Pour une fois que je trouve très bien faite la présentation de l’éditeur, je n’hésite pas à la reprendre ici même.
«Il arrive toujours un moment où les hommes semblent attendre la catastrophe qui réglera leurs problèmes. Ces périodes sont généralement nommées: avant-guerres. Elles sont assez mal choisies pour tomber amoureux.
En 1940, à New York, un écrivain débutant nommé Jerry Salinger, 21 ans, rencontre Oona O’Neill, 15 ans, la fille du plus grand dramaturge américain. Leur idylle ne commencera vraiment que l’été suivant… quelques mois avant Pearl Harbor. Début 1942, Salinger est appelé pour combattre en Europe et Oona part tenter sa chance à Hollywood.
Ils ne se marièrent jamais et n’eurent aucun enfant.»
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J’ai de la chance avec la nouvelle rentrée: trois livres lus et trois romans appréciés: «Pétronille», «Trente-six chandelles», mais celui-ci est mon préféré. C’est de loin le plus riche et le plus intéressant, surtout dans la deuxième partie qui évoque la guerre vécue par le jeune Salinger pendant et après son débarquement en Normandie jusqu’à l’année 1945, lorsqu’avec les autres soldats américains, il découvre et libère les camps de concentration. Je peux dire que j’ai lu beaucoup de livres et de témoignages sur cette période mais jamais encore je n’avais appris autant de faits étonnants et bouleversants alors que je croyais la paix définitivement installée.
Dès la première page, Beigbeder qualifie son livre de non fiction, soit
"une forme narrative qui utilise toutes les techniques de l’art de la fiction tout en restant on ne peut plus proche des faits." " Tout y est rigoureusement exact: les personnages sont réels, les lieux existent (ou ont existé), les faits sont authentiques et les dates toutes vérifiables, dans les biographies ou les manuels d’histoire. Le reste est imaginaire.""Mais je tiens à proclamer solennellement ceci: si cette histoire n’était pas vraie,je serais extrêmement déçu."
Au début il s’agit essentiellement de la rencontre de Oona O’ Neill, fille d’Eugène O’Neill, l’auteur dramatique qui n’a jamais voulu revoir sa fille quand celle-ci a épousé Charlie Chaplin, quitte à le regretter par la suite (Lettre à l’appui). C’est très agréable à lire mais c’est léger et je me sentais un peu comme quand je lis des articles people, sauf qu’ici il s’agit de New York, en 1940, au milieu de la fumée des cigarettes, au Stork Club, où joue l’orchestre de Cab Calloway, applaudi par le Trio des héritières: Gloria Vanderbilt, Oona O’Neill et Carol Marcus, "les premières "it-girls" de l’histoire du monde occidental, cachées derrière un rideau de fumée."
C’est là que Jerome David Salinger, 21 ans, qui habite tout près, sur Park Avenue, rencontre la jeune et jolie Oona, de la meilleure société, qui s’encanaille gentiment avec les plus ou moins jeunes ou vieux, riches et célèbres jeunes gens qui tournent autour de son petit groupe parmi lesquels Truman Capote, un auteur que j’aime beaucoup. C’est aussitôt l’idylle, passionnée et définitive pour lui mais vite refroidie pour elle.
Puis c’est la rencontre avec Charlie Chaplin. Plusieurs chapitres lui sont consacrés et là encore c’est passionnant.
"Il en a fallu des coïncidences et des hasards; ils avaient une chance sur un milliard d’arriver, ensemble, à fabriquer Geraldine Chaplin, née à Santa Monica le 31 juillet 1944, pour qu’elle puisse jouer dans Le Docteur Jivago, et que sa fille , Oona Castilla Chaplin, puisse se faire poignarder enceinte dans Game of Thrones."
Mais comme dit précédemment, c’est la suite qui m’a tenue en haleine, quand Salinger avec "la 4e division entre dans la forêt de Hürtgen, le 6 novembre 1944, exactement cinq mois après son débarquement sur Utah Beach" jusq’en février 1945 "A côté de cet affrontement, la bataille de Normandie avait été une promenade champêtre. Ses réactions durant cette percée vers l’Allemagne ainsi que les lettres vengeresses qu’il écrit alors à Oona sont très violentes et on comprend mieux pourquoi ensuite il s’est enfermé dans le silence. On est vraiment à ses côtés dans ces moments de guerre, au plus près des réalités et des sensations corporelles et animales des très jeunes soldats à peine débarqués sur ces terres européennes inconnues.
Belles aussi les pages sur sa rencontre avec Hemingway.
"Je l’ai trouvé plus doux que sa prose; il est moins dur à l’oral qu’à l’écrit. (lettre du 4 septembre 1944) Contrairement à Fitzgerald, Hemingway n’avait pas l’alcool agressif et s’intéressait sincèrement à ce jeune auteur en devenir."
Puis retour sur Oona lors de la disparition de Chaplin, son goût pour l’alcool, sa déclaration sur les raisons de haïr son père…
Enfin retour définitif au travail du romancier qui se voit refuser l’accès aux lettres de Salinger à Oona et voici que surgit Lara, l’actuelle femme de Beigbeder, récemment épousée. Surprenant mais l’auteur a tous les droits après tout. On est chez lui! Il aperçoit sur sa combinaison de plongée le logo O’Neill, une célèbre marque californienne de vêtements de surf et il y voit un dernier clin d’œil de Oona.
Dernière phrase que je trouve belle:
Nos vies n’ont pas d’importance, elles coulent au fond du temps, pourtant nous avons existé et rien ne l’empêchera: bien que liquides, nos joies ne s’évaporent jamais.
Oona et Salinger, Frédéric Beigbeder
(Grasset, roman, août 2014, 336 pages
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