Les mots sont des chiens d’aveugle
Je les entends venir
leur odeur les précède
Ils me lèchent les mains
en signe de soumission
Délicieuse caresse
Parfois
ils ouvrent des chemins ensoleillés
dans cette nuit où l’on m’assigne à résidence
Je les suis des yeux
ils traversent
des objets indistincts
des regards inconnus
les éclairent au passage
d’un mystère resplendissant
Parfois
ils dorment contre moi
et je les écoute rêver
sans jamais savoir s’ils m’acceptent dans leurs rêves
Parfois
ils font les clowns
comme des chiens de cirque
aboient n’importe quoi et n’importe comment
à la lune qui sait si bien
d’un sourire faire une grimace
Parfois
ils s’enveloppent
d’absence
de ténèbres
comme ces morts récalcitrants
dont on dit qu’ils ont déchiré leur linceul
Parfois
ils montrent des crocs
plus luisants que des lames
la bave qui tombe de leur gueule
me fait penser à ces essaims de guêpes
pendus aux lèvres des fontaines siciliennes
dans l’embrasement de l’été
Et
parfois
quand bon leur semble
ils brisent leur laisse
dérisoire
se font nuages
disparaissent
Longtemps
je les entends hurler
Hurler à la mort
Il n’y a pas de mots pour dire cela.
***
Serge Wellens (1927-2010) – Les mots sont des chiens d’aveugle (2001)