Etant du genre à m’évanouir rien qu’en entrant dans un hôpital, je n’aurais probablement jamais lu ce roman si j’avais connu son sujet à l’avance : une transplantation cardiaque !
C’est l’heure. Amorce du jour où l’informe prend forme : les éléments s’organisent, le ciel se sépare de la mer, l’horizon se discerne.
L’histoire, qui débute par un accident de la route – source principale de ces dons d’organe qui permettent de réparer les vivants – et qui se termine par une transplantation, ne se déroule pas seulement dans un environnement médical qui n’a rien pour me séduire, mais se révèle en plus sans surprises, l’intrigue étant ici secondaire. Voilà qui commence mal !
Car ce que Goulon et Mollaret sont venus dire tient en une phrase en forme de bombe à fragmentation lente : l’arrêt du cœur n’est plus le signe de la mort, c’est désormais l’abolition des fonctions cérébrales qui l’atteste. En d’autres termes : si je ne pense plus, alors je ne suis plus.
Le récit se déroule en seulement vingt-quatre heures, à compter du moment où Simon Limbres part faire du surf avec ses copains, jusqu’au lendemain où son cœur se met à battre dans le corps de Claire. Date de péremption oblige, tout doit se dérouler très vite, ne laissant que peu de marge de manœuvre aux différents participants de cette course de relais rythmé par le compte à rebours d’un cœur qui doit absolument continuer à battre malgré la mort cérébrale de son hôte. Si l’auteure parvient à retranscrire l’ambiance qui accompagne la trajectoire de cette transplantation avec un certain brio, elle n’arrive cependant pas à rendre les différents protagonistes attachants. Au sujet déplaisant s’ajoutent donc l’absence d’intrigue et d’empathie envers les personnages. Mais malgré cela, ce roman est pourtant loin d’être mauvais.
Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. Que subsistera-t-il, dans cet éclatement, de l’unité de son fils ? Comment raccorder sa mémoire singulière à ce corps diffracté ? Qu’en sera-t-il de sa présence, de son reflet sur Terre, de son fantôme ?
Outre l’atmosphère dans laquelle elle nous plonge, Maylis de Kerangal parvient surtout à nous faire partager les pensées des différents protagonistes de cette course contre la montre. À l’aide de phrases étirées à l’infini, qui restituent à merveille le flux de pensées continu et interminable qui émane des différents intervenants, elle parvient à nous faire entrer à l’intérieur des personnages et à nous offrir leur vision des événements. Si l’exercice de style est à saluer, je ne suis malheureusement pas fan de ces phrases à rallonge et de ces digressions permanentes qui éloignent le lecteur du sujet au profit de détails qui ne s’avèrent pas toujours utiles.
Tout ce qui cinglait en elle de vif et d’ardent, cette légèreté à pleine vitesse, joueuse et féroce, ce pas de reine qu’elle avait encore cet après-midi dans les couloirs de la réa, tout cela prend l’eau à toute allure, et pendouille dans son cerveau, lourd, détrempé : à force d’avoir vingt-trois ans elle en avait vingt-huit, à force d’en avoir vingt-huit, elle en a trente et un, le temps cavale tandis qu’elle jette sur son existence un regard froid, un regard qui dézingue l’un après l’autre les différents secteurs de sa vie.
Bref, même si cet ouvrage invite à la réflexion sur la vie et la mort, je l’ai refermé avec un sentiment plutôt mitigé.