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Les copains d’abord

Publié le 24 juin 2014 par Morduedetheatre @_MDT_

Les copains d’abord

Critique du Cabaret Brassens, proposé par Thierry Hancisse, vu le 7 juin 2014 au Studio-Théâtre
Avec Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Jérémy Lopez, dans une mise en scène de Thierry Hancisse

J’ai beaucoup descendu la Comédie-Française cette année. Je n’ai pas été tendre avec son administratrice, avec les comédiens qui ont tenté des mises en scène, avec les créations ou les reprises. Mais il faut avouer qu’il n’y a rien de mieux qu’un cabaret du Français. Je les vois tous depuis quelques années, j’ai même acheté les CD de Philippe Meyer en collaboration avec les Comédiens-Français, La prochaine fois je vous le chanterai. Je suis fan de ces cabarets.

Et, ça tombe bien, je suis aussi une grande fan de Brassens. L’an dernier, le Cabaret était consacré à l’oeuvre de Boris Vian : ça m’a permis de découvrir cet auteur, ses chansons, mais je n’avais pas vraiment de point de comparaison. Ici, au contraire, je connaissais presque par coeur toutes les chansons choisies, et j’ai donc pu plus apprécier le travail d’adaptation des musiciens et des comédiens. En effet, ils n’ont pas repris les chansons de Brassens "à la Brassens", c’est-à-dire simplement accompagné à la guitare sèche. Non, sur la scène du Studio-Théâtre, il y a un pianiste, Benoît Urbain, un contrebassiste, Olivier Moret, et un guiratiste, Paul Abirached. Ces trois musiciens permettent de donner à Brassens un côté jazzy entraînant et très agréable. Ajoutons à cela la vivacité et le talent des Comédiens-Français, et la soirée s’avère être une réussite totale.

Les chansons de Brassens sont évidemment des chansons à texte, et la mise en scène est bienvenue, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’acteurs pareils. Car ils n’ont plus grand chose à nous prouver du côté du chant, ces comédiens-là. Seuls, en duo, ou en choeur, chacun parvient à tirer son épingle du jeu, à nous impressionner, à nous emmener loin, au-delà des murs du Studio-Théâtre. Leur entrée en scène annonce la couleur : la reprise de La mauvaise réputation est faite par l’ensemble de la troupe, alternant couplet en solo, puis intervention du reste des acteurs : un beau travail d’équipe qui nous fait comprendre que ce n’est pas seulement pour Brassens qu’on est assis-là, mais également pour participer à une rencontre amicale, un rendez-vous de vieux copains.

Et de nombreux succès suivent ce début prometteur. Chacun se démarque, à sa manière. A commencer par Sylvia Bergé, dont on ne se lasse pas de vanter les talents vocaux : elle mêle à cette voix magnifique – il faut le dire encore ! – un art de raconter et d’émotion qu’on retrouve dansLe mouton de Panurge comme dans Le père Noël et la petite fille. J’étais également ravie de découvrir le chanteur qui se cachait en Eric Génovèse : cet acteur, à la voix si marquante et intéressante, avait certainement des choses passionnantes à nous offrir. Et ce fut le cas : son air nonchalant seyait à merveille avec La mauvaise herbe, tandis qu’il étonnait dans Sauf le respect que je vous dois, sa voix tendre et agréable soulignant à merveille la politesse de cet agacement. Je me dois de souligner une autre heureuse découverte en la personne d’Hervé Pierre, que j’avoue je n’avais jamais imaginé sur un Cabaret. Et pourtant, il y a parfaitement sa place : il ajoute au chant, qu’il maîtrise parfaitement, une qualité de jeu indéniable, grace auquel il sublimeLa Fessée avec Julie Sicard mais également La traîtresse et Elle m’emmerde, où il est seul. Ce Cabaret fut également l’occasion de retrouver trois comédiens-chanteurs qu’on connaissait bien : Serge Bagdassarian, Jérémy Lopez, et Julie Sicard. Habitués tous trois des Cabarets du Français, ils brillaient toujours autant, et on retient par exemple  l’interprétation de Saturne par Julie Sicard, qui nous fait croire en l’amour éternel, ou celle du Cocu par Lopez : toujours le même et pourtant toujours étonnant, il s’approprie le chanson avec la facilité qu’on lui connaît, ajoutant au comique de la situation une sorte d’ironie amer bienvenue.

En grande partie, comme on peut le constater pour l’instant, les chansons choisies reflètent le côté comique des chansons de Brassens – sauf peut-être chez Sylvia Bergé. Dans les cordes vocales d’acteurs comme ceux-ci, elles font des étincelles. Mais un autre aspect du répertoire a été abordé lors de ce spectacle, peut-être moins important dans son oeuvre, mais tout aussi intéressant : quelque chose de plus émouvant, une critique plus vive, plus en profondeur. Je pense par exemple à Il n’y a pas d’amour heureux (mise en musique d’un poème d’Aragon par Brassens), sublimé – que dis-je ? – transcendé par un Serge Bagdassarian émouvant, magnifique, possédé. Par le même interprète, on retient un Maman, Papa poignant qui nous a tiré des larmes. L’autre moment très émouvant du spectacle est du à l’interprétation bouleversante des Oiseaux de passage par un Jérémy Lopez captivant, troublant, troublé. Le texte de Jean Richepin, relatant du sentiment de l’artiste incompris, m’a plus touchée dans la bouche de Jérémy Lopez que dans celle de Brassens : il donne littéralement vie au poème. Mais d’autres chansons ont été interprétées avec une force et une puissance qu’on n’imaginait pas au départ : commeConcurrence Déloyale, qui fait l’objet d’un duo entre Sylvia Bergé et Julie Sicard, et dont les paroles, pas toujours transcendantes sur le papier, prennent ici une toute autre ampleur. 

Alternant émotion et comédie, le spectacle est un véritable succès. Et ponctuer les différents solos de morceaux de groupe souvent entraînant permet de redonner de la vigueur à la salle, troublée par les précédents morceaux. Ainsi, on meurt d’envie de s’ajouter à La file indienne que forment les comédiens, de reprendre avec eux le refrain des Amoureux des bancs publics, ou encore de les corriger sur les différents noms cités lors de La Femme d’Hector

Brassens est un grand poète, et l’idée de Thierry Hancisse de mettre en scène ses chansons était indéniablement fondée. La troupe s’en sort avec brio, et on souhaite juste y retourner une fois les projecteurs éteints. On attend à présent le Cabaret Barbara de l’année prochaine, et on espère qu’un jour on assistera au Cabaret Reggiani ou Guy Béart… ♥ ♥ ♥

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