Avec Pierre Moscovici devenu commissaire européen, la croustillance politique française vient de gagner subitement plusieurs galons. On savait qu’il aurait à batailler pour espérer dégager un semblant de crédibilité, mais en plus va-t-il devoir traiter du dossier de la Taxe Tobin, dossier qu’il avait tout fait pour éviter lorsqu’il était à Bercy… Le monde politique n’est décidément pas tendre avec le petit Pierre.
Et quelque part, c’est assez rigolo.
Ainsi, Moscovici se retrouve dans la position de devoir tancer vertement le pauvre benêt de Sapin pour des comptes français catastrophiques alors qu’il est en réalité responsable, au moins en partie, du désarroi dans lequel il les a plongés. On attend les balbutiements du rond Sapin pour tenter de s’expliquer sans toutefois se mettre en porte-à-faux avec un type qui, tout bien considéré — le monde est petit, notamment lorsqu’on est encarté PS — risque fort de se retrouver sur son chemin dans l’avenir.
Et pour la taxe Tobin, la collision des intérêts confus de l’Europe et de la France promet de grands moments de solitude pour les journalistes qui devront expliquer ce qui se passe vraiment au sommet des institutions françaises et européennes. Et il est déjà fort complexe de savoir exactement à quelle sauce seront mangés les financiers auxquels s’appliquera la taxe en question, surtout lorsqu’on apprend simultanément que, d’après Challenges, la France n’en parle plus, alors qu’en même temps, pour Les Échos, Sapin a plein de choses à dire à son sujet, à commencer par la fable qu’elle ne serait pas faite pour rapporter, mais pour dissuader.
Autrement dit, on n’en parle plus, mais on en parle tout de même, et suffisamment pour en dire des choses qui piquent un peu les yeux au passage. Comprenne qui pourra.
Bon, certes, le sujet est particulièrement délicat actuellement.
D’une part, on va devoir annoncer la mise en place de cette taxe sur les transactions financières alors que tout laisse à penser que d’autres taxes, à commencer par la TVA puis celle sur le gasoil vont venir gonfler un bon coup. On constate ici un timing d’une précision diabolique auquel nous a déjà habitué un gouvernement taillé au cordeau. S’ajoutera à cette nouvelle ponction celles déjà existantes (la liste est fort longue), à mettre en face d’un revenu pour l’état qui n’est pas aussi bon que prévu (effet Laffer ?), et l’ensemble apparaît déjà comme une opération particulièrement hasardeuse sur le plan politique, et franchement catastrophique sur le plan communicationnel.
Notez bien que ce n’est pas comme si on n’avait pas l’habitude des foirades politiques et des communications incompréhensibles du gouvernement, mais à la longue, on se demande si cette méthode, qui consiste à dire tout, puis son contraire, puis encore autre chose, le tout dans un temps très court, n’est pas devenu une habitude sciemment organisée pour se dispenser de tout effort de planification. À ce titre, jamais poulet gouvernemental n’aura paru aussi dépourvu de tête et de direction cohérente.
D’autre part, on ne peut s’empêcher de tiquer sur la déclaration, encore une fois navrante, de l’actuel ministre des Finances. Pour lui, donc, cette taxe a, avant tout, un rôle dissuasif :
« La taxation n’est pas forcément faite pour rapporter, mais pour dissuader, car la TTF doit permettre de lutter contre la mauvaise finance »
Encore une fois, on se demande si le pauvre Sapin ne s’est pas fait bercer d’illusion un peu trop près d’un mur en crépi tant ses affirmations péremptoires ne résistent pas à quelques secondes d’analyse. D’une part, on peut s’interroger sur l’aspect réellement dissuasif des taux proposés (0,1% sur les actions et les obligations et de 0,01% sur les produits dérivés) mais d’autre part, on a bien du mal à passer à l’as des recettes envisagées de 35 milliards d’euros par an. On comprend que le but, exactement à l’opposé des déclarations du minustre, consiste à rapporter un maximum pour l’État sans tuer la poule aux œufs d’or, et que dans cette optique, la dissuasion est le dernier de ses soucis. En pratique et encore une fois, l’État fait les fonds de tiroir et utilise ses plus mauvaises recettes de cuisine constructiviste pour tenter de rapporter un peu d’argent dans l’escarcelle du Trésor Public.
Quant à la tirade sur l’introduction d’une loi pour lutter contre la « mauvaise finance », elle serait presque drôle si Sapin n’avait pas balancé cet « élément de langage hollandesque » en toute ingénuité. Qu’est-ce que la bonne finance ? Qu’est-ce que la mauvaise ? Qui ou quoi détermine le moment où le financier, âpre au gain, le regard torve et embué par les envies insurmontable d’un lucre des plus faciles, se décide à sombrer dans la mauvaise au lieu de rester bien sagement du côté de la bonne, propre sur lui ? Les mauvais financiers, ceux qui font de la mauvaise finance, boivent-ils en groupe avant de lancer des OPA ? Lâchent-ils, en désespoir de cause, des produits dérivés toxiques sur des pigeons boursiers en captivité ? Et puis surtout, qui comprend encore quelque chose dans les discours politiques de l’équipe en place lorsqu’il s’agit de taxation, de finance ou d’économie ?
Et justement, parlant d’économies, il est particulièrement piquant de lire les articles cités pour y découvrir que chacun y est allé de son petit calcul pour déterminer avec la plus grande précision possible combien cette fameuse taxe allait bien pouvoir rapporter. L’Allemagne ayant ouvert le bal, il était normal que les autres économies, France en tête, se lancent dans les estimations, toutes aussi fumeuses les unes que les autres, et qui aboutissent toutes à la conclusion commode que des trouzaines de milliards d’euros vont débouler dans les caisses par le truchement de la ponction opérée avec tact et doigté. C’est magique, on y croirait presque.
Sauf que la réalité, rarement assez souple pour se plier aux desiderata humides des socialistes, renvoie généralement ces beaux calculs dans les limbes qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Il ne faut en effet jamais perdre de vue deux choses. La première est que les taxes constructivistes, qui entendent modifier le comportement des acteurs d’un marché, finissent toujours par engendrer des effets pervers, bien évidemment imprévus lors de leur élaboration, le concret étant toujours plus imaginatif que les exercices de papier dont on fait les lois. La seconde, c’est que, lorsque ces lois parviennent en effet à modifier les comportements des acteurs concernés, elles le font souvent dans des proportions qui rendent rapidement obsolètes les estimations de gain envisagées. Autrement dit, quoi que nos frétillants taxeurs ministériels envisagent, la taxe Tobin rapportera moins que prévu.
Et le mieux est qu’on a déjà des expériences historiques sur ce qui va se passer. La Suède, par exemple, a tenté cette taxe sur les transactions financières, et la conclusion est sans appel : ça n’a pas fonctionné. Pire : pour une taxe qui se voulait dissuasive et qui entendait mettre de l’ordre dans la méchante spéculation, elle s’est rapidement révélée contre-productive au point d’encourager celle-ci !
Non, décidément, la situation politique en France et en Europe vient de gagner deux ou trois barreaux sur l’échelle (ouverte) de Croustillance & Débilité. Parce que le commissaire français est Moscovici, parce qu’il va devoir juger un pays qui prend l’eau alors qu’il a pris part au forage des trous dans la coque, parce qu’il va devoir se débattre avec ces propositions idiotes qu’il a contribué à mettre en place, et parce qu’il va devoir gérer un ministre français aussi incompétent que lui. Les prochains mois promettent, tant sur le plan économique que sur le plan politique, de révéler la vraie force communicationnelle du tandem Sapin – Moscovici.
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