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L'âge d'or de l'Islam avec Fernand Braudel

Par Sergeuleski


  

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Extrait de l'ouvrage : "Grammaire des civilisations" rédigé en 1962 - en partie révisé en 1966 et 67.

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   Quatre ou cinq siècles durant, l’Islam fut la civilisation la plus brillante de tout l’Ancien Monde. Cet âge d’or va, en gros, du règne du fils d’Harûn al-Rashid, Ma’mûm (813-833), créateur de la Maison de la Science de Bagdad, à la fois bibliothèque, centre de traductions et observatoire astronomique, à la mort d’Averroès en 1198.

Vers 750, l’Islam a atteint ses frontières extérieures essentielles ; son expansion se trouve alors bloquée par les ripostes étrangères : Constantinople,  Poitiers, révolte du Maghreb. Ainsi une sorte de calme s’établit vers l’extérieur et en contrepartie, à travers tout l’Empire, une vaste économie trouve ses assises, ses rythmes de croissance, sa prospérité. Cet essor entraîne la mise en place d’une économie  de marché, d’une économie monétaire, ce qui implique d’innombrables conséquences. L’économie monétaire bouscule les assises d’une société féodale : les riche deviennent plus riches, insolents ; les pauvres... misérables. Si cette prospérité n’a pas tout commandé, elle explique le climat révolutionnaire ininterrompu, les troubles agraires et urbains liés souvent à des mouvements nationalistes, à travers l’Iran en particulier, mais pas seulement.

   Ecoutez ce pamphlet d’Al-Ifriki, écrit vers l’an mille : « Non, assurément, je ne prierai pas Dieu, aussi longtemps que je resterai pauvre. Laissons les prières au Cheik, au commandant d’armées dont les caves sont pleines à craquer. Pourquoi devrais-je prier ? Suis-je puissant ? Ai-je un palais, des chevaux, de riches habits, une ceinture d’or ? Prier quand je ne possède pas le moindre lopin de terre, serait une pure hypocrisie !»

   Comme tout se tient, les hérésies islamiques qui pullulent en ces siècles ont toutes comme les « hérésies » de l’Europe médiévale, leurs racines sociales et politiques. L’histoire de la pensée musulmane est liée sans fin à ces tensions explosives.

   On peut comparer cet âge d’or de l’Islam à celui de la merveilleuse Renaissance, ce mélange de richesse matérielle et de richesse intellectuelle qui a été pour les deux Renaissance des heures de gloire exceptionnelle.

Universelle et en même temps régionale, soit une et diverse, la civilisation islamique  construira des mosquées, des médersas, écrira une poésie qui célèbre Dieu, la nature, l’amour, la bravoure, le sang noble, la terre, la science, le vin défendu et les fleurs ; sans oublier les contes de l’Inde que nous pouvons lire dans le recueil des Mille et une Nuits rédigé tardivement au XIVe siècle au terme d’une longue gestation.

La philosophie est partout la reprise de la pensée grecque et situe Dieu dans un cosmos. Fleurissent technique et industrie, de la Perse jusqu’en Andalousie, cette Espagne, pays terminus de l’Islam ; on y rencontrera des joueurs d’échecs et de kurâg ; des missions sans nombre seront organisées dans des pays éloignées, la Chine, demandant des copies des usages de toutes les Cours et tous les ministères…

Plus tard, l’Espagne musulmane affichera sa singularité, l’Iran ses particularités vives et fortes ; le Persan devient une grande langue littéraire, écrit en caractères arabes, et Bagdad est alors une ville iranienne à l’intérieur de la vaste civilisation islamique.

Cette opposition – universalité et régionalisme -, se retrouvera à travers tout l’Islam. L’Iran donc mais aussi l’Inde, l’Afrique noire, l’Indonésie… en  Inde on parlera d’art indo-islamique.

   En ces siècles d’or, la civilisation musulmane est à la fois une immense réussite scientifique  et une relance exceptionnelle de la philosophie antique. C’est dans la science que cette civilisation a le plus apporté de nouveautés : la trigonométrie et l’algèbre. On pourra sans hésiter faire l’éloge des géographes mathématiciens, des observatoires astronomiques et de leurs instruments, des mesures excellentes que cette civilisation obtint pour des latitudes et longitudes corrigeant ainsi les erreurs d’un Ptolémée ; maître de la chimie, de l’optique, de la pharmacopée – la moitié des remèdes qu’utilisera l’Occident viennent de l’Islam -, la médecine islamique mettra en  lumière la circulation sanguine et pulmonaire, trois siècles avant Michel Servet…

   Sur le terrain de la philosophie… c’est la reconquête, la  reprise des thèmes de la philosophie grecque : reprise accompagnée de prolongations, d’élucidations et de créations. La philosophie d’Aristote, explication dangereuse de l’homme et du monde face à une religion révélée qui est une explication générale du monde, obsède, subjugue ;  un humanisme musulman naîtra de cette confrontation à la fois philosophique et spirituelle.


Cinq noms essentiels émergeront : Al-Kindi, Al-Farabi, Avicenne, Al-Gazali et Averroès, la flamme philosophique d’Espagne qui fera connaître à l’Occident les philosophies arabes et Aristote lui-même.

Une philosophie sous l'influence donc de la pensée grecque d’un côté et la révélation coranique de l’autre qui se heurte à ses murs et reflue sans cesse vers son point de départ. L’Islam doit à la Grèce son goût pour les sciences et tous les philosophes de la civilisation islamique seront des savants : mathématique, astronomie, chimie, médecine…

Dialecticiens habiles, d’aucuns ne croiront pas à l’immortalité de l’âme ; d’autres douteront de la résurrection des corps…  d’autres encore défendront la foi, d’autres seront idéalistes avant que l’Occident ne reprenne la flamme au XIIe siècle.

Cet arrêt brusque de la philosophie et de la science musulmanes pose alors un problème d’ensemble.

-   Est-ce les attaques d’Al-Gazali contre la philosophie et la libre pensée ?

-   Est-ce à cause de ceux qui ont sauvé militairement un Islam partout menacé par l’Occident, et  qui l’auraient ainsi tué de l’intérieur : ils étaient Berbères, d’autres Soudanais, Turcs…

-   Est-ce plutôt une question économique : la perte de la méditerranée, mer nourricière d'un Islam obligé de se replier sur lui-même pour survivre ?

   Dans l’état actuel de nos connaissances (1962 ndlr), la question économique et politique semble la meilleure explication d’ensemble du brusque recul de la civilisation islamique.

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