L’origine de l’expression est un peu fumeuse, elle viendrait du propos tenu par un gardien du Jardin des Plantes où arriva la fameuse première girafe en 1827, gardien qui, alors qu’il était accusé d’inactivité chronique, aurait répondu : « Je peignais la girafe », mais elle aurait été inventée a posteriori.(photo DR/ source légende « expressio »)
Là encore je ferai appel à mon dictionnaire préféré « expressio » pour parler d’une expression qui n’a l’air de rien mais en fait –vous allez voir- en dit aussi long que le cou de l’animal.
L’image évoque une activité totalement inutile voire absurde, puisque la girafe porte le poil ras et donc n’a rien à démêler. Si toutefois, obstiné qu’on serait à la rendre bien nette cette girafe, on entreprenait d’y passer un démêloir, ça prendrait des heures et des kilomètres…pour pas grand-chose. Car in fine, qu’une girafe soit bien peignée, on s’en fiche un peu. Pour courir dans la savane, on n’a pas besoin de ressembler à une pub de l’Oréal, même si la girafe, ce magnifique animal, « le vaut bien ».
Donc, de prime abord ça signifie « faire un travail inutile et très long, ne rien faire d’efficace ».
Les anglais, eux, disent « porter du charbon à Newcastle », parce que Newcastle est une ville minière qui n’en n’a pas besoin et qu’en plus elle est tout au nord de l’île. Pour les londoniens, c’est du chemin !
Non, le plus intéressant est à venir. Laissez tomber les peignes, la savane, le charbon et les bus à impériale et allez donc dans la chambre, c’est là que ça se passe.
C’est Boris Vian qui nous met sur la voie, voilà ce qu’il écrit dans Vercoquin et le plancton : « J’ai tellement peigné ma girafe qu’elle en est morte ». Pour expressio, qui nous livre ces lignes savoureuses, l’allusion à la masturbation est on ne peut plus claire. Une fois bien peignée, la girafe gît sans vie.
Le long cou de la girafe ne serait autre qu’une transposition animale de la « colonne », du « jonc », du « pieu », dont on sait que les hommes passent un certain temps à astiquer ou polir, tout comme ils le feraient pour leur voiture ? Mais oui.
La masturbation au pilori de la productivité
De la masturbation à l’inutilité ou à la vacuité d’une vie, il n’y a qu’un court passage de gué que les radeaux de fortune du vocabulaire nous permettent de franchir.
Ainsi donc, le peigneur de Girafe se voit propulsé au grade de « branleur » par décision unilatérale de la société répressive du travail. Le « branleur », dans l’imaginaire collectif, a douze ou quinze ans d’âge mental ou réel ; il est suffisamment mûr pour se masturber (beaucoup) et insuffisamment pourvu en diplômes ou en expérience pour être productif. Alors il passe ses journées à ne rien faire…qu’à s’occuper de sa girafe. Notre « peigne zizi » est alors menacé des pires maux : de la surdité et autres malformations malédictions du XIXème, au pôle emploi suite à ratage de bac des XXème et XXIème siècles. Que peut-on attendre d’un « peigne-cul » ou « peigne-derche » : grossièreté, asociabilité, vie de misère et avarice sont les dérives du caractère sans nul doute provoquées par la pratique honteuse de celui qui tourne le dos au bureau ou à la machine.
Wilhem Reich, penseur des libertaires, avait pourtant – heureusement – défendu cette énergie sexuelle précieuse, notamment dans « La lutte sexuelle des jeunes » ou « La fonction de l’orgasme » : Prendre du plaisir de quelque manière que ce soit devait être utile à la révolution et l’énergie de devait pas en être détournée pour être gaspillée au travail ou victime de la « peste émotionnelle ». Pour Reich, les branleurs étaient des gens charmants qui visaient déjà la croissance zéro en s’entretenant avec leur sexe sur la lutte des classes. Enfin, c’est un raccourci.