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Où Babelio rencontre Carine Fontaine, directrice éditoriale de la maison d’édition jeunesse "Langue au Chat"

Par Samy20002000fr

Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des éditeurs, nous avons posé quelques questions à Carine Fontaine, directrice éditoriale de "Langue au Chat", une maison d’édition belge qui regorge de créativité et de bonne humeur. Cet entretien était l’occasion pour nous de découvrir les coulisses d’une maison d’édition entièrement consacrée à la littérature jeunesse.

La maison d’édition Langue au Chat a été créée en 2003. Votre ambition actuelle de lier ludique et éducatif était-elle déjà au cœur des principes de la maison ?

La maison a été créée pour éditer en France les livres « DK », une maison d’édition anglaise qui propose des livres jeunesse essentiellement composés de photographies.
Il y avait déjà cette idée d’ « apprentissage amusant » notamment avec  les « livres à toucher » qui ont grandement participé au succès de « Langue au Chat » mais ce n’était pas encore un principe phare de la maison. C’est quand je suis arrivée dans la maison en 2012 que j’ai véritablement essayé de mettre cet aspect en avant, d’en faire l’identité de « Langue au Chat ».

L’équipe et moi-même pensons que l’humour rapproche les générations et permet à l’enfant d’évoluer, d’appréhender les choses avec plus de recul. Nous souhaitons que nos livres soient des moments de partage entre les parents et les enfants.

C’est actuellement ce qui réunit l’ensemble de vos livres, cette idée de partage ?


Oui, tout à fait. Nos trois grands créneaux sont actuellement l’ « éveil », les albums et les « activités » avec des livres de créations. Nous avons également  une petite section dédiée aux documentaires mais toujours dans cette volonté d’apprentissage et de partage. Par exemple, si nous parlons d’un animal dans un livre, nous le rapprocherons de situations communes vécues par l’animal et  par l’enfant. Nous faisons toujours en sorte que cela soit le point de départ d’une discussion entre l’enfant et les parents. Cela permet de construire une relation autour de la lecture.

Certains artistes nous envoient leurs créations et si c’est amusant, éducatif, poétique, si l’on pense que l’enfant va s’y retrouver,  si cela correspond à notre ligne éditoriale en somme, nous allons travailler avec eux.

Comment naissent les projets que vous développez ?

Parfois on se dit qu’il manque un ouvrage pour que l’enfant apprenne à faire telle ou telle chose comme « partager » par exemple.  Les livres qui existent sont souvent les mêmes : il s’agit d’une histoire où un personnage est félicité par un autre parce qu’il a partagé quelque chose. Nous, on souhaite proposer quelque chose de différent. Nous voulons créer un vrai moment de complicité entre le parent et l’enfant.

Concrètement, nous commençons par des brainstormings durant lesquels nous évoquons toutes les pistes possibles pour exploiter au mieux un thème qui nous tient à cœur.. Suite à ces échanges créatifs, j’évoque nos idées auprès d’instituteurs et de commerciaux pour savoir s’ils ont déjà vu ce type d’ouvrages, si cela existe déjà. Nous comparons ensuite notre idée avec ce qui a déjà été fait pour créer quelque chose qui nous est propre.

Parallèlement, nous fonctionnons beaucoup au coup de cœur. Certains artistes nous envoient leurs créations et si c’est amusant, éducatif, poétique, si l’on pense que l’enfant va s’y retrouver,  si cela correspond à notre ligne éditoriale en somme, nous allons travailler avec eux.

Certains projets naissent par ailleurs du hasard des rencontres avec certains auteurs. Nous sommes en train de développer deux livres avec Barroux, qui est déjà présent dans notre catalogue avec un livre à dessiner abordant les prémices de la graphie des lettres.. C’est un auteur qui propose vraiment quelque chose de nouveau. Ce qu’il présente est tellement beau et agréable que l’on ne se rend pas compte qu’il s’agit d’exercices.

Enfin, nous avons des demandes d’enfants. Parfois, quand je vais en classe, certains me demandent pourquoi je ne fais pas un livre sur tel ou tel thème. Nos propres enfants ont également un regard très critique sur nos livres.  Ce sont nos premiers lecteurs : ils nous donnent des idées et nous permettent d’améliorer  nos livres.

Vous dites aller en classe. Quel est votre travail auprès des enfants ?

Nous allons dans les classes de maternelle et nous observons les cours. Notre livre En forme   par exemple a été développé suite à une visite dans une classe de maternelle. L’institutrice nous précisait qu’à cet âge-là elle leur apprenait les gestes qui les aideront pour la graphie des lettres. Elle nous a montré des jeux avec lesquels elle les faisait jouer dont un jeu de cartes qui permet à l’enfant de suivre un chemin avec ses doigts. J’ai immédiatement pensé à un livre qui leur permettrait d’appréhender, d’expérimenter les formes pour qu’ils apprennent tout doucement à tracer des lettres et des formes de manière plus précise. Ce projet vient ainsi d’une rencontre avec une institutrice.

Une fois que vous avez validé un projet avec un auteur, quel est votre rôle auprès de celui-ci ?


Tout au long du processus de création du livre, de nombreuses discussions ont lieu entre l’auteur et son éditeur, c’est-à-dire nous. Notre rôle sera de collecter un très grand nombre d’images pour constituer ce que nous appelons un « moodboard ». Ces images n’ont pas toujours un lien direct avec le thème mais qui éveillent à d’autres idées. Nous allons montrer  ce « moodboard » à l’auteur qui va proposer d’autres idées à partir de ces images et qui va orienter son travail à partir de celles-ci.  C’est un vrai travail d’équipe, collaboratif.

Nous calculons ensuite un coût de revient. En fonction de cela, nous proposons une maquette aux commerciaux qui nous disent si cela peut être intéressant et à quel prix. Sur la base de ces retours, nous ajustons la fabrication et nous proposons de nouveau aux auteurs de collaborer si le projet évolue de telle ou telle façon.  Il faut parfois que l’auteur accepte de changer l’histoire ou d’utiliser d’autres formats ou matières que ceux prévus au départ.

Vous parlez d’un travail d’équipe. Combien de personnes forment l’équipe éditoriale de « Langue au Chat » ?

A Liège,  au siège de la maison d’édition, nous sommes trois. C’est une toute petite équipe composée de profils très différents mais qui se complètent bien : nous avons une licenciée en langue romane, un graphiste et puis moi qui suis passée dans mon parcours par le graphisme, le marketing et la publicité. Pour la communication, nous pouvons bien sûr compter sur l’appui d’un grand groupe, celui de Place des Editeurs.

Nous sommes basés à Liège. Cela nous donne, je pense, un peu de fraîcheur et nous permet d’être un peu différents des autres éditeurs jeunesse.

Vous venez de lancer deux nouvelles collections, « Chatouille » et « Débrouille ». Que vont-elles apporter à votre catalogue ?


Les livres de notre maison étaient à l’origine composés de photos puis nous avons commencé à introduire de l’illustration. Nous avons ainsi proposé des imagiers en illustration. Mais ce n’était encore qu’une étape. Si nous voulions avoir une visibilité en librairie et faire vraiment ce que nous aimons avec des illustrations et leur donner tout leur sens, alors il fallait proposer des albums. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé deux collections : une en petit format pour les enfants à partir de 3 ans, c’est la collection « Chatouille » et l’autre en plus grand format pour des enfants à partir de 5 ans, c’est « Débrouille ». Là encore, nous avions en tête de permettre aux enfants et à leurs parents de passer un bon moment avant d’aller au lit. C’est 10 minutes de plaisir à partager entre l’enfant et les parents, 10 minutes pour rigoler et apprendre.

Pensez-vous un jour publier des romans jeunesse ?


Nous n’en avons encore jamais publié mais ce n’est pas à exclure. On a quelques idées mais ce n’est pas encore pour tout de suite.

Et qu’en est-il des livres numériques ? Pensez-vous proposer à l’avenir des ouvrages jeunesse au format numérique ?

Il y a un développement qui se concrétise autour du numérique chez Place des Editeurs et notamment autour d’un livre de « Langue au Chat ». C’est l’adaptation d’un livre qui existe déjà sous forme papier mais dont l’approche numérique va véritablement apporter quelque chose de neuf.

Je pense cependant que nous n’abandonnerons jamais le livre papier. Il y a un vrai contact avec ce support qu’on ne retrouve pas sur tablette ou livre numérique. Les livres d’éveil, avec toutes ces matières à toucher par l’enfant, ne vont pas être remplacés par le numérique du jour au lendemain.

Vous êtes une maison d’édition basée en Belgique. Est-ce que cela se ressent d’une manière ou d’une autre dans les ouvrages que vous publiez ? Vos auteurs sont-ils en majorité Belges ?

Nous sommes effectivement basés à Liège. Cela nous donne, je pense, un peu de fraîcheur et nous permet d’être un peu différents des autres éditeurs jeunesse. Nous tenons à garder ce ton belge si particulier. Ce côté amusant, cette approche ludique, cette façon de ne pas se prendre au sérieux : on retrouve tout cela dans nos livres. Nous essayons de garder cet esprit belge également dans les dessins qui sont parfois très décalés.

En ce qui concerne les auteurs, nous publions surtout des auteurs français. Il y a un vrai vivier de talents en France, nous recevons de nombreux manuscrits et de portfolios d’illustrateurs français.

En tant que maison d’édition jeunesse, avez-vous des tabous ? Des sujets que vous vous refusez d’aborder ?

Nous n’avons aucun tabou en particulier. Avec de l’humour et du recul, je pense qu’on peut aborder à peu près tous les thèmes même si nous ne publions pas de livres autour de la mort ou de certaines maladies. Ce sont des thèmes intéressants mais je ne me sens personnellement pas de taille à les analyser et les juger. Notre A.D.N., c’est l’humour et le plaisir. Maintenant, ce n’est pas pour autant que nos livres n’abordent que des sujets légers. Dans notre ouvrage Otto l’accessoiriste, le personnage principal est orphelin, ne parle plus et est à la limite de l’autisme. Des thèmes importants sont ainsi abordés dans nos livres mais n’en sont jamais les sujets principaux.

Les livres jeunesse sont-ils complexes et chers à produire ? Combien de temps peut-il se passer entre l’idée d’un livre et sa publication ?


Le coût d’un livre jeunesse est important. Nous devons prévoir un budget important ne serait-ce que pour réaliser des tests et des maquettes. Fatalement, on ne peut plus se permettre de réaliser certaines choses que nous réalisions auparavant. Nous devons limiter les risques en cas de problème.

C’est de fait un processus assez long. La fabrication du livre est un processus qui peut durer 6 mois mais avant même cette étape, nous devons  fabriquer la maquette en interne, de même que l’argumentaire. Cela prend du temps.

C’est lui qui est le mieux à même de conseiller un livre aux parents en fonction de leurs envies ou de celles de leurs enfants.

Est-ce que vous devez tout de même proposer des titres autour de l’actualité, ou est-ce une donnée qui n’est pas prise en compte pour la fabrication de vos ouvrages ?

L’actualité est forcément à prendre en compte. Si nous apprenons qu’un dessin animé sur les dinosaures va sortir, nous allons réfléchir à ce que nous pourrions proposer autour de ce thème. Même si nous n’avons pas de licence et que nous sommes à cet égard complètement libres, nous devons garder un œil sur l’actualité pour ne pas rater ce qui pourrait être populaire auprès des jeunes.

De manière générale, tout ce qui est dans l’air du temps nous intéresse. Que ce soit dans la mode, au journal télévisé, une expo. Nous nous devons d’être très ouverts.

Sur certains de vos ouvrages, vous indiquez à quelles tranches s’âges ils s’adressent. Notez-vous une évolution de ces tranches d’âge ? Sont-elles toujours pertinentes ?

Il est vrai que les éditeurs ne prennent aujourd’hui plus le risque de mettre des indications d’âge sur les livres. Nous le proposons encore sauf sur les albums car nous savons que c’est un des rôles du libraire. C’est lui qui est le mieux à même de conseiller un livre aux parents en fonction de leurs envies ou de celles de leurs enfants. Nous indiquons simplement quelle est la promesse du livre.

Mais nous avons parfois des surprises ! Mon enfant qui a aujourd’hui 12 ans est un grand fan d’Otto l’accessoiriste. Je ne pensais pas qu’un enfant de 12 ans s’attacherait encore à ce livre mais ce dernier est tellement riche, il contient tellement de détails à regarder et tellement d’humour qu’on peut assez facilement revenir dessus.

Il apparait assez clairement dans notre étude sur la littérature jeunesse que les prix littéraires sont assez peu connus des parents et des lecteurs. Est-ce quelque chose qui vous surprend ?

Les prix ont une importance moindre auprès du public mais pas auprès des libraires qui y accordent une véritable importance et peuvent à leur tour conseiller les ouvrages primés. Ils ne sont donc certainement pas à négliger.

Ce qui est très important pour nous, ce sont les salons. Comme nous proposons de la coédition (il s’agit de 30 % de notre publication), nous sommes obligés d’être présents à de nombreux salons étrangers pour observer les albums que nous pourrions acheter mais aussi pour essayer de vendre nos propres créations.. Un salon comme Montreuil est très important même si nous n’y sommes plus présents depuis quelques éditions. Cela a un vrai coût que nous ne pouvons toujours nous permettre car la rentabilité n’est pas nécessairement au rendez-vous. C’est pourtant également un bel espace de rencontre entre auteurs et lecteurs mais aussi entre auteurs et éditeurs.

Justement, quelle a été votre rencontre la plus marquante en tant qu’éditrice ?
Ma rencontre avec Barroux a été assez marquante. C’est un auteur remarquable. Je l’ai vu dans un spectacle avec un guitariste. Il lisait seul son texte et réalisait en direct des dessins qui étaient projetés sur un écran pendant que le guitariste jouait des morceaux. J’ai frissonné pendant tout le spectacle.

Est-ce qu’il y a un auteur que vous auriez aimé publier ?

Non, nous n’avons pas besoin d’avoir de grands noms. Ceux que je rencontre ont tous quelque chose à proposer de différent. Je ne me suis jamais dit, à propos d’un auteur connu, « Ah, celui-ci il me le faut dans mon catalogue ». Chaque rencontre est exceptionnelle et apporte sa pierre à l’édifice.

Il y a quelqu’un avec qui j’aurais cependant eu envie de travailler, c’est Stéphane Halleux, le créateur de Mr. Hublot. Cela ne s’est pas encore réalisé mais j’espère qu’il y aura d’autres possibilités à l’avenir. Il a un univers génial qui m’intéresse beaucoup.

Pouvez-vous nous présenter vos prochaines sorties  ?

En ce qui concerne les albums, nous allons publier un titre pour la collection « Débrouille » en novembre et  deux titres pour la collection « Chatouille ». Et en avant-première je peux vous dire qu’il y aura une toute nouvelle collection pour les plus jeunes l’an prochain !

En octobre, nous allons également publier de nombreux ouvrages dont deux au format assez interpellant : La moustache d’Eustache et Les sourcils d’Emile de Sandra Solinet. Ces deux livres jouent sur le détournement des objets. Ce n’est pas simplement les moustaches d’Eustache que l’on voit, cela peut aussi être autre chose. C’est assez poétique.

Dans un autre registre, nous aimons beaucoup les « activités ». Ainsi, dans la veine de la collection « J’habille mes amies » des éditions Usborne, nous proposons des albums d’activités comme Je suis styliste à Paris qui s’adressent à des filles un peu plus âgées de 7 à 10 ans environ. On part sur des clichés que les jeunes filles ont l’habitude de voir comme la petite robe noire de Guerlain. Les silhouettes et les visages ne sont pas blancs comme dans les livres concurrents. Nous sommes plus dans le stylisme. Nous proposons de nombreux stickers pour agrémenter les silhouettes, des pochoirs de catalogues ainsi que des matières à découper. Afin de satisfaire les envies créatives des filles quel que soit leur niveau, certaines pages sont prédécorées et d’autres sont totalement libres.. C’est un album très riche. Le premier est sur Paris mais nous allons aborder d’autres villes comme Londres par exemple, qui sera l’objet du deuxième tome.

Toujours dans cette idée de partage, d’interactivité avec l’enfant, nous avons développé une histoire que l’enfant peut raconter avec ses mains. C’est lui qui anime le décor avec ses petits doigts, comme dans une comptine, il mime simplement la scène. Le livre s’intitule Dans la forêt.  C’est la collaboration entre l’enfant et les parents qui est une nouvelle fois au cœur de cet ouvrage.

Enfin, nous allons publier une nouvelle série sur les métiers en octobre. L’idée est de désacraliser un peu les métiers de pompier ou de médecin !

Découvrez toute l’activité des éditions Langue au Chat sur leur site et leur page Facebook.

Merci à Carine Fontaine et Anne Chamaillard.


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