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Parcours des mondes 2014 : l’œil du collectionneur

Publié le 10 septembre 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone

Le « Parcours des mondes », c’est un peu le "mercato" annuel des arts premiers : ce salon international, éparpillé le long d’un parcours de près de soixante-dix galeries à Saint-Germain-des-Prés, accueille la réunion des plus grands marchands du milieu, permettant ainsi à l’art premier de s’exposer dans toute sa diversité et sa richesse. Pour la XIIIème édition, du 9 au 14 septembre, le Parcours des mondes a vu les choses en grand, en témoigne la présidence d’honneur accordée à M. Antoine Frérot. Le PDG de Veolia (rien que ça) se désigne comme un simple « amateur » mais il s’agit plutôt d’un grand collectionneur, car le Parcours des mondes n’est pas un simple salon, ni une exposition commune à des dizaines de galeries, mais bien l’opportunité de rebattre chaque année les cartes du marché de l’art premier. Bruce Frank est ainsi venu spécialement de New York pour exposer chez Artefact Design des pièces inédites, des « perles rares sous-estimées », et du même coup réorienter le marché vers des régions nouvelles, comme l’Asie du sud-est, dont la production a jusqu’ici été un peu négligée par le marché.

Parcours des mondes 2014 : l’œil du collectionneur

Toutes les collections réunies, il s’agit sans aucun doute de la plus riche collection d’art premier au monde. Des masques aux fétiches en passant par des instruments de musique, quelle que soit votre connaissance du domaine, la grande qualité et la diversité des œuvres présentées valent bien les collections du Quai Branly. Mais à l’inverse d’un musée, où les œuvres sont plus ou moins isolées du marché de l’art, le salon peut frapper par son aspect mercantile : ici et là, on s’enquiert des prix de telle ou telle statuette et l’on sent bien que certains marchands sont venus dans l’espoir de réaliser en une semaine une part conséquente de leur chiffre d’affaires annuel. Quelle est la place, me direz-vous, du simple novice dans tout ça ? Certains galeristes vous répondront qu’ils ont à votre disposition des œuvres à prix tout à fait raisonnables, mais comme moi, vous sourirez doucement en entendant les premiers prix car, à moins d’avoir hypothéqué vos vacances d’été, votre salaire de stagiaire pourra difficilement vous offrir le moindre sifflet. Qu’à cela ne tienne, dites-vous que le Parcours des mondes est un salon gratuit, et que votre future entrée dans le monde professionnel vous réserve sûrement un petit pactole.

Quoi qu’il en soit, le salon présente des avantages que les musées n’ont pas : une galerie est un lieu de vente à part entière et permet à ce titre un rapport plus intime aux œuvres présentées, que vous ne craindrez pas de voir manipulées à mains nues par les collectionneurs ! Question d’échelle bien entendu, mais aussi d’optique : une approche très différente de celle des musées préside à la présentation des pièces. Si la plupart des musées d’art premier organisent des expositions autour de thèmes précis, pour des raisons de communication autant que d’intelligibilité, celles-ci sont du même coup susceptibles de noyer la singularité de certaines pièces sous l’abondance des convergences thématiques. La perspective du collectionneur permet à l’inverse d’envisager chaque œuvre comme singulière, distincte des autres par sa plasticité, par son usage unique et par son histoire.

Galerie Arte y Ritual

Galerie Arte y Ritual

Une grosse moitié des galeries du Parcours des mondes présente certes des expositions thématiques, toutefois, leur portée est si large qu’il demeure une impression d’accumulation dont l’ordre nous échappe, qui ravira les nostalgiques des cabinets de curiosité : au 17 rue Guénégaud, par exemple, vous pourrez voir à la Galerie SL « En avant la musique », une exposition sur les instruments d’Afrique. La pièce est sombre et étroite et l’on peine à se retrouver dans la profusion des œuvres ; alors, une brève discussion avec le collectionneur vous engagera dans une fascinante percée au sein d’un univers sonore alliant espace, parole, musique et nature : tombez ainsi nez à nez avec un magnifique et imposant tambour à fente congolais qui, placé sous la voute végétale d’un arbre doublant sa résonance, produisait un son censé imiter les intonations de la voix pour communiquer avec les villages voisins.

En somme, un échange avec le collectionneur ou le galeriste vous transportera davantage que n’importe quel cartel de musée, car l’absence de texte pour accompagner les pièces reste l’occasion parfaite pour en apprendre de la bouche même de professionnels avisés. Ils se feront un plaisir de vous expliquer l’originalité de telle ou telle pièce, de vous en décrire le prestige (« le seul autre exemplaire connu est au Louvre ») ou encore de vous faire part du destin hors du commun du collectionneur qui l’a pour la première fois découverte.

Le Parcours des mondes offre dès lors un regard inédit sur le fonctionnement proprement dit d’une collection et la passion qui la dirige. A cet égard, l’extrême diversité des pièces présentées témoigne d’un large spectre de passions différentes pour l’art premier. On pourrait croire que ces pièces sont toutes choisies pour l’authenticité de la tradition dont elles sont issues, mais certaines laissent la part belle au contact entre les cultures : ainsi peut-on voir dans la collection de Renaud Montméat une Madone à l’enfant de Goa, sans doute une commande portugaise aux artistes locaux, qui allièrent dès lors au thème purement chrétien une technique ancestrale incroyable de précision. La galerie Vallois, au 35 rue de Seine, sort même largement du cadre du simple échange culturel en présentant des sculptures contemporaines d’artistes béninois réunis autour de la figure de Mickey Mouse.

Galerie Vallois

Galerie Vallois

Néanmoins, que les pièces soient antérieures aux influences occidentales ou fondées sur elles, quelque part, leur datation importe peu tant elles s’émancipent naturellement de tout discours historique ou ethnographique. Elles semblent issues d’un même questionnement métaphysique et dépassent à la fois la forme, l’usage et le symbole pour mieux traduire un « être au monde » à la poésie inégalée. Comme le remarque avec justesse M. Frérot, l’art premier prend de plus en plus d’importance dans « le musée imaginaire de chacun » et votre promenade au sein du Parcours des mondes vous fera sûrement sentir combien l’adjectif premier est plus que jamais susceptible de signifier la primauté plutôt que l’antériorité.

Quartier des Beaux-Arts, Saint-Germain-des-Prés (6ème arrondissement)

Du 9 au 14 septembre 2014

Gratuit


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