d'après LE LIT 29 de Maupassant
Quand, le capitaine Orvain passait
Dans la rue, les femmes se retournaient.
Aussi, toujours paradait-il
Et sans cesse se pavanait-il,
Fier et préoccupé de sa cuisse,
De sa taille et de sa moustache.
Il les avait superbes, d’ailleurs, la moustache,
La taille et la cuisse.
La taille était élancée
Comme s’il eut porté un corset.
Il marchait
De ce pas un peu balancé des cavaliers
En tendant le jarret
Et en écartant les bras et les pieds.
Bref, le capitaine Albert Orvain
Multipliait les succès féminins.
En 1868, son régiment
Vint tenir garnison à Rouen.
La belle Irma, la maitresse, disait-on,
Du banquier Templier-Papon
Un jour, le vit.
Elle se montra et lui a souri.
Le soir même, Orvain était son amant.
Ils se compromirent mutuellement.
Tout le monde était au courant
Des amours entre Irma et l’officier.
Seul Templier-Papon les ignorait.
Le capitaine répétait à tout instant :
-« Irma m’a conseillé – Irma
Me disait cette nuit – Hier, dinant avec Irma… »
Cet amour, du capitaine à Rouen,
Dura plus d’un an
Mais voilà,
La guerre éclata
Et le régiment d’Orvain fut envoyé
Au front, parmi les tout premiers.
………………..
La guerre terminée, Orvain
Fut muté à Rouen, un beau jour de juin.
Aussitôt, il demanda
Des nouvelles d’Irma.
D’après certains,
Elle avait fait une noce effrénée
Avec l’état-major prussien.
Selon d’autres, elle s’était retirée
Chez ses parents,
Cultivateurs en bas pays normand.
L’absence d’Irma causa à Orvain
Un grand chagrin.
Il attribua son malheur aux Prussiens :
’’ Ils me le paieront, les gredins ! ’’
Or un matin, comme il entrait
Au mess pour déjeuner,
Un commissionnaire lui remit un pli.
Il l’ouvrit :
’’ Mon chéri si affectionné,
Je suis à l’hôpital, bien malade,
Gravement malade.
Viens me voir. J’en serais contente.
Ton Irma. ’’
Le capitaine remué de pitié, déclara :
’’ Nom de nom, elle est souffrante ! ’’
Il partit aussitôt à l’hôpital
D’un pas énergique.
Là, on lui indiqua la salle
Des syphilitiques.
Il entra et demanda Irma. :
’’-Lit 29 ’’. Il s’approcha
Et murmura :
-« Irma… »
Un lent mouvement se fit dans le lit
Et le visage de sa maitresse surgit
Mais si changé,
Si maigre, si fatigué
Qu’il ne le reconnaissait pas.
Haletant, elle prononça :
-« Albert !
C’est toi, Albert !
Oh ! …c’est bien…
C’est bien… »
-« Qu’est-ce que tu as eu ? »
-« C’est écrit sur la porte, tu l’as pas vu ? »
-« Comment as-tu attrapé ça ? »
Elle balbutia :
-« C’est ces salauds d’Allemands.
Ils m’ont prise et m’ont empoisonnée.
Je crois vraiment
Que je ne vais pas en réchapper. »
-« Tu ne t’es donc pas soignée ? »
-« Non, j’ai voulu me venger
Et je les ai tous empoisonnés. »
-« Tu as bien fait ! »
-« Ah ! Oui, j’en ai tué ! »
Au bout d’un moment,
Orvain, ne sachant plus que dire,
Prétexta : -« Je dois partir.
Le colonel m’attend. »
-« Déjà !
Tu me quittes déjà !
Veux-tu m’embrasser
Avant de me quitter ?
Tu reviendras, dis, tu reviendras.
Promets-moi que tu reviendras. »
-« Oui, je te le promets. » -« Peux-tu jeudi ? »
-« Oui, jeudi.
Adieu, chérie. »
Et confus, Orvain partit.
Le soir, un lieutenant lui demandait :
-« Alors, Irma, ta dulcinée… ? »
Il répondit l’humeur faussement chagrine :
-« Elle a une fluxion de poitrine. »
-« Oh ! Pour ça, non. Tu mens.
On l’appelait la femme aux Allemands ! »
Trois jours après,
Orvain recevait
Une lettre d’Irma.
Il n’y répondit pas.
Deux semaines s’étaient écoulées
Quand il reçut un pli cacheté
De l’aumônier de l’hôpital :
’’ Irma Paoli est au plus mal. ’’
Gonflé d’orgueil humilié,
Orvain se rendit à la maison de santé.
-« Qu’est-ce que tu me veux ? »
-« Il parait que je suis au plus bas.
J’ai voulu te dire adieu. »
Le capitaine ne la crut pas.
-« Écoute, tu me rends
La risée du régiment.
Ça ne peut pas continuer. »
-« Mais qu’est-ce que je t’ai fait,
Dis-moi ?
N’ai-je pas toujours été gentille avec toi ? »
Il reprit d’un ton vibrant :
-« Je ne viendrai plus te voir dorénavant
Parce que ta conduite avec les Prussiens
A été une honte, ai-je appris. »
-« Ma conduite avec les Prussiens ?
Mais je te l’ai dit :
Ils m’ont prise, et je t’ai dit aussi
Que je ne m’étais pas soignée
Exprès pour les empoisonner.
J’aurais pu guérir mais je voulais les tuer! »
-« Dans tous les cas, c’est honteux. »
-« Qu’est-ce qui est honteux :
Mourir pour avoir exterminé
Des dizaines de salauds d’Allemands ?
Tu ne parlais pas ainsi auparavant !
Et puis toi, t’en aurais pas fait autant.
J’en ai tué plus que toi, des Allemands ! »
Orvain restait effaré : -« Oh ! Tais-toi…
Je ne te permets pas
De parler de ces choses-là.
Tais-toi ! »
-« Serait-ce arrivé si, ces Allemands,
Vous les aviez empêchés d’arriver à Rouen ?
C’est vous qui deviez les arrêter.
Moi, je leur ai fait plus de mal que toi.
Je vais mourir et toi,
Tu vas te balader.
Tu vas faire le beau, toi !
Ah ! Tu es un joli poseur, toi ! »
Le capitaine se retira
Et courut chez lui s’enfermer.
Il entendait encore Irma :
‘’J’en ai tué plus que toi !
Oui, plus que toi !’’
Le lendemain, elle décédait.