Nous, les oiseaux - par Les Fugaces
Elle est là, sur un coin de trottoir, avec son accordéon. Un peu paumée, figée par la peur. D’une fenêtre, la rejoint une autre qui ne tient pas en place, qui l’invite à la suivre, à venir avec elle, ne pas rester immobile. « Qu’est-ce qu’on fait là ? » Alors, s’adressant au public qui est venu au rendez-vous, elles donnent le signal. Et le groupe s’ébranle dans la rue, « la rue, ma vie / je me la reprends » (chante ailleurs Lola Lafon). Et les phrases s’affichent sur les murs, et les « petites filles du bout du chemin » nous entraînent. On sent bien qu’il y en a une qui veut aller très loin, tandis que l’autre est toujours avec sa peur. Mais ne sommes-nous pas toujours avec nos peurs ? Bien sûr l’expérience de la caissière, bien sûr l’intrusion à l’étage, et pour l’instant nous suivons. « Le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé », on continue. Et puis, il y a l’auto-stop et puis il y a Jumièges et le tableau des « Enervés »… Fuir maintenant, ne pas accepter le retour ou alors « il faudra bien faire le feu ».
La dernière image proposée par Les Fugaces me fait soudain penser au film de Godard, « Pierrot le Fou ». Il y a deux personnes en fuite, qui traversent la France « comme des apparences », parce que « la vraie vie est absente » (Arthur Rimbaud). La question posée par l’une d’elles (Marianne / Anna Karina), dans le film de Godard, c’est : « Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire. » Et l’autre (Pierrot-Ferdinand / Jean Paul Belmondo) va exploser. Car on ne peut être rempli sans exploser un jour. Se jeter à l’eau. Ou se jeter dans l’air comme les oiseaux se jettent dans le ciel bleu. On se souvient qu’Yves Klein a réalisé un « Saut dans le vide », rue Campagne Première (au bout de laquelle Poiccard / Belmondo est abattu dans « A bout de souffle ») ; il s’est figé dans ce suspens, comme un oiseau. Ne tombe pas. Jamais ne tombera, dans tout ce bleu.
J'ai déjà évoqué ce spectacle ici, lors de sa première sortie publique après une résidence chez Animakt, à Saulx-les-Chartreux (91).