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Manque

Publié le 08 août 2014 par Picotcamille @PicotCamille

Il y a un livre que j'affectionne particulièrement. Quand il fait gris dehors. Quand la pluie mouille le bitume. Quand vous vous sentez neutre. Ni vraiment triste, ni vraiment gai. Quand un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Et surtout quand votre vie amoureuse à l'expension d'un Bryophyllum daigremontianum en plein désert.

C'est Manque de Sarah Kane.

C'est du théâtre. Un livre avec quatre personnages qui ont comme seul dénomination et identification, une lettre. C, M, B et A. Il n'y a pas de situation, les personnages échangent mots et paroles dans un cafouillis apparent. Parfois une scène se dessine, les personnages endossent des rôles. A chaque fois que je lis cette pièce, j'imagine comment je pourrai la rendre accessible. transporter le spectateur malgré la violence des mots, la crudité des faits.

Parce que Sarah Kane n'est pas une âme apaisée. Loin de là. En 1995, elle fait scandale avec sa première production, sa première pièce Anéantis, au Royal Court Theatre de Londres. Elle se suicide en 1999, laissant 5 pièces qui représentent chacune le cri d'une souffrance que personne ne pouvait calmer.

J'ai découvert Sarah Kane avec so dernier ouvrage posthume 4.48 Psychose. J'avais 21 ans et je vivais une mauvaise passe. Mon mec me larguait, je ne savais pas ce que je voulais faire plus tard. Bref en un mot, la dépression. Sarah Kane s'adresse à l'adolescente mal dans sa peau, romantique, rebelle et déprimée qu'il y a au fond de moi.Et quelques part, j'ose croire, en chacun de nous. Surtout dans Manque.

"C'est beau d'apprendre à te connaïtre et ça mérite bien un effort et m'adresser à toi dans un mauvais allemand et en hébreu c'est encore pire et faire l'amour avec toi à trois heures du matin et peu importe peu importe peu importe comment mais communiquer un peu / de l'irrésistible immortel invincible multispirituel tout-fidèle éternel amour que j'ai pour toi."

J'offre ce livre aux amis qui viennent de ce prendre un râteau, se faire larguer, qui l'ont mauvaise, qui sont perdus entre haine et amour, qui pleurent un mec qui s'est conduit en connard, qui chialent pour une meuf qui n'a pas été honnête. Je pourrais au final l'offrir à tout le monde. Parce qu'il y a de la rancœur dans Manque et qu'elle est assumé, avec une sorte de détachement. Une froideur qui permet l'analyse, sans que pour autant la profondeur des sentiments n'en soit altérée.

Un vrai flash love qui se renouvelle à chaque fois que je le relis. Et à chaque fois de nouvelles choses m'apparaissent.

"Si tu ne veux pas que je vienne je ne viendrais pas. Tu peux le dire, c'est sans importance. Enfin si, ça en a, mais c'est mieux de le dire. Comme ça je saurai. Alors."

J'aime aussi cette ponctuation, ce rythme irrévérencieux. Dont j'avoue avoir gardé beaucoup de marques. Car Sarah Kane apporte vraiment une touche personelle dans le théâtre des 90's. Par ses sujets, sa ponctuation, l'absence de situation ou la présence de situations violentes difficile à retranscrire au théâtre (les yeux dans Anéantis). J'ai une prof qui racontait que souvent en France on montait Sarah Kane de façon très lourde et triste, alors que les anglais en faisait quelque chose de très drôle. A méditer.

A lire si vous voulez cultiver votre côté "adolescent qui souffre mais putain c'est tellement cool de ressentir ça".

"J'ai essayé de lui expliquer que je ne veux pas dormir avec quelqu'un qui ne saura pas mesurer à quel point la matiné du lendemain m'est pénible, mais il est sorti avant que j'aie fini de parler."

Note: Aujourd'hui cela fait pile quatre ans que je vis et revis sur Paris. Et que l'adolescente en moi s'est calmée.


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