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La femme qui abattait des montagnes (et la lumière fut… à nouveau)

Par Borokoff

A propos de Obvious Child de Gillian Robespierre ★★★★☆

La femme qui abattait des montagnes (et la lumière fut… à nouveau)

Jennifer Slate

C’est comme ça le cinéma, à l’image de la vie et de ses phases. Down / Up. Up / Down. On y croit, on n’y croit plus. On l’aime, on ne l’aime plus. Ces choses-là, ça vient, ça repart, au gré des humeurs. Tantôt lassés (le plus souvent quand même en période estivale), tantôt revigorés par l’espoir ardent, la croyance intime qu’il reste encore une flamme, là derrière l’oeil et au fond de l’écran, une flamme qui brûle, prête à rallumer la torche de notre cerveau endormi. Comme une étincelle que n’attendait plus notre regard morne pour se ranimer.

Cette flamme se produit de temps à temps au cinéma, en général quand tout va mal, qu’on est déprimés face à une mauvaise série de choix de films ou une mauvaise série de films tout court (à laquelle échappe le sombre et étrange Enemy de Denis Villeneuve mais pas hélas le sirupeux et décevant mélo Winter Sleep du pourtant adoré sur ce blog Nuri Bilge Ceylan).

La femme qui abattait des montagnes (et la lumière fut… à nouveau)

Jack Lacy, Jennifer Slate

Cette flamme dont on parle, qui s’éteint si souvent et ne se rallume en moyenne qu’une fois par an (miracle du cinéma, éternelle renaissance !), c’est celle qu’il y a dans les yeux de Jennifer Slate. On l’a dit, vie et cinéma sont intrinsèquement mêlés, liés par un pacte secret, une étrange alchimie qui échappe à la logique et à toute rationalité.

Aller voir Obvious Child, c’est lancer un cri de rage contre le fatalisme et l’abattement. C’est croire en un renouveau des formes comme peu de films en produisent. Non pas qu’il s’agisse d’un chef d’oeuvre, loin de loin, ni d’une comédie révolutionnaire esthétiquement (le film n’a pas cette ambition ou cette prétention). Mais sa bonne humeur et son énergie sont contagieuses. Le cinéma ou l’histoire d’un éternel recommencement ? Peut-être. Il y a un an, quand j’avais eu les premiers symptômes de dépression cinéphile et que je n’y croyais plus, Oh Boy m’avait sorti de ma torpeur et sauvé du précipice dangereux, que dis-je ?, du gouffre béant au bord duquel j’errais, l’esprit engourdi, ankylosé par une série de déceptions ou de navets indigestes.

Le scénario d’Obvious Child n’a rien de très original voire un goût de déjà-vu. C’est un peu un Frances Ha, mais en plus fluide et en plus spontané. En moins sophistiqué surtout.

La femme qui abattait des montagnes (et la lumière fut… à nouveau)

Le premier long-métrage de Gillian Robespierre brille surtout par son style très enlevé. Obvious Child narre sous la forme d’un journal quotidien la vie et les déboires sentimentaux de Donna, comique  new-yorkaise pré-trentenaire en pleine crise qui, en même temps qu’elle découvre qu’elle a été trompée par son boyfriend, rencontre un jeune homme à l’air candide et à priori à l’opposé de son style et de ses convictions amoureuses… Sur le papier, rien de folichon dans ce film aux allures de comédie « indé-bobo » new-yorkaise.

Rien, sinon la présence lumineuse d’une inconnue (Jenny Slater est vraiment une artiste de stand-up au départ), une jeune actrice qui fait tout le sel de cette comédie, par sa vivacité d’esprit, par les traits de son humour piquant et corrosif (une répartie éclair digne d’un Wood Allen des grands jours) même si le plus souvent en-dessous de la ceinture.

La femme qui abattait des montagnes (et la lumière fut… à nouveau)

Donna, c’est un peu la pote qu’on rêverait d’avoir ou de connaitre. Délurée, tout en second degré et en auto-dérision, elle possède une vie en elle, prête à déborder à tout moment, et un sens de l’humour dévastateur. Jennifer Slate, c’est l’essence même de ce cinéma dont on parle. Une femme si généreuse et énergique qu’elle serait capable de rendre heureux et enthousiaste n’importe quel spectateur blasé et défaitiste d’entrée (catégorie dont j’avais fini par faire partie). Jenny Slate, c’est l’adhésion du cœur et de l’esprit (on s’emballe là, non ?), le genre de femme qui emporte tout sur son passage. Comme un torrent de vie, un raz de marée de rires, à l’image de la folie et des névroses sous-jacentes que porte ce personnage en même temps simple et touchant, mais tiraillé entre ses origines juives et son aversion pour la religion, entre une mère un peu rigide et ses doutes quant au crédit à apporter à l’amoureux un brin catho et trop gentil (suspect alors qu’il a de la répartie aussi) qui pointe innocemment sa truffe au mauvais moment, le pauvre…

Financé grâce au crowdfunding, porté par une B.O. merveilleuse, Obvious Child (qui tire son nom d’une chanson de Paul Simon) est un typhon de vie (je suis conscient d’en faire trop) et pour le cinéphile, la garantie de croire à nouveau au cinéma, à sa capacité d’enchantement, à ses pouvoirs infinis de régénération, à ses ressources insoupçonnées en un mot. Ce film réconforte et nous réconcilie avec le cinéma. Une vision de la vie à l’opposé du marasme ambiant. Alors qu’on était si proches de renoncer, voilà que se pointe cette Jennifer Slate, dont l’humour et le caractère si tranchés finissent par aller droit au coeur et faire s’écrouler toutes nos certitudes, nos convictions les plus pessimistes. De quoi permettre à ce blog d’être dépoussiéré. Et faire croire à nouveau au cinéma. Pour mon plus grand bonheur. Et le votre, j’espère…

//www.youtube.com/watch?v=8HpYzpr2iDA

Film américain de Gillian Robespierre avec Jenny Slate, Jake Lacy, Gaby Hoffmann… (01 h 23)

Scénario de Gillian Robespierre, Karen Maine, Elisabeth Holm sur une idée d’Anna Bean: 

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Mise en scène : 

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Acteurs : 

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Compositions de Chris Bordeaux : 

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