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Pierre et Jean [Guy de Maupassant]

Publié le 06 septembre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello !

Je reviens vers vous pour vous chroniquer un petit livre de Maupassant ! Ça faisait longtemps qu'un de mes amis me parlait de Bel-Ami avec beaucoup d'enthousiasme, me disant que c'était un livre qu'il avait beaucoup aimé, autant pour son personnage principal que pour l'écriture de l'auteur. Il ne m'a pas fallu longtemps pour me replonger dans Maupassant avec l'envie de découvrir ce qui lui plaisait tant chez cet auteur. Je n'avais pas Bel-Ami sous la main, mais j'avais par contre Une vie et Pierre et Jean. Autant vous dire que j'ai dévoré les deux en peu de temps, mai c'est seulement de Pierre et Jean que j'ai décidé de vous parler, du moins pour l'instant.

Pierre et Jean [Guy de Maupassant]
« Un couple de retraités parisiens vit au Havre, avec ses deux fils. Le cadet, Jean, est blond et sage ; l’aîné, noir et emporté. Leur vie s’écoule paisible, agrémentée de parties de pêche en mer u sur la plage quand un grain éclate. Le ciel s’obscurcit. Les vents de déchaînent, chassant le bonheur. En mourant, un vieil ami de la famille laisse à Jean sa fortune. Pourquoi à Jean seulement ? Pierre y pense nuit et jour. Il plonge dans le passé de sa mère, à la recherche du secret empoisonné.
L’émotion intense, l’histoire cruelle et vraie, les odeurs de la mer, la lumière célèbre de l’embouchure de la Seine font de ce roman un des chefs-d’œuvre de Maupassant. »

Dans ce roman à peine plus long qu’une nouvelle, Maupassant s’invite dans la vie banale d’une famille et décortique les liens qui unissent ou désunissent deux frères, Pierre et Jean. Leur relation est au début assez commune : complice sans être fusionnelle, avec une touche de rivalité mais qui reste très bon enfant. Celle-ci prend pourtant une autre direction lorsque, sans raison apparente, Jean hérite d’un vieil ami de la famille. Jaloux, Pierre va devenir obnubilé par cet héritage et voudra découvrir puis révéler à tout prix la raison de cette injustice.C’est donc en premier lieu le thème de la relation fraternelle qui est au cœur de ce roman. Le titre nous dévoile déjà une partie de la problématique : rien que la formule « Pierre et Jean » nous suggère que, sans pouvoir être confondus (les portraits physiques peints par Maupassant sont aux antipodes l’un de l’autre), ils sont liés de manière indissociable. Pierre et Jean se reflètent, et cela se vérifiera pendant tout le roman : ils visitent les mêmes lieux, convoitent le même appartement, la même femme. Ils se battent chacun pour l’amour de la même mère.  On peut même penser qu'ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre et ont besoin du reflet de l’autre pour exister. Par exemple : les titres « Pierre et » ou « et Jean » n’auraient pas fonctionné ! De cette manière, ils existent en fonction de l'autre et trouvent leur identité dans ce qu'ils reflètent chez l'autre. Si cette indivisibilité ne les préoccupe pas au début, elle deviendra par la suite la source de beaucoup de maux.En effet : à partir du moment où les deux frères ne seront plus traités à égalité, celui qui sera délaissé ne pourra que se sentir victime d’une injustice, et verra naître en lui la jalousie. C’est un peu le reflet de lui-même que Pierre voit en Jean. Alors forcément, lorsque ce dernier reçoit l’héritage et pas lui, il le vit comme une profonde injustice. Sanguin et jaloux, il va tourmenter sa mère avec ses sautes d’humeur, bouleverser le quotidien de la vie familiale par son amertume tandis que les trois autres membres de la famille se contenteront de fêter gaiement cette rentrée inattendue d’argent et le succès futur de Jean. En considérant que son frère est la cause de toutes ses malchances et de toutes ses déceptions, Pierre deviendra obnubilé par le mystère de cette injustice qu’il voudra à tout pris élucider afin, peut-être, de contester la légitimité de Jean à recevoir cet argent, de lui gâcher sa joie ou de le dégoûter de cet héritage. En somme, il ne supporte pas voir le schéma fraternel dans lequel ils étaient brisé.Pierre est décrit par Maupassant comme étant quelqu’un d’ambitieux, je peux donc comprendre que l’on puisse voir sa réaction comme de la jalousie pure : grâce à cet argent, Jean peut devenir un grand avocat et a les « clés du succès » que lui aurait voulu avoir. Pourtant je pense que sa jalousie va plus loin que ces apparences et relève plutôt de la complexité du lien filial et de l’amour maternel recherché par les deux fils.

Indirectement, c’est donc le thème de la filiation et de la relation au père et à la mère qui est abordé à travers cette histoire. Bien que traditionnellement, les enfants d’une même famille soient liés par le père qui leur donne son nom, il semble que les deux frères soient ici davantage reliés par leur mère : elle est au centre de leur relation, elle est leur point commun.


Pierre et Jean [Guy de Maupassant]

Pierre est par ailleurs un personnage assez unique au milieu de ce roman calme et limpide. Cette paisible atmosphère imaginée par Maupassant est à l’image de l’eau, qui entoure la ville du Havre mais aussi le roman en lui-même : celui-ci commence en effet par une partie de pèche en mer, et se termine avec l’image de l’océan, sur lequel Mme Roland se retourne. L’eau est un thème récurrent dans ce roman. Elle peut agir comme un miroir, qui reflète à Pierre son propre reflet ou celui de Jean. Elle peut aussi être là pour nous rappeler que « la vie est un long fleuve tranquille » qui, comme le cours d’eau d’une rivière, peut avoir à faire face à quelques obstacles, mais qui finit toujours par les contourner, et les oublier. A quel point les personnages peuvent-ils être influencés par leur milieu ?Je n’ai pas trouvé ce roman ennuyant une seule seconde, et pourtant l’ambiance qu’il crée est claire, très douce, aucune tempête ne vient troubler le rythme paisible de l’écriture : malgré les crises de jalousie de Pierre, même le mystère de l’héritage et sa résolution ne parviennent pas vraiment à troubler le cours tranquille des choses.

Même dans la scène où Mme Roland avoue son infidélité à Jean et lui apprend qu’il n’est pas le fils de son père, celle-ci peine à être réellement troublée : elle a « UN spasme », « UNE suffocation » avant de « sangloter » (p167). Elle a beau être « pâle » et « blanche » (Est-ce que Maupassant nous donne deux synonymes parce que cela ne provoque rien d’autre en elle ? Ou est-ce pour bien nous faire comprendre que, quand même, ça lui fait un petit quelque chose ?), ce ne sont pourtant pas des larmes mais des « gouttes d’eau » qui coulent de ses yeux. Ce sont les baisers de Jean qui mouillent ses joues, même pas ses larmes ! C’est un vrai numéro que nous fait Mme Roland lors de cette scène là : elle « suffoque », « tend la gorge », « renverse la tête pour respirer », etc. je pense que c’est une des scènes les plus drôles que j’ai pu lire. Même Pierre n’a pas voulu rester voir ça, il est parti avant que sa mère ne fasse son numéro de comédienne !Mais comme je le disais, là encore rien ne se passe puisque Jean lui dit immédiatement qu’il ne lui en veut pas, il lui répète « maman » ou « ma chère maman » un nombre incalculable de fois dans ce passage, il refuse de la laisser partir : à l’inverse de Pierre, il n’a aucune rancune envers sa mère, il semble même complètement indifférent à cette annonce alors que cela pourrait éventuellement soulever en lui des questions ou des troubles identitaires, il pourrait se sentir trahi, blessé, perdu, mais non. C’est quand même dingue que ce soit le fils qui console sa mère !Ah, et puis le père, n’en parlons pas : comme toujours il n’est au courant de rien, on ne sait pas s’il est mis de côté par les autres ou s’il fait l’autruche volontairement.

Cette ambiance particulière vient peut-être aussi du fait que Maupassant agit ici, selon moi, plus comme un « conteur » que comme un narrateur : il n’adopte pas de point de vue interne mais sait se fait oublier pour mieux développer et expliquer les sentiments de chaque personnage. Ceux-ci s’expriment alors de manière pure et innocente, sans arrière pensée. Les sentiments et émotions des personnages (surtout ceux de Pierre) sont bien décrits, avec précision et réalisme, Maupassant décortique vraiment bien leur psychologie.

Pierre et Jean [Guy de Maupassant]


→ MON AVIS

J'ai vraiment bien aimé ce petit roman qui, au premier regard, ne paye pas de mine. C’est la brièveté qui, selon moi, rend possible le rythme et l’énergie présents dans le roman, et qui fait en sorte que celui-ci ne s’étale pas dans des digressions ou dans des descriptions superflues.Je me rends compte que j’insiste beaucoup sur cette brièveté, mais j’aimerais vous faire comprendre que, en lisant ce livre, j’ai eu l’impression d’ouvrir une petite chose sans prétention avant de le refermer presque tout de suite après : cette petite chose n’a pas fait de dégâts en moi et pourtant Pierre et Jean m’a marquée à sa manière, discrètement, sans faire de bruit, tout doucement mais sûrement.La résolution du « mystère » est très prévisible et se devine dès la lecture de la quatrième de couverture, mais la qualité de cette œuvre ne réside pas dans le fait que ce soit une œuvre à suspens ou qu’elle nous surprenne par une fin inattendue (si c'est cela que vous cherchez, passez votre chemin) ; c’est la psychologie des personnages, leur attitude face à cet élément perturbateur qui est intéressante. Chaque caractère se révèle à cette occasion, chaque émotion est démultipliée mais l’histoire se termine comme elle a commencé : dans le calme et sur l’eau.Bien que Pierre soit parfois détestable et que, à première vue, il provoque l’antipathie du lecteur, c’est un personnage que j’ai beaucoup aimé. Son caractère emporté, les réactions vives et spontanées dont il fait preuve, les tourments qui l’obsèdent en font, pour moi, un personnage plein de sentiments, d’émotions, d’espoirs, de déceptions, de ressentiment,


à l’inverse de Jean qui est indifférent à l’infidélité de sa mère, Pierre doit apprendre à pardonner, à oublier et à vivre avec ;il est donc, selon moi, un personnage très humain

Les thèmes de la jalousie et des relations familiales y sont très bien abordés, Maupassant touche dans ce roman à quelque chose d'intemporel : cet événement aurait pu se passer chez n'importe quelle famille de n'importe quelle époque en provoquant les mêmes dégâts et les mêmes tourments. C'est un roman qui nous parle encore aujourd'hui et c'est une des raisons pour lesquelles il me plait.Même si ce roman n’est pas un « coup de cœur », les thèmes abordés, le décor et la trame de l’œuvre ainsi que le personnage de Pierre sont autant d’éléments qui font qu'il m’a beaucoup plu. Je le conseille sans hésiter à tous ceux qui veulent découvrir Maupassant ou lire un petit classique : lancez-vous sans crainte.

Après la découverte d'Une vie (que j'ai aussi aimé, je vous en parlerai peut-être ici) et la redécouverte de Pierre et Jean, je pense que je vais très probablement me laisser tenter par Bel-Ami avant la fin de l'année (il faut que je file en librairie l'acheter !) ainsi que par Le Horla et Boule de Suif que j'ai découverts chez moi hihi.


Et vous, vous avez déjà lu du Maupassant ? Dites moi lequel est votre préféré ou s'il y en a un par lequel vous pourriez vous laisser tenter !



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