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La Troupe du Théâtre du Soleil fait Mnouch’

Publié le 30 juin 2014 par Morduedetheatre @_MDT_

La Troupe du Théâtre du Soleil fait Mnouch’

Critique de Macbeth, de Shakespeare, vu le 27 juin 2014 au Théâtre du Soleil
Avec la Troupe du Théâtre du Soleil, dans une mise en scène d’Ariane Mnouchkine

Bien sûr, je connaissais de réputation le Théâtre du Soleil. Je savais que, quelque part dans le Bois de Vincennes, un théâtre peuplé d’irréductibles artistes résiste encore et toujours à l’influence de notre société actuelle. A la Cartoucherie demeure ce Théâtre du Soleil, une utopie créée par Ariane Mnouchkine, l’accomplissement de toute une vie. Mais imaginer ce Théâtre n’est finalement pas concevable : il faut le voir pour le croire. Pour moi, cette soirée passée au Théâtre du Soleil sera inoubliable, tant par l’accueil qui nous est fait que par le spectacle grandiose qu’on peut y voir.

Déjà au moment de réserver, on sent qu’on se frotte à quelque chose de spécial. Là-bas, tout est fait par les artistes, et tout est artisanal, presque archaïque : pas de site internet, il faut attendre qu’un des membres de la troupe réponde à votre appel pour espérer obtenir une place. Et le parcours pour obtenir sa place n’est pas fini : les placement étant libre, c’est premier arrivé premier servi : deux tableaux représentant la salle attendent les spectateurs devant le théâtre : chacun décollera l’autocollant symbolisant sa place, et l’ajoutera à son billet. Alors seulement il sera prêt à entrer.

L’attente n’est pas trop longue, le cadre est agréable : dans cette douce soirée d’été, on se plaît à s’asseoir dans l’herbe, la tête levée vers le ciel, et à apprécier le calme et la sérénite ambiante : on se sent hors du monde. Même pas de réseau internet sur mon portable : plus rien ne m’atteint. Ici, il n’y a plus que l’art : La vie est là, simple et tranquille.

Et la magie commence. Sur la porte qui nous sépare de la salle du Théâtre du Soleil, les trois coups sont tapés par Ariane Mnouchkine en personne. Les traditions, elle y tient. C’est elle qui, tous les soirs, accueille les spectateurs dans ce lieu unique. Mais avant de passer dans la salle de spectacle, c’est une autre salle qui s’offre à nous : un immense buffet sur notre gauche, et des tables rondes disposées un peu partout ; nous sommes ici pour nous rassasier avant le spectacle. Les plats qui nous sont proposés ont été entièrement cuisinés par les artistes de la troupe, et nous sont d’ailleurs servis par eux, en tenue de soirée, le sourire aux lèvres : ici, la convivialité et la bonne humeur sont de mise. 

On entre enfin dans la salle de spectacle du Théâtre du Soleil. Les gradins, séparées en deux en leur centre, font face à la scène, sur laquelle un voile fait office de rideau. Au milieu des gradins se trouve un couloir qui conduit tout droit aux coulisses – coulisses qui, d’ailleurs, sont visibles par le public, grace à des trous ingénieusement découpés dans le rideau qui les cache. Les sorcières de Macbeth apparaîtront un peu avant le début du spectacle, on les verra s’agiter derrière le voile, l’atmosphère s’installera peu à peu dans la salle, et cette ambiance quelque peu féérique, incomparable, en tout cas extraordinaire, qui sied à merveille à ce Shakespeare, sera présente plus de 3h durant, pour le plus grand plaisir des spectateurs.

Je crois que je me suis tellement prise au jeu de ce monde utopique que ce serait blasphémer que de détailler seulement le jeu de certains acteurs – d’en mettre seulement certains sous le feu des projecteurs. Alors pour ce qui est du jeu, je me contenterai de dire qu’il est différent de celui que je peux voir d’habitude – quelque chose de plus instinctif, de plus naturel, moins dans l’intellectualisation des personnages que sur d’autres scènes. Mais ce jeu, pour moi nouveau, peut-être plus dans une certaine forme d’agressivité du comédien, d’incarnation très réaliste et parfois brutale, m’a totalement conquise. Les comédiens s’approprient avec brio les différents personnages Shakespearien et pas un n’est en reste : la Troupe dans toute sa splendeur.

Et tout ceci ne serait pas sans le génie d’Ariane Mnouchkine. C’est elle qui porte ses comédiens, c’est grâce à elle que le spectacle est si réussi. Je pense à son travail pour le Théâtre du Soleil, bien sûr, mais également à celui qu’elle accomplit en tant que metteur en scène. Elle transpose son Macbeth dans un monde contemporain malgré tout intemporel, c’est-à-dire qu’on y voit des marques de modernité – elle joue beaucoup sur l’importance de la presse, de la rapidité des informations liée au développement des nouvelles technologies, ou de la violence de la guerre due aux armes modernes dévastatrices – mais le mythe de Macbeth reste, et il y a quelque chose d’épique dans sa façon de dessiner ses personnages. Les différentes scènes se succèdent sous forme de tableaux, et les changements à vue participent à la rapidité et à l’intensité de l’action, à son irreversibilité. Chaque nouveau décor est un délice pour les yeux : on est face à un champ de bataille, puis à une roseraie au parfum dévastateur, à une salle de bal, ou à une chambre d’enfant successivement, sans désordre aucun, sans se perdre lors du changement de décor. On assiste parfois à des objets si ressemblant qu’on croirait des vrais : comme ses chevaux impatients, qui s’agitent au fil du texte, et qu’on finit par croire parfaitement intelligents au point d’appuyer l’avancée de l’argumentation. On assiste également à des scènes qui resteront marquées à vie en nous – en tout cas en moi – comme la scène du bal, où Macbeth voit apparaître le spectre de Banquo, son ancien ami dont il a commandé la mort. La scène est tout d’abord merveilleuse et époustouflante pour les yeux, et elle vite assez vite au cauchemar avec une précison prodigieusement intelligente dans la disposition dans la scène. Tout est parfaitement pensé, créé, manipulé. Ariane Mnouchkine signe un Macbeth incomparable, présenté dans un cadre incontestablement hors du commun.

Le Théâtre du Soleil, ou comment s’évader de ce monde l’espace d’une soirée. Du grand Art. ♥ ♥ ♥

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