merveille le paradoxe du temps qui passe. Douze ans, c’est à la fois très long et très court. Pendant ce laps de temps, on vit énormément de choses, on mûrit, on vieillit, on connaît des joies et des peines, et pourtant, on a l’impression que tout est passé très vite…

L’autre atout de Boyhood, c’est de réussir à faire de cette histoire familiale particulière quelque chose de profondément universel, permettant aux spectateurs d’être en empathie avec les personnages. Ceux qui, enfants, ont vécu un déménagement pourront comprendre la détresse de ces deux gamins obligés de quitter leur environnement et leurs copains. Les divorcés ou les enfants de divorcés se reconnaitront sans doute un peu dans ce couple séparé et ces enfants tiraillés entre père et mère. Ceux qui ont pris leur indépendance ou qui ont vu partir leurs enfants quitter le nid comprendront le sentiment d’abandon éprouvé par Olivia, la mère dévouée qui a tant donné à ses petits…
Même quand le scénario se fait un brin caricatural (les compagnons successifs d’Olivia, la visite chez les grands-parents ultra-conservateurs…), le spectateur peut toujours trouver un personnage auquel se raccrocher, une situation ou un sentiment en résonnance avec sa propre histoire, pour se laisser porter par la narration.

Enfin, Boyhood est un film-somme qui résume parfaitement l’univers cinématographique de Richard Linklater. On y retrouve la chronique d’une vie de couple, comme dans la Trilogie Before, des portraits de jeunes gens en train de passer à l’âge adulte, comme dans Dazed and Confused, le portrait de la société américaine – ou du moins texane – à travers celui d’un groupe de personnages, comme dans Slacker….
Il montre autant l’évolution du jeune acteur que celle du cinéaste. En douze ans, Linklater a muri et s’est assagi. Il a perfectionné ses techniques de mise en scène, troqué les mouvements de caméra alambiqués contre des plans plus épurés. Les séquences de Boyhood se nourrissent toutes des expériences passées du réalisateur et gagnent en subtilité à mesure que l’on arrive au terme du dispositif.

Expérience cinématographique et narrative, récit émouvant à la portée universelle, film de la maturité d’un cinéaste indépendant atypique… Quel que soit l’angle selon lequel on l’aborde, Boyhood est une oeuvre passionnante, que l’on vous conseille vivement de découvrir au cinéma. Vous prendrez sans doute un petit coup de vieux avec ce saut temporel de douze ans en arrière, mais le voyage n’a rien de déprimant. A vrai dire, on en sort même curieusement apaisé, conscient du caractère éphémère de l’existence et de la nécessité de profiter pleinement de chaque seconde.

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Boyhood
Boyhood

Réalisateur : Richard Linklater
Avec : Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke, Lorelei Linklater, Marco Perella, Libby Villari, Zoe Graham
Genre : le temps qui passe
Durée : 2h45
Date de sortie France : 23/07/2014
Note : ●●●●●○
Contrepoint critique : Libération

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