Après une interminable attente, ça y est, la fantastique troupe du Théâtre du Soleil a déballé en juillet son nouveau spectacle : un Macbeth aux accents de dictateur, traduit par les soins d’Ariane Mnouchkine, pour parler de la profondeur du mal, la « disséquer ».
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Macbeth, jeune général victorieux, est adulé par ses troupes, admiré par son roi, et aimé de sa femme. Témoin de la prophétie des sorcières qui le prédisent roi, Macbeth, qui avait pourtant tout pour réussir, est rongé par l’ambition et poussé par l’animosité de sa femme ; il va sombrer petit à petit vers la démence. L’envie prend le dessus chez Macbeth et le spectateur assiste à sa perversion, sa fureur, et son indéfectible chute du côté obscur de la force. Bref, il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Macbeth.
Comme toujours, Mnouchkine a l’art et la manière de trouver une résonnance actuelle dans les pièces qu’elle choisit de présenter. L’attaque ici n’est pas directe, mais se mélangent dans le spectacle tant des références aux guerres de la vieille Europe qu’aux conflits des temps modernes. Macbeth, dans sa folie, prend des allures de guide suprême moderne, autoritaire et sadique, névrosé et totalement obsédé par le complot : un comportement qui nous rappelle étrangement nos démons contemporains. Comme toujours, Ariane montre, dénonce, nous pousse à voir, tire une sonnette d’alarme.
© MICHÈLE LAURENT
Peut-être n’est-ce pas la meilleure pièce qu’on ait eu la chance de voir à la Cartoucherie (parce qu’on ne peut pas toujours surpasser la perfection), mais on retrouve et on se délecte encore une fois avec ce Macbeth, de tout ce qui fait le génie d’Ariane Mnouchkine et sa troupe : le théâtre de la cartoucherie fait partie de ces théâtres qui ont compris que le génie de leur art ne réside pas tant dans la pièce ou le jeu d’acteurs, mais dans les artifices, la magie de la fabrication d’une scène, du décor, de sa mise en place, son génie propre.
Durant toute la pièce, c’est un véritable ballet (un ballet de balais même) qui se déploie sous nos yeux ahuris : à chaque scène son décor unique, qui est posé et levé par les fourmis invisibles que sont les comédiens de la troupe, dans une continuité virevoltante, une déconcertante prouesse technique qui force le respect. Et quels décors ! En trois coups de cuillère à pot, Ariane parvient à créer un référent visuel, une ambiance, un endroit, un confort ; une virtuosité de mise en scène qui s’exprime dans les détails, dans les touches, le trois fois rien : quelques barrières, une lampe, des pétales, un fauteuil, et tout ce petit monde qui semble se mouvoir de lui-même, comme s’il disposait d’une motion propre.
Ariane Mnouchkine © Michèle Laurent
C’est aussi avec plaisir qu’on retrouve Dieu le Père, heu pardon, Jean-Jacques Lemêtre aux manettes musicales, véritable homme-orchestre, qui, avec une vivacité surprenante pour un homme arborant une si grande barbe blanche, passe d’un bout à l’autre de son cockpit pour le délice de nos oreilles et contribue à donner toute son ampleur à l’orage qui s’abat sur le roi.
On regrettera peut-être cependant la performance d’acteurs, notamment dans le jeu des protagonistes, avec une Lady Macbeth a la diction un peu forcée, et un Hamlet qui ne prend véritablement corps que dans la seconde partie de la pièce, tout en s’enfonçant dans le délire. Pour autant, le tout est soutenu de main de maître par l’ensemble du reste des acteurs.
© Michèle Laurent
Enfin, même si vous n’êtes pas convaincus, on vous rappellera à quel point c’est toujours un bonheur de participer à l’enchanteresse ambiance anti-conventionnelle du Théâtre du Soleil. Partager un repas concocté et servi par les comédiens, dans une cantine mêlant les novices aux habitués de la Cartoucherie, le tout entouré d’un décor entièrement refait à neuf car adapté à chaque spectacle, serrer la main à Ariane qui vous poinçonne en personne votre billet à l’entrée, tout cela concourt à l’ambiance amicale et bon enfant qui fait la réputation du lieu.
Le théâtre du Soleil fête ses cinquante ans, et nous prouve encore une fois avec brio, que les valeurs qu’il porte depuis tant d’années ne sont pas une utopie dépassée : qu’une troupe qui se suffit à elle-même, se passe de publicité, fait tout de ses propres mains, paye tout le monde à salaire égal, et de surcroît produit de magnifiques représentations, c’est encore possible.
Agathe T.
Macbeth, dirigé par Ariane Mnouchkine.
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, du 8 octobre 2014 au 29 mars 2015.
Pour écouter Ariane en parler bien mieux que moi : http://www.franceinter.fr/emission-le-79-ariane-mnouchkine.
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