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"Cet envers du temps" de Raphaël Aubert

Publié le 15 août 2014 par Francisrichard @francisrichard

Le journaliste et écrivain Raphaël Aubert s'est soumis à cette discipline quasi quotidienne de tenir un journal en 2013.

2013 n'est pas pour lui une année comme les autres. Elle est sa dernière année de journaliste à la RTS (il est parti en préretraite le 1er janvier 2014) et celle de ses soixante ans...

Cinq ans auparavant, en 2008, il s'était livré à un tel exercice et l'avait publié sous le titre de La chronique des treize lunes (2008 était en effet une année de treize nouvelles lunes...) Cette fois, ce diariste intermittent a choisi pour titre à son journal Cet envers du temps.

Raphaël Aubert a emprunté cette expression à la célèbre phrase sur la poésie (qu'il a mise en exergue de son livre) signée Louis Aragon (qui, avec André Malraux et Jean Cocteau, est "un de [ses] guides, un de [ses] phares dans [son] chemin artistique et littéraire"):

"J'appelle poésie cet envers du temps, ces ténèbres aux yeux grands ouverts, ce domaine passionnel où je me perds, ce soleil nocturne."

Ce serait, selon Aubert, "peut-être bien en fin de compte la définition de toute entreprise littéraire véritable"...

Pourquoi a-t-il entrepris ce journal? Pour, écrit-il, "savoir où passe la suite de mes jours, dans quel interstice du temps ceux-ci s'écoulent comme les grains de sable entre les doigts d'une main".

Comme Raphaël Aubert est lucide et honnête, il confesse:

"Si j'écris ce journal, c'est d'abord à mon propre usage, mais tout au fond de moi je sais bien que c'est pour les autres que je le tiens. Peut-être parce que j'ai tellement besoin d'être reconnu et aimé."

Ce besoin de reconnaissance et d'amour explique qu'à son âge - il est bien jeune encore - il ait organisé, cette année 2013, une exposition, intitulée Une écriture du monde, sur son parcours littéraire, au site de La Riponne de la BCU (Bibliothèque cantonale et universitaire), à Lausanne. Pour lui, écrire, en effet, "c'est donner un sens aux choses, aux mondes, aux événements".

Au cours de ces trente dernières années, Raphaël Aubert a écrit une douzaine de livres (récits, romans, essais, journal...) et participé à quatre ouvrages collectifs, parmi lesquels le Dictionnaire André Malraux, publié par le CNRS en 2011. Comme écrire est dangereux, peut-être a-t-il également voulu conjurer le sort en faisant cette rétrospective de son vivant...

De quoi parle-t-il dans ce journal, écrit à Nîmes, Lausanne, Venise, Oxford et Londres?

Bien sûr - et il a raison -, il parle des lieux où il se trouve ou qu'il visite, du temps qu'il fait ou du temps qui passe, des saisons à la succession desquelles il est sensible et de la nature à travers laquelle il se dit ce quelque chose d'essentiel qu'il recherche dans l'existence.

Contrairement à ce que peuvent penser les esprits superficiels, ces textes de journal ne sont pas inutiles et sont tout autant révélateurs sur lui que ce qu'il peut dire de ses dilections littéraires ou artistiques.

Ses dilections? "Beaucoup de livres qui m'ont marqué, mais aussi des spectacles et des expositions qui ont nourri mon imaginaire et, à bien des égards m'ont construit, toutes ces oeuvres sont liées aux années 1970 [...]. J'avais vingt ans lorsque je les ai découvertes."

A vingt ans, il découvrait Modiano, les nouveaux philosophes, Michel Foucault, le dernier Aragon, Durell...

Au fil de son journal, on apprend qu'il relit très fréquemment L'Anneau du pêcheur, "le merveilleux roman de Jean Raspail", que Liberté d'Eluard est "l'un des plus beaux poèmes du XXe siècle avec La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France de Cendrars", qu'il a un intérêt marqué pour Mishima, qu'il continue d'admirer le théâtre de Montherlant ou qu'il considère Morand comme l'un des plus grands stylistes de la littérature du XXe siècle...

Les descriptions de tableaux de ce fils de Pierre Aubert, qui est un peu "du bâtiment", sont avant tout des notations techniques, comme en faisait un Denis Diderot, par exemple, avec ses Salons, qu'il s'agisse de la Tempesta de Giorgione, du Repas chez Lévy du Véronèse, du portrait de Nusch de Picasso ou de La porte-fenêtre ouverte de Matisse.

La vérité de l'art est sans doute la seule chose à laquelle il croit en définitive (il n'est pas tendre avec les monothéismes): elle "ne s'exprime pas par le biais du sujet, mais relève de sa forme. La vérité de l'art est forme, style":

"Je ne crois pas du tout à subordination de l'image à la parole. Je ne crois pas du tout que telle ou telle toile célèbre exprime un message qu'il faudrait expliciter par une parole, par un discours qui en serait le premier et le dernier mot. La grande peinture, comme la grande musique, parle d'elle-même, par elle-même."

Aussi n'est-il pas surprenant que Raphaël Aubert écrive:

"La beauté s'oppose à tous les dogmatismes, y compris esthétiques. Ce n'est pas pour rien que tous les fanatismes s'en prennent en premier lieu aux livres, aux tableaux, aux statues, à l'art."

Cet été 2013, il a lu Le monastère de l'aube de Corinne Atlan. Il repense souvent à ce magnifique roman "dont on ne ressort pas complètement intact" et "à une réflexion en particulier": "La forme c'est le vide. Le vide est forme." Il remarque que l'on est là au coeur de la pensée bouddhique, pour laquelle il a une certaine dilection, voire une dilection certaine:

"Ce qui est, considéré hors les idées reçues, hors les concepts, est vide. Mais le vide lui-même peut être une idée préconçue. Et donc à son tour être forme. Et alors qu'on se croyait sur le chemin de la pleine conscience, l'on se voit ramené au seuil. à son commencement."

Cette pensée l'habite peut-être particulièrement en ce dernier jour de ses soixante ans...

Francis Richard

Cet envers du temps, Raphaël Aubert, 292 pages, L'Aire

Livre précédent:

Malraux & Picasso - Une relation manquée, 124 pages,  Infolio (2013)


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