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Un conte de noël

Par Rob Gordon
Un conte de noëlRoubaix!, c'est le drôle de sous-titre du dernier Desplechin, et c'est à la fois fort compréhensible (puisque tout le film s'y déroule) et parfaitement dans le ton (un point d'exclamation placé au bout d'une ville grise, ça sent la comédie bergmanienne ou le drame zavattesque). Ce petit signe de ponctuation, c'est la cerise sur une filmographie-gâteau qui n'en finit plus d'étendre son emprise sur le cinéma français. Et plus si affinités ? Pas sûr. Car bien que traitant de sentiments et de situations tout à fait universels, Un conte de Noël s'inscrit dans une culture, un mode de vie, une façon de penser tout à fait frenchie. Oeuvre la plus accessible de Desplechin, elle est pourtant aussi foisonnante, intelligente et profonde que ses précédents films. C'est fou comme les grands cinéastes parviennent à refaire encore et encore le même film et à construire des films à partir des précédents, comme un gros tas de briques - mais en plus intéressant. Un conte de Noël signe à la fois la synthèse de la filmo de Desplechin et une nouvelles voie explorable pour les années à venir. Accessoirement, c'est un film magnifique.
Comme souvent chez l'auteur, il faut un tout petit peu de volonté pour entrer dans ce tourbillon fait film. Une bonne demi-heure de présentation, de tâtonnements, d'hésitations. Sentiment comparable à celui qu'on éprouve lorsqu'on entre dans une famille qui n'est pas la sienne : impossible de connaître immédiatement et en détail tous les membres de la smala, leur histoire personnelle, leurs petites coupures. Eux-mêmes vivent ensemble depuis toujours mais n'y sont toujours pas parvenus. De cette acclimatation forcée mais nécessaire naît ensuite le plus gigantesque des plaisirs. Avec une fluidité plus évidente que dans ses films précédents (à la mise en scène parfois plus brillante mais sans doute moins touchante), Desplechin détruit avec bonheur l'univers du film familial, du film de Noël, sans pour autant jouer la carte du contre-emploi et du règlement de comptes destroy. La façon d'approcher des thèmes mille fois vus pour en tirer quelque chose d'"autre" ne rappelle personne (sauf peut-être Wes Anderson, dont La famille Tenenbaum, bien qu'à mille lieues de ce film-ci, possède plus d'un point commun avec lui). Le ton employé n'a pas d'égal. Les situations potentiellement convenues ne nous mènent jamais vraiment où on le croyait. Les trajectoires des personnages se confondent, se séparent, comme dans un monde mathématique où rien ne serait ni vrai ni faux. Les mathématiques, d'ailleurs, occupent un temps l'arrière-plan du film : scène poignante et cruelle de calcul de l'espérance de vie de Junon (Catherine Deneuve, actrice qui vieillit bien). Car c'est aussi cela, Desplechin : un type ultra-cultivé, aussi littéraire que scientifique, un pur philosophe qui sait se faire modeste pour aller piocher dans le mélo ou le drame familial. Cent ans après l'invention du cinéma et quelques milliers après celle de l'amour, il parvient encore à nous apprendre des choses sur ces deux thèmes. Comment fait-il ? On n'en sait rien, et c'est de là que vient le plaisir.
Chez Desplechin, une mère n'est pas obligée d'aimer son fils (et réciproquement), on peut renoncer à celle qu'on aime pour qu'elle soit mieux aimée, on peut dire les choses en face comme jamais dans la vraie vie. C'est juste beau à chialer, notamment dans ces quelques scènes entre Chiara Mastroianni (sans doute la meilleure de tous ces acteurs si prodigieux) et Laurent Capelluto (Simon, le cousin, qui boit pour oublier qu'il n'est qu'une tapisserie). Un conte de Noël se construit par bribes, qui se font et se défont. C'est un festival de petites confidences contenues, de hurlements d'enthousiasme, de gueules de bois plus ou moins joyeuses... C'est aussi un film grave et léger à la fois, qui peut parler de don de moelle osseuse et de maladie sans jamais tomber dans le pathos. C'est un film qui bénéficie de l'amour de son metteur en scène : lui qui n'a jamais su finir ses films boucle en boucle enfin un à la perfection. Il rend même Anne Consigny supportable voire émouvante, lui laissant le soin d'apporter la conclusion de ce Conte de Noël galvanisant et thérapeutique qui vaut à coup sûr tous les Indiana Jones du monde.
9/10

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