2008, la bagarre. Une vidéo circule sur le net, rythmée par un titre furieusement désabusé, une ritournelle de la violence mettant en scène des affrontements de hooligans qui se mettent joyeusement sur la tronche, témoignage sociologique distancié des incongruités des comportements humains. Le buzz est fait, le talent perce, on connaît désormais les noms de Cyprien Gaillard, réalisateur, et de Koudlam, compositeur. Leur collaboration fait crier plus d’un au génie, l’opéra électronique Desniansky Raion et les 14 titres autoproduits en 2006 de Koudlam (Nowhere) se dispersent sur la toile. On en redemande.
Koudlam, c’est l’approche inclassable d’un esthète polyvalent né en Côte d’Ivoire et partagé entre la France et le Mexique, une espèce d’onde sonore anthropomorphique, un sociologue musical qui remplace le discours, qu’il exploite peu, par le témoignage sonore, sorte de mise in situ cathartique à l’approche blasée. En 2009, la collaboration avec Pan European Recording enfante un album au lyrisme sombre et structuré, Goodbye, à l’ambiance céleste et universelle, au futurisme métissé de sonorités désuètes, ethniques, intemporelles. Une scénographie de l’infini, et des shows fous orchestrés, là encore, par Cyprien Gaillard. Une nouvelle fois, génie. Surgit en 2011 Alcoholic Hymn, un EP à l’émulsion fantastique, brillamment mis en images par le found footage enthousiaste de Jamie Harley, une valse titubante et mélancolique, présage d’un album plus vibrant encore.
The Lansc Apes, EP préparatoire d’un nouvel album prévu pour octobre, a évidemment suscité des attentes, une certaine impatience, mais force est de constater que ce quatre-titres, sorti le 15 juillet, n’a pas le souffle esthétique et primal des précédentes releases. On semble ici spectateur d’une phase mystico-introspective qui empêche l’ensemble de prendre une ampleur cohérente. D’abord enthousiasmé par un Negative Creep redondant, acide, lourd et fou comme une danse de derviche, balançant une aura incantatoire de party gabber sous MD, une fois encore brillamment porté en vidéo par Jamie Harley, il faut pourtant concéder une certaine déception à l’écoute de l’EP.
On commence par un premier titre, The Landsc Apes, qui donne son nom à l’EP, poussif et long en comparaison des autres morceaux, qu’on collerait bien à une scène de teen movie rempli de vampires aux questions existentielles. Les nappes d’intro sont agréablement aguicheuses, mais quelques clappings maladroits plus tard, on se rend compte que la tentative de Koudlam d’insuffler une énergie rythmée fait échec, tant on a le sentiment que Klaus Schultze flirte avec un trap mollasson et déphasé. L’envolée est pourtant là, elle guette, on l’attend, et sans doute que les glatissements de rapace, non sans rappeler Eagles of Africa, auraient pu contribuer à un bel essor d’imagination si l’on n’en sortait avec le sentiment qu’ils sont artificiels. Loin de la métaphore sonore, on est dans le figuré, comme forcés de sentir la puissance de cette montée qui finalement ne vient pas. L’ivresse lente et sombre de Realize ne fait qu’alimenter une langueur légèrement soporifique et pas assez profonde pour en apprécier l’obscurité introspective et douloureuse qui perce pourtant dans le chant et le bégaiement frénétique, incontrôlable qui conclut le morceau. On a envie d’être empathique sans vraiment y parvenir. La suite prend un peu d’ampleur avec All For Nothing, le son le plus pop de l’EP, à la tranquillité suave, mélancolique, légèrement inégale, rythmée par des soubresauts qui nous arrachent temporairement à l’ambiance douce amère du morceau, dont l’onirisme déséquilibré perturbe notre lecture du scénario musical, et c’est bien. On n’est pas dans le meilleur de Koudlam, mais ce titre nous réconcilie avec nos attentes. L’EP conclut sa progression sur Negative Creep, exutoire dansant qui sent la sueur et les moulinets de bras, une intervention musclée, physique et mentale, sur laquelle on sent que l’artiste a voulu s’appuyer pour marquer une transition dans son style pourtant déjà polymorphe et déroutant.
L’album, prévu en octobre, suscite lui aussi d’ores et déjà des attentes, des questionnements, et une nouvelle fois le caractère inclassable des productions de Koudlam provoque les réactions. Pari tenu. En attendant de savoir ce que donnera ce nouvel LP, on peut encore user ses sandales et imbiber ses t-shirts sur Negative Creep, croiser les doigts pour la sortie d’un album moins inégal que l’EP et s’éviter de coller trop rapidement une étiquette sur la progression stylistique d’un artiste qui a toujours joué sur la surprise pour nous séduire. Wait & see.
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